Sur la plage abandonnée
Coquillages et crustacés
Qui l’eût cru ! Déplorent la perte de l’été
Qui depuis s’en est allé
La madrague. B. Bardot 

La biodiversité animale sur la frange littorale est considérable avec des centaines d’espèces de coquillages mais l’écrasante majorité d’entre elles vivent en deçà de la zone de balancement des marées ou bien s’enterrent dans le sable ou la vase à marée basse si elles sont exondées. A part la pratique de la nage avec tuba ou de la plongée, on ne peut guère observer directement ce monde grouillant de vie, sauf un nombre limité d’espèces dans les flaques d’eau découvertes à marée basse (mais sur les côtes rocheuses) notamment lors des grandes marées d’équinoxe. Par contre, nous avons accès facilement à cette immense biodiversité de manière indirecte via leurs coquilles qui subsistent après la mort de ces animaux et qui sont déposées à chaque marée. Ce cimetière de biodiversité regroupe des coquilles d’espèces qui vivaient soit tout près de la plage dans le sable soit, pour la plupart, plus en profondeur, au-delà de la zone de balancement des marées découverte au fil des marées. 

Ces coquilles fascinent souvent les enfants mais aussi nombre d’adultes et le ramassage des coquilles vides demeure une activité prisée de nombre de vacanciers à toute saison ; certains deviennent même des passionnés, un peu accros, et se spécialisent dans la confection de tableaux ou de compositions avec ces coquilles ou bâtissent des collections. Mais globalement, peu de gens cherchent à savoir à qui appartenaient ces coquilles et comment vivaient les animaux qu’elles enveloppaient. Cette première chronique vise donc à réparer cet oubli avec l’exemple des bivalves (ou lamellibranches), les coquillages dotés d’une coquille à deux valves comme les moules ou les huîtres. Nous avons sélectionné quelques espèces phares faciles à reconnaître pour cette initiation parmi les centaines que vous pouvez trouver potentiellement, rien que sur la façade atlantique. 

Bivalve 

La coquille des bivalves se compose de deux parties associées ou valves (d’où le terme de bivalve), articulées entre elles par un double dispositif. La charnière résulte de l’emboîtement de « dents » ou lames saillantes portées par chacune des valves : ces saillies dures se composent essentiellement de carbonate de calcium (« calcaire ») comme le reste de la coquille. Certaines espèces ont une charnière très réduite voire inexistante. Un ligament souple, non calcifié, souvent noirâtre ou brunâtre double la charnière. L’ensemble maintient les deux valves articulées entre elles tout en permettant leur ouverture et fermeture par l’animal qui les rapproche via des muscles dits adducteurs dont on retrouve souvent la trace d’insertion sur la surface interne de la coquille. 

Quand un bivalve meurt, sa coquille « baille » du fait de l’arrêt de fonctionnement de ses muscles ; c’est ce qui se passe quand vous faites cuire des moules ; ensuite, son corps se décompose. La coquille se retrouve alors vide mais avec ses deux valves encore articulées. Selon la force de la charnière et/ou du ligament et surtout selon la manière dont la coquille va être malmenée par les vagues et les marées, les deux valves peuvent se séparer et ainsi être rejetées loin l’une de l’autre. Sur la plage, le plus souvent, on retrouve majoritairement des valves isolées, séparées. 

La charnière se situe en général au milieu de la coquille en position dorsale. Ainsi, on distingue une valve droite et une valve gauche. En général, les deux valves sont à peu près égales et identiques d’aspect mais chez diverses espèces, il y a eu une spécialisation d’une valve par rapport à l’autre selon le mode de vie par exemple et on a alors deux valves inégales. 

A l’intérieur de la coquille, outre les traces des muscles (voir ci-dessus), on retrouve souvent une trace qui suit le bord de la coquille et correspond à la fixation du manteau, sorte de double repli de peau qui enveloppe le corps (comme sur une moule cuite extraite de sa coquille). Chez les coquillages fouisseurs, enterrés dans le sable ou la vase, il y a en plus un siphon musculeux servant à faire circuler l’eau et qui émerge en haut de la coquille entrouverte : il laisse lui aussi une trace, allongée en forme d’encoche : un sinus. Les bivalves qui vivent hors des sédiments se fixent le plus souvent de manière durable à un support stable via un organe, le byssus, formé de filaments adhésifs à leur extrémité (ce qu’on enlève quand on « gratte » les moules). Fabriqué par le pied, il émerge via une ouverture plus ou moins grande et délimitée entre les deux valves ventralement.

Les moules vivent fixées sur des rochers grâce à leur bossus filamenteux

Coutellerie 

Les coquilles des couteaux se reconnaissent très facilement à leurs valves très allongées (jusqu’à 13cm de long pour les plus grandes espèces) et étroites, à bords presque parallèle. La charnière pacée au milieu du tiers supérieur se compose de quelques dents sommaires et est suivie du ligament sombre. Pour nous français, cette forme fait penser à un manche de couteau mais pour nos voisins anglo-saxons, c’est une lame de rasoir à main (razor shell). Blanches à brun clair, ces valves sont recouvertes extérieurement d’une fine couche (pérostracum), composée d’une protéine cornée la conchioline, souvent décapée lors du transport. On note aussi la présence de stries concentriques de croissance par lesquelles la coquille s’allonge. 

Stries de croissance
Traces d’insertion du siphon (sinus) et du muscle adducteur (tache ronde blanche)

Si on trouve des valves articulées et qu’on essaie de les refermer, on constate qu’elles restent béantes aux deux extrémités. Sur l’animal vivant, en haut, par l’ouverture au bord arrondi, sort un double siphon, servant à l’alimentation (particules en suspension) et à la respiration, qu’il peut rétracter très vivement en cas de danger.

Coquille vide refermée en position de vie montrant la béance des deux valves

En bas, par l’ouverture au bord tronqué, sort le pied très musculeux qui sert d’organe de fouissage : ainsi, vous pouvez orienter l’avant et l’arrière d’après ces deux ouvertures. Si on place un couteau vivant sur le sable, il s’enterre en quelques secondes à la verticale : ils vivent ainsi positionnés dans des terriers verticaux permanents aménagés dans des sédiments sableux depuis la plage jusqu’à une centaine de mètres de profondeur au plus.

Noter la différence de forme des deux extrémités (ici, l’antérieure est en haut)

Au moins six espèces de cette famille (Pharidés) vivent sur les côtes atlantiques, pas toujours faciles à identifier. Le couteau-gaine (Solen marginatus) à coquille droite se distingue par la présence d’un sillon juste en dessous de l’ouverture du haut. Le couteau arqué (Ensis magnus) a une coquille un peu arquée alors que le couteau-silique (E. siliqua) est droit avec des bords bien parallèles ; le couteau-sabre (E. ensis), le plus grand, a une coquille fortement arquée et creuse de ce fait un terrier courbe. Le couteau-gousse (Pharus legumen) se distingue aisément par sa coquille plus fragile avec charnière et ligament situés au milieu de la coquille et non dans le haut. 

Olive de mer

Les coquilles des donaces des canards (Donax vittatus) ou olives de mer accrochent tout de suite le regard par leur aspect vernissé et leur forme inhabituelle de triangle rectangle avec la pointe déportée vers le tiers postérieur ; ainsi, le côté court indique l’arrière de l’animal et le côté long l’avant.  La coloration du dessus varie beaucoup : le plus souvent jaune à vert olive, elle peut être blanchâtre ou brune. Si on a un doute, il suffit d’examiner l’intérieur des valves identiques : sur un fond blanc luisant, on a souvent une belle teinte violacée (ou bien jaune ou orange) parfois foncée et surtout le bord extérieur se démarque par la présence de crénelures en dents de scie très typiques.

Ce motif n’est pas sans rappeler les bords du bec d’un canard mais son nom populaire vient du fait qu’il est activement recherché des canards plongeurs marins tels que macreuses et eiders qui fréquentent les côtes en hiver. Ajoutons la charnière qui comporte des dents marquées et la surface de la coquille avec un fin dessin de lignes rayonnantes en treillis. 

Très commun sur les plages de sable fin qu’il peuple dans leur partie haute, il vit comme les couteaux, enfoncé verticalement dans le sable, respirant et s’alimentant avec deux longs siphons couplés qui affleurent juste en surface. Il capte ainsi via le courant d’eau entretenu les particules en suspension. Souvent les vagues qui déferlent sur la plage le déterrent car il n’est pas enfoncé profondément mais il sait rapidement s’enfouir à l’aide de son pied rétractile. D’ailleurs, on sait qu’il se déplace sur la plage à la faveur des marées hautes, sans doute pour chercher de nouveaux sites. Il peut vivre en populations très denses (des milliers au mètre carré). 

Recherché pour son goût fin, ce coquillage s’est vu attribué une foule de noms populaires tels que olive de mer, haricot de mer, douceron, flion, pignon ou lusette pour les côtes atlantiques.  

Pelure d’oignon ou pétale de rose 

Coquille vide entière avec les deux valves attachées : une image rare

Ces surnoms inattendus vis-à-vis d’un coquillage annoncent l’extrême singularité de la coquille de l’anomie en selle (Anomia ephippium). Elle se démarque par ses deux valves d’aspect très différent, au point qu’autrefois on croyait que chacune d’elles correspondait à un animal différent. Contrairement aux deux précédents fouisseurs, l’anomie vit fixée sur un substrat dur (voir ci-dessous). Elle repose sur celui-ci par sa valve droite, la plus petite des deux : comme elle tend à épouser le support en grandissant, sa forme est très irrégulière mais globalement elle est aplatie et surtout elle porte systématiquement une échancrure, parfois refermée sur elle-même par où passe le byssus (voir le chapitre bivalve ci-dessus). Ce dernier diffère aussi de celui des autres bivalves ainsi fixés car il est calcifié, i.e. très durci : contrairement aux moules qui peuvent se détacher et se refixer avec leur byssus à filaments souples, l’anomie ne peut pas se détacher et donc reste fixée au même endroit à vie. 

La valve gauche, celle du dessus qui cache la valve droite sur l’animal fixé, a une forme nettement bombée avec une surface irrégulière bosselée à écailleuse ; à l’intérieur, on voit trois traces musculaires rapprochées. Cette valve présente souvent un aspect nacré typique à l’intérieur avec des irisations jaunes ou roses quand on la fait jouer dans la lumière à cause du dépôt de couches d’aragonite, une forme minérale du carbonate de calcium. Ceci la rend très attractive pour les collectionneurs de coquillages qui la surnomment souvent « nacre ». Le surnom de pelure d’oignon ou de pétale de rose provient de cette texture si particulière. 

L’anomie fait partie d’une famille à part (Anomiidés) avec notamment une charnière dépourvue de dents. Elle vit sur les côtes rocheuses où elle descend jusqu’à 200m de profondeur et se fixe sur des rochers ou bien à la base des grosses laminaires, ces algues brunes géantes ancrées aux rochers par des structures en forme de bulbes ou de crampons. Il lui arrive aussi de se fixer sur les coquilles St Jacques ou des ormeaux, notamment dans les élevages aquacoles. 

Peignes ou pétoncles 

Tout le monde connaît les peignes ou pectens, cette famille (Pecténidés) de bivalves qui inclut la célébrissime coquille St Jacques (Pecten maximus) : coquille aplatie arrondie portant des côtes ou des plis formant des rayons et deux « oreilles » (égales ou inégales) de part et d’autre de la charnière et du ligament. On les connaît aussi souvent sous le nom populaire de pétoncles (dérivé de pecten) mais ce nom s’applique aussi souvent à d’autres bivalves arrondis. Au-delà de ces caractères faciles à appréhender, qui connaît vraiment les mœurs et la diversité de ce groupe de bivalves ? 

Rarement, les deux valves restent attachées

Les peignes font partie des rares groupes de bivalves « mobiles » menant pour la plupart une vie libre, capables de nager très rapidement en claquant leurs valves et même d’effectuer des migrations. Souvent, les stades jeunes se fixent à un support via un byssus filamenteux mais en grandissant ils s’en affranchissent et deviennent libres. Ils vivent le plus souvent au large, posés sur le fond du côté de la valve bombée, plus ou moins enfoncée dans le sédiment, la valve plate tournée vers le haut ; s’ils sentent un danger (notamment l’approche d’une étoile de mer, redoutable prédateur, ils s’enfuient brutalement en se propulsant un peu au hasard par réaction (jet d’eau projeté par le claquement des valves). Pour repérer les prédateurs, ils disposent entre autres d’un arsenal sensoriel dont une rangée d’yeux simples répartis tout autour des bords du manteau, et exposés quand la coquille est entrouverte pour filtrer l’eau et se nourrir. 

Côtes radiales et « oreille »

Pour fermer leur coquille, ils ne disposent que d’un seul grand muscle adducteur : il est connu de tous via les coquilles St Jacques où il forme une masse filandreuse blanche compacte. Les glandes génitales ou corail se composent d’une partie mâle blanchâtre (sperme) et d’une partie femelle rouge orange (ovules) : ils sont donc hermaphrodites comme une majorité de bivalves. 

Peigne operculé (sauf erreur ?)

Plus d’une quinzaine d’espèces fréquentent les côtes atlantiques. Outre la coquille St Jacques, on peut citer le peigne operculé (Aequipecten opercularis) assez gros avec de fortes côtes rayonnantes, le peigne distordu (Talochlamys pusio), petit, aux valves inégales très déformées avec deux oreilles très dissymétriques et qui mène une vie fixée (coquille soudée aux rochers). Le plus commun est le plus souvent le peigne varié (Mimachlamys varia) aux valves bombées et oreilles très dissymétriques ; comme l’indique son nom, sa coloration varie considérablement : blanc, noir, rouge foncé, marron, violacé, orange vif, rose, … Il vit fixé mais peut néanmoins détacher son byssus. 

Telline papillon

Un superbe petit papillon aux ailes rose vif le plus souvent (parfois jaune ou blanche) : voilà l’image qui vient tout de suite à l’esprit quand on trouve une coquille de cette telline (Macromangulus tenuis) ; curieusement, les coquilles vides se déposent à plat sur le sable avec les valves très écartées ce qui renforce cette apparence de papillon. Des stries concentriques régulières de croissance marquent la surface.

Elle ne mesure pas plus de 3cm de long et détient vraiment la palme d’or de la délicatesse et de l’élégance raffinée. Évidemment, elle est très appréciée des collectionneurs et se prête très bien à la confection de tableaux ou de compositions « florales » vu sa forme et sa couleur. 

Elle recherche les fonds de sable très fin et sans vase : là, elle mène une vie fouisseuse comme les donaces mais s’enfonce assez profondément (jusqu’à 10cm dans le sable) et utilise ses deux longs siphons pour échanger avec la surface. Elle se nourrit de particules organiques en suspension dans l’eau. En dépit de son enfoncement dans le sédiment, certains limicoles (petits échassiers qui fréquentent plages et vasières) comme les huitriers-pies savent les trouver en sondant avec leur long bec. 

La famille des tellines (Tellinidés) compte de nombreuses autres espèces moins voyantes et qui se ressemblent beaucoup dont certaines sont très communes comme la telline épaisse ou la telline de la Baltique, elle aussi avec une coquille rose mais moins fine et moins allongée. 

Nous pourrions poursuivre ainsi pendant des pages et des pages tant la diversité des bivalves est grande sur nos côtes. Il y a par exemple les remarquables pholades, des bivalves « perceurs de pierre », abordées dans une autre chronique. En espérant que cette chronique vous aura donné envie d’aller au-delà de la simple collecte et de chercher à en savoir plus sur ces êtres si particuliers. 

Bibliographie 

Handbook of the marine fauna of North-West Europe. P J Hayward ; J S Ryland. Oxford University Press. 1998

Site DORIS (Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et la flore Subaquatiques) remarquable par sa qualité et sa rigueur