Sambucus racemosa subsp. racemosa

19/07/2022 Notre flore compte trois espèces de sureaux. Deux sont « noirs » ou plutôt à fruits noirs : le sureau hièble, une herbe de grande taille (voir la chronique) et un arbre-arbuste très connu, le sureau noir. Le troisième est le sureau à grappes ou sureau rouge qui va nous intéresser dans cette chronique ; sa répartition montagnarde (d’où son autre surnom de sureau de montagne) fait qu’il est moins répandu à l’échelle du pays mais néanmoins commun dans son aire. On le connaît en général bien moins que son cousin de plaine (mais aussi en montagne jusqu’à 1600m) omniprésent et le plus souvent près des hommes, le sureau noir ; si leurs feuillages se ressemblent beaucoup, leurs fleurs et leurs fruits diffèrent radicalement si bien que beaucoup de gens ne pensent pas à un sureau quand ils croisent le rouge. 

Faux jumeaux 

A 900m d’altitude, côte à côte, un sureau noir (gauche) et un sureau rouge (droite)

Comme ces deux espèces peuvent cohabiter en moyenne montagne et dans le nord, il faut pouvoir les distinguer même quand ils n’ont pas de fruits ou de fleurs, ce qui n’est pas chose facile. Tous les deux ont en fait des feuilles très proches compte tenu de leurs grandes variations respectives selon qu’il s’agit de feuilles sur des rameaux anciens ou sur des rejets ou pousses vigoureuses. Ces feuilles composées comptent de 2 à 7 paires de folioles plus une foliole terminale : le rouge tend à avoir en général moins de folioles que le noir ; ces folioles ovales à elliptiques sont dentées régulièrement tout autour et d’un vert foncé à tendre, plus pâle dessous. Elles tombent en automne (caduques). La seule différence appréciable et constante touche à leur pilosité : chez le sureau noir, les folioles sont un peu velues sur les nervures alors qu’elles sont entièrement glabres chez le rouge. 

Au niveau des rameaux, l’écorce est grise à brunâtre et couverte de lenticelles apparentes chez les deux. Par contre, il existe un critère décisif très fiable mais qui demande de casser un rameau d’au moins un an (un peu ligneux) et de le fendre un peu en long pour bien voir la moelle centrale : celle-ci est blanche chez le sureau noir (un moyen mnémotechnique de s’en rappeler) alors qu’elle présente une teinte roussâtre à brun jaune, orangée dans les très jeunes rameaux, chez le sureau rouge. Au moment où vous cassez le rameau, approchez votre nez : le sureau noir répand une odeur forte fétide alors que celle du rouge est plus agréable, proche de celle du cassis (mais très léger). 

Moelle roussâtre

Les deux espèces partagent un critère original au niveau de leurs paires de feuilles opposées : à leur base, on peut observer deux minuscules appendices foliacés, des stipules (voir la chronique sur ces organes foliaires) qui fonctionnent comme des glandes à nectar : on parle de nectaires extrafloraux (voir la chronique) qui attirent notamment les fourmis.

Celles-ci apportent en retour aux sureaux une certaine protection contre diverses larves d’insectes herbivores qu’elles capturent, exemple d’interaction positive (gagnant/gagnant). Chez leur proche cousin herbacé, le sureau hièble (voir la chronique), les stipules sont au contraire très développées. 

On pourrait aussi les distinguer d’après leur port général mais celui-ci varie considérablement selon les stations et l’âge : le sureau noir tend à devenir un véritable arbre avec parfois de très gros troncs, stade que n’atteint jamais le rouge ; ce dernier tend à avoir des branches arquées retombantes et donc un port plus « en parapluie » mais ceci ne vaut pas pour de jeunes rejets sur des souches coupées. Il eut quand même atteindre 30 à 50 ans mais reste fondamentalement un arbuste. 

Il dépasse rarement cette taille

Grappes versus corymbes 

Floraison mi-avril avec les feuilles juste déployées encore rougeâtres

Avec la floraison, tout devient très facile car une série de grosses différences opposent les deux espèces. Déjà, le sureau rouge fleurit plus tôt que le noir, en avril-mai et surtout en même temps que le débourrement des feuilles ; le noir ne fleurit qu’après le complet déploiement de son feuillage. 

Les inflorescences apparaissent sur le bois d’un an (donc des rameaux déjà durcis, ligneux) versus sur les rameaux verts de l’année chez le noir. 

Si les fleurs petites ont bien la même structure étoilée ouverte, elles sont jaune verdâtre au lieu de blanches et surtout elles sont groupées en grappes ramifiées dressées au bout des rameaux, plus ou moins en forme de pyramides : rien à voir avec les larges fausses-ombelles (corymbes) plates et plus ou moins retombantes du sureau noir. Ces grappes atteignent 8cm de hauteur et répandent une légère odeur forte. L’épithète latin racemosa du nom d’espèce traduit cette structure d’inflorescence puisque racemus en latin signifie grappe ; les botanistes appellent d’ailleurs parfois de telles inflorescences des racèmes.

Bourgeons des grappes de fleurs très renflés ; noter la pointe violacé foncé des écailles

Bien que les fleurs apparaissent alors que le feuillage n’est pas complètement déployé, leur teinte et leur disposition les rend relativement peu voyantes ; les jeunes feuilles récemment déployées et parfois d’une belle teinte bronze rougeâtre attirent à la limite plus l’attention. Ces fleurs petites, ouvertes qui offrent pollen et nectar sont visitées surtout par des diptères et des coléoptères, insectes pollinisateurs généralistes. On le classe parmi les arbustes mellifères intéressants pour la biodiversité des pollinisateurs surtout ceux qui sortent tôt au printemps alors qu’il n’y a que peu de fleurs disponibles en montagne. 

Rouge versus noir 

Avec ses grappes dressées de baies rouge corail vif, le sureau rouge va bien plus attirer l’attention du promeneur. Les baies luisantes, globuleuses ne dépassent pas 4 à 5mm de diamètre : on dirait de petites perles. En les observant de près, on repère que le sommet est entouré de cinq petites écailles, traces des éléments floraux. En les écrasant entre les doigts, on constate qu’elles ne renferment pas de chair mais que du jus abondant, jaunâtre transparent et 3 à 5 graines aplaties jaunes assez grandes. A maturité, le pédoncule primaire, divisé ensuite en branches secondaires, qui porte l’ensemble (la grappe fructifère) se teinte de violacé. Si on tire dessus, il se détache facilement si bien que l’on peut cueillir l’infrutescence d’un bloc. 

Ces baies juteuses, faciles à récolter, d’une taille compatible même avec de petits gosiers, attirent les passereaux qui les consomment. Elles sont nutritives avec des taux relativement élevés de lipides et de protéines en plus des sucres. Ils avalent les baies entières, digèrent le jus et rejettent les graines dures (et toxiques) dans leurs excréments ; ils assurent ainsi la dispersion à plus ou moins grande distance si pendant le temps de la digestion ils se déplacent plus ou moins loin avant de déféquer. Ce mode de dispersion est typique des plantes à fruits charnus ; c’est l’endozoochorie (voir la chronique sur ce mode de dispersion). En France, ces baies sont consommées par des passereaux forestiers : rougequeues à front blanc, fauvettes à tête noire et fauvette des jardins, merles noirs et grives musiciennes, rouges-gorges, … En Allemagne, le sureau rouge porte localement un nom qui signifie « l’arbre du rouge-gorge », à moins que ce ne soit une allusion à la teinte rouge des baies. 

Oiseaux nicheurs

Compte tenu de sa floraison relativement précoce, le sureau rouge fructifie et atteint la maturité en début d’été, période de l’année où très peu d’arbres ou arbustes à fruits charnus portent déjà des fruits mûrs (voir aussi le cas de l’amélanchier). Le sureau noir lui ne sera mûr qu’un mois plus tard et encore en plaine. 

Cette fructification en début d’été signifie que les passereaux qui vont consommer ces baies ne seront pas des migrateurs en transit comme c’est le cas pour la majorité des arbres-arbustes aux fruits mûrs en début d’automne : il va s’agir d’oiseaux nicheurs cantonnés dans des territoires et qui sont en train de nourrir leurs nichées pour la plupart. Ceci va avoir des conséquences importantes quant aux modalités de la dispersion de ses graines. 

Cette dispersion particulière a été étudiée dans la chaîne des Rocheuses sur la côte ouest des USA ; en effet, le sureau rouge y est commun mais sous la forme d’une autre sous-espèce (susbsp. pubens) très proche quine diffère que par des détails de pilosité du feuillage. Si les espèces d’oiseaux frugivores concernées là-bas ne sont pas les mêmes qu’en Europe, on peut néanmoins transposer en supposant que la dispersion se passe probablement de la même manière chez nous. 

Le suivi de plusieurs sites avec des sureaux rouges a montré que 11 espèces les visitaient pour cueillir leurs fruits. Sur les 33 espèces de passereaux présentes dans ces forêts, seules 9 ont été observées sur les sureaux avec largement en tête le piranga écarlate suivi du cardinal à poitrine rose (23% des visites). En fait, le taux de visites n’a rien à voir avec l’abondance relative de l’espèce dans ces milieux : ainsi, la grive des bois qui occupe 80% des parcelles où se trouvent des sureaux n’a pratiquement jamais été observée s’en nourrissant. Ceci dit dépendre de la configuration du bec et surtout de la part de fruits incluse dans le régime distribué aux jeunes. 

L’autre enseignement intéressant concerne la disparité des taux de visites d’un arbuste à l’autre, phénomène connu chez divers arbustes à fruits charnus (voir le cas du fusain). Ainsi, un site avec 9 sureaux portant au total près de 200 grappes de fruits, aucune observation de prélèvement en 3,5 heures de suivi alors qu’un arbuste isolé avec 84 grappes a été visité près de 10 fois/heure. La concentration en sucre varie peut-être selon les arbustes mais aussi leur accessibilité sans risque de prédation. 

Le marquage des mâles de pirangas, consommateurs assidus, montre qu’ils ne s’éloignent guère des limites de leur territoire mais s’ils disposent de sureaux mûrs proches, ils s’y rendent régulièrement.  Ceci signifie que les graines ne seront pas a priori déposées à grande distance de l’arbre producteur. Mais l’important pour le sureau rouge semble bien être avant tout, plus que la distance parcourue, la nature du site où ses graines atterrissent car il a besoin absolument de sites ouverts en pleine forêt ; autrement dit, ce qui prime est plus la qualité du dépôt que la quantité (la distance). 

Amateur de vides 

Alignés le long de la lisière de cette vielle plantation d’épicéas

Effectivement, le sureau rouge colonise les espaces vides même localisés au sein des massifs forestiers ou sur les bordures. Il a besoin d’être en pleine lumière, à la rigueur en mi-ombre pour prospérer. On le trouve donc avant tout dans les coupes rases, les ouvertures créées par les tempêtes où il excelle à s’installer sur les mottes de terre soulevées par les couronnes de racines des chablis, les coupes d’éclaircies dans les plantations de résineux, les pierriers, les maisons abandonnées en pleine forêt, les parcelles ravagées par des incendies, …

C’est là que son mode de dispersion par les oiseaux lui procure un avantage décisif : celui de pouvoir atterrir dans les lieux les plus improbables mais bien dotés en sol et où la compétition se trouve limitée. Il se comporte donc en arbuste pré-forestier qui disparaît quand les boisements se ferment. Ses graines restées dans le sol devront attendre une perturbation génératrice d’une trouée pour germer et reconquérir les lieux. 

Nettement montagnard, le sureau rouge a besoin d’humidité et de fraîcheur et de sols riches en nutriments ; son optimum se situe dans l’étage montagnard même s’il peut descendre presque en plaine dans le nord de son aire. Il monte jusqu’à 2000m accompagnant les brousses à sorbiers au-dessus des forêts subalpines. Il ne craint pas les pentes instables et résiste aux coulées de roches ou de terre en rejetant depuis ses racines. Par contre, il évite les sites inondés et ne s’installe qu’en bordure des zones suintantes dans les pentes. 

En France, on le trouve dans tout un grand quart nord-est, dans les Alpes, le, Massif Central et les Pyrénées. Son aire globale s’étend de l’Europe au nord de la Chine et donc le nord de l’Amérique jusqu’aux rocheuses.

Comestible mais …

Il s’accommode bien des environnements humains … au hasard des dépôts de graines

L’écorce, les feuilles et les racines renferment des glycosides cyanogènes toxiques que l’on retrouve aussi dans les fruits au niveau de la peau, de la pulpe et surtout des graines. Dans un texte du 18ème siècle, on trouve ainsi une mention intrigante peut-être en lien avec cette toxicité : « mettant un de ses rameaux dans les trous des taupes, il les fait sortir, ou elles meurent dedans ». 

La consommation importante de ces baies fraîches, au goût acidulé pas très attractif, peut entraîner des nausées, des vomissements ou des diarrhées. La cuisson détruit une partie de ces glycosides si bien que l’on peut par contre les consommer en confitures. Le mieux est de « filtrer » les graines après écrasement des fruits puisqu’elles concentrent l’essentiel des toxiques. 

Surprenante image de ces sureaux rouges installés sur un vieux toit de lauzes (Sancy 63)

Dans la chaîne des Rocheuses aux USA, on a trouvé des quantités importantes de graines de sureau rouge (plus de 68 000 exhumées) autour de sites occupés datant quelques milliers d’années, preuve d’une intense exploitation humaine. La relative toxicité des graines a dû aussi participer à leur persistance en bon état au cours du temps. 

L’ethnographie locale récente confirme cette utilisation importante. Les ethnies locales récoltaient les grappes de fruits avec une tige armée d’un crochet : ceci est un avantage majeur (voir le chapitre sur les fruits) de cet arbuste à fruits qui facilite son exploitation. Les baies étaient ensuite cuites ou bien écrasées entre les doigts de manière à trier les graines avant d’être séchées. Cette pâte sèche était conservée en vue de l’hiver où on en faisait des gâteaux ou bien on les incorporait en accompagnement d’autres aliments. Ceci explique la concentration des graines sur les sites car elles devaient être rejetées à proximité. L’abondance de cette espèce dans les clairières occupées par les campements incitait à sa récolte. L’Homme devait donc participer aussi à sa dispersion dans les espaces forestiers y compris à longue distance à la faveur des migrations été/hiver. En Europe, on le consomme aussi localement en confitures ou gelées. 

Il vous accompagne au long des sentiers de montagne

Bibliographie

Avian frugivory on a gap specialist, the red elderberry (Sambucus racemosa)
B. J. M. STUTCHBURY, B. CAPUANO, AND G. S. FRASER Wilson Bulletin 117(4):336–340, 2005

Exploring the Use of Red Elderberry (Sambucus racemosa) Fruit on the Southern Northwest Coast of North America Robert Losey et al. Journal of Archaeological Science 30 (2003) 695–707