Taphrina

cloque du pêcher due à Taphrina deformans

Parmi les nombreux organismes capables d’induire la formation de galles chez les végétaux, les champignons figurent en bonne position, du fait notamment du mode de vie naturellement parasite de nombre d’entre d’eux. Rappelons que pour parler de galle il faut que la plante hôte subisse une transformation locale mais qu’en plus elle élabore de nouveaux tissus servant à nourrir le parasite gallicole. Nous avons déjà traité dans une chronique un exemple de champignons responsables de galles charnues sur les airelles et les rhododendrons : les Exobasidium. Mais la diversité des galles dues à des champignons (mycocécidies) va bien au delà ; avec l’exemple des Taphrina nous allons découvrir des transformations encore plus spectaculaires des organes des plantes hôtes.

Ascomycètes

Les Taphrina sont des champignons microscopiques parasites de végétaux qui se classent dans le grand ensemble des ascocmyètes qui nous est familier via nombre de ses représentants : des « microbes » tels que les levures utilisées pour la fabrication du pain, du vin ou de la bière, des macro-champignons tels que pezizes, morilles et truffes et les lichens, associés à des organismes microcosmiques symbiotiques telles que algues ou cyanobactéries (voir les chroniques sur les lichens). Tous partagent une reproduction via des spores contenues dans des sacs dressés ou asques. Ils se situent dans la plus ancienne des trois grandes lignées de cet ensemble (Taphrinomycètes).
On connaît une centaine d’espèces dans ce genre, toutes parasites gallicoles et remarquables par leur spécificité vis-à-vis des plantes hôtes : la plupart des espèces de Taphrina ne s’attaquent qu’à une espèce ou quelques espèces très proches appartenant au même genre. Comme nombre d’Ascomycètes microscopiques, ils existent sous deux formes très différentes : une forme unicellulaire de type levure, non parasite mais se nourrissant de matières organiques et une forme filamenteuse formée d’hyphes cloisonnés (filaments) qui se glissent entre les cellules de la plante hôte infectée ; ces filaments prélèvent au contact des cellules de la plante hôte les éléments nutritifs fabriquées par celles-ci et s’inscrivent donc dans une relation parasite. Il n’y a pas de structure de « suçoirs » (haustorias typiques d’une majorité d’organismes végétaux parasites : voir les chroniques sur les orobanches). Ces hyphes présentent une originalité rare au sein des ascomycètes : les cloisons (septes) délimitent des éléments contenant deux noyaux (dicaryons), trait plutôt typique de l’autre grand groupe de champignons, les Basidiomycètes (voir l’exemple des Exobasidium cités en introduction).

Cloques en stock

Cloque naissante sur une jeune feuille de pêcher

Selon les espèces, les organes des plantes hôtes infectées varient : certains s’attaquent aux feuilles provoquant leur enroulement et l’apparition de grosses boursouflures, ensemble de symptômes connus en langage populaire sous le surnom de cloque. La plus célèbre et la plus répandue est la cloque du pêcher (y compris sous sa forme nectarine) qui peut aussi plus rarement affecter l’amandier (même genre Prunus) : elle est à Taphrina deformans, le bien nommé ! Connue comme « maladie », on ne la range que rarement parmi les galles dont elle est pourtant un exemple classique ! Les feuilles infectées se repèrent de loin : souvent teintées de jaune et de rouge, un peu épaissies, elles présentent de grosses pustules boursouflées et se courbent fortement sur elles-mêmes vers le bas ; souvent, tout un rameau est atteint et on a alors des amas difformes méconnaissables. Les premiers signes apparaissent dès le débourrement des bourgeons et les galles deviennent très visibles en mai ; par contre, dès la mi-juin ou même avant, les feuilles infectées brunissent, sèchent et tombent prématurément. De nouvelles feuilles fraîches peuvent alors se développer sans être infectées car ce parasite semble ne pas supporter des chaleurs excessives ; d’ailleurs les printemps froids et humides suivis de périodes chaudes s’avèrent redoutables pour le développement de ce champignon.

Dispersion

L’aspect cireux blanchâtre de la surface des cloques indique que les spores sont produites

Le cycle cellulaire reste assez simple (pour un champignon microscopique !) avec la germination des champignons sous forme de levures à la surface des écailles des bourgeons : un tube se forme et s’insinue dans les tissus des écailles et se ramifie pour donner des filaments ou hyphes ; ceux-ci prolifèrent entre les cellules de la partie centrale chlorophyllienne de la feuille (le mésophylle) et entre la cuticule et l’épiderme juste sous la surface. Dans les hyphes, des noyaux se fusionnent puis subissent une division réductionnelle (méiose) ce qui donne naissance aux organes reproducteurs ou asques qui bourgeonnent en surface sous forme d’une couche fine d’aspect blanchâtre cireux (comme une pruine). Les asques éclatent et projettent violemment les spores et les levures qui sont entraînées au loin par le vent et la pluie. Cette libération se fait selon un cycle diurne avec les divisions cellulaires durant la nuit et l’expulsion dans la journée. On pense qu’il hiberne sous forme de cellules levures qui survivent à la surface des bourgeons ou des tiges ; pendant l’hiver, elles élaborent des parois plus épaisses qui les protègent et germent donc au printemps.

Diverses études agronomiques ont démontré, au moins en laboratoire dans des cultures cellulaires, que le champignon fabriquait de grosses quantités de substances de croissance végétales (dites phytohormones) telles que l’auxine (AIA) ou des cytokines responsables chez la plante hôte des processus de multiplication cellulaire et d’agrandissement des cellules. Ainsi, la plante élabore t’elle ces tissus hypertrophiés déformés qui servent de site de nourrissage pour le mycélium du champignon. Il pratique donc comme les larves des cynips dans les bédégars des rosiers (voir la chronique) la manipulation physiologique de son hôte à son seul profit.

Balais de sorcière

 

On trouve de telles galles-cloques dues à des Taphrina dans d’autres familles de plantes. Les feuilles des aulnes glutineux subissent ainsi les attaques de Taphrina tosquinetii : elles se déforment en s’incurvant, s’épaississent et deviennent souvent deux fois plus grandes que les feuilles normales (sans doute un des effets collatéraux de la production d’auxine) ; cette galle ne doit pas être confondue avec des galles-pustules très répandues, dues à un acarien Acalitus brevitarsus, et qui se différencient par un feutrage dense de poils blancs sous ces cloques. Chez le peuplier noir et ses hybrides, une autre espèce T. populina provoque la cloque dorée avec des boursouflures sur une partie de la feuille prenant une coloration jaune doré.

D’autres Taphrina affectent plutôt les tiges (T. deformans le fait parfois sur les brindilles des pêchers) et entraînent la formation de grosses boules de tiges très ramifiées et denses surnommées balais de sorcières ; ainsi T. betulina infecte les bouleaux qui voient leurs branches se couvrir de ces amas qui, de loin, font penser à des nids d’oiseaux. Là aussi, ce sont les hormones de croissance produites en excès (cytokines) qui induisent cette ramification anarchique fournissant au champignon des tissus nourriciers concentrés. Attention cependant, d’autres organismes peuvent provoquer de telles malformations spectaculaires : d’autres champignons appartenant à d’autres groupes (comme sur les pins avec la rouille Melamsporella), des bactéries et même des acariens.

Il reste une troisième catégorie de Taphrina : ceux qui infectent des fruits, auteurs de galles remarquables que nous allons explorer.

Languettes et pochettes

Sans la présence de prunelles « normales » vertes on pourrait prendre ces pochettes pour des … pruneaux !

En fin de printemps, certaines années chaudes et humides (comme 2018 !), on peut observer assez couramment une curieuse galle qui touche surtout les prunelliers et surnommée pochette. Au premier abord, elles passent inaperçues car elles ressemblent à des prunes mais anormalement grosses pour un prunellier : de forme ovale et aplatie, ces faux-fruits sont creux et il n’y a pas de noyau à l’intérieur. la couleur varie du vert clair au gris à orange clair mais rapidement la peau de cette « poche » se couvre d’une pruine blanchâtre, signe de la formation des spores. Ensuite, ce faux-fruit se ratatine et tombe. L’infection peut aussi gagner les tiges qui se déforment et s ‘épaississent et portent alors des feuilles en lanières plus petites. Les spores s’installent sur l’écorce et les écailles des bourgeons restant à l’état latent, commençant juste à développer un peu de mycélium mais sans signes apparents. Puis au printemps suivant, le champignon commence à se propager dans les tiges avant de gagner les fleurs où il infecte l’ovaire et provoque une « pseudo-pollinisation » ce qui enclenche le processus de multiplication cellulaire si bien que le « fruit » devient nettement plus gros. Notons que ce parasite affecte aussi les pruniers domestiques, cultivés ou sous leur forme sauvage (P. insititia) très proches parents ; par contre sur le merisier à grappes, pourtant aussi un Prunus (P. padus) c’est une autre espèce Taphrina padi qui intervient !

Terminons ce tour d’horizon des fantaisies taphriniennes avec la galle spectaculaire mais bien plus rare qui touche les cônes femelles des aulnes glutineux et provoque la formation de grosses languettes charnues d’un beau rouge aux formes très variables … mais remarquables !

La galle « clownesque » de T. alni sur les cônes femelles de l’aulne glutineux

Là encore, le champignon s’attaque aux ovaires regroupés dans les cônes femelles des aulnes qu’il transforme en pseudo-cônes stériles. Chaque languette ressemble à un étendard avec une base étroite et une extrémité élargie. D’abord vertes, elles virent au vert pâle, jaune, rose et rouge ou orange du plus bel effet. Elles persistent longtemps (même une partie de l’hiver) tout en devenant brunes et moins visibles. Personnellement, je n’ai eu la chance d’observer cette belle galle qu’une fois en Auvergne à l’étang de Pulvérières (63) ; en Grande-Bretagne, cette galle semble en augmentation depuis les années 1990 et tend à devenir commune.

Vous aurez remarqué qu’à aucun moment, il n’est question dans ma chronique des traitements et soins à apporter aux arbres cultivés ; je renvoie aux sites de jardinage (qui abusent très souvent de la situation pour diffuser des fongicides parfois très toxiques !) ; personnellement, je me refuse à faire le moindre traitement même au cuivre dans mon jardin : j’ai un jeune pêcher qui est ravagé et bien tant pis, s’il n’en réchappe pas il périra et je le remplacerai par une autre espèce non sensible

BIBLIOGRAPHIE

  1. Introduction to fungi. Third edition. J. Webster ; R. W.S.Webster Cambridge University Press. 2007
  2. Plant Galls. M. Redfern. Collins Ed. 2011