Racomitrium canescens

Pour les touristes amateurs d’histoires géologiques, la chaîne des Puys offre une série de sites « naturels » prestigieux incontournables : le Puy-de-Dôme, la montée au Pariou, la Vache et Lassolas, le Gour de Tazenat, … Il reste un dernier « must » plus artificiel en apparence où pourtant le naturel a largement sa place : le Volcan à ciel ouvert de Lemptégy (1). Il s’agit d’une ancienne carrière de scories, ces granulats volcaniques plus connus sous le nom de pouzzolane, où l’on a complètement excavé en cinquante ans un ancien cône de scories (l’ex-Puy de Lemptégy) sur près de 80 mètres de profondeur en laissant au centre deux spectaculaires cheminées volcaniques de lave dure figée. Ce site désormais dédié au tourisme offre une extraordinaire vision des entrailles d’un volcan de type effusif. Mais, et c’est plus inattendu pour un espace ainsi transformé par l’Homme, c’est aussi un superbe espace de nature où l’on peut observer le retour progressif de la végétation après sa destruction. Nous allons développer dans cette chronique un des aspects bien visibles de cette évolution : les tapis de mousses.

Comme après une éruption

L’exploitation des scories a conduit à creuser et donc à mettre à nu la roche principale, la pouzzolane sous forme de graviers et blocs plus ou moins gros et à détruire le sol existant. La progression de l’exploitation s’est faite en gradins successifs ménageant ainsi des banquettes planes alternant avec des talus abrupts ; des surfaces d’anciennes coulées ont même été mises à nu. D’autre part, les énormes bombes volcaniques projetées lors de l’éruption (jusqu’à 60 tonnes la bombe !) ont été laissées sur place parsemant le paysage lunaire de leurs masses imposantes, comme des îlots sur la mer de scories. On retrouve donc ainsi un environnement assez proche de celui qui a du exister lors de la brève éruption qui a donné naissance au volcan de Lemptégy il y a 30 000 ans avec la phase de destruction par la chaleur suivie du refroidissement en moins et le relief complètement inversé (le cône a disparu et laissé place à un immense creux). Comme l’exploitation s’est échelonnée sur plus de cinquante ans, en allant du sommet vers le fond, on peut ainsi de gradin en gradin suivre l’évolution temporelle de la végétation qui reconquiert ces espaces entièrement dénudés, privés de sol : c’est ce que les botanistes appellent une succession végétale.

La mousse blanche

Plus d’une centaine d’espèces de plantes ont été répertoriées dans cet univers minéral (2) formant la végétation pionnière de reconquête des scories. Parmi elles, une espèce domine visuellement quand on circule dans la carrière : une mousse qui forme de vastes tapis sur les banquettes, sur les surfaces de coulées mises à nu, au bord des chemins d’exploitation ou sous forme de taches sur les grosses bombes et blocs dispersés. On la surnomme à juste titre la mousse blanche, Racomitrium canescens.

Ses tiges courtes (quelques centimètres) dressées poussent serrées en tapis extrêmement denses s’étendant parfois sur plusieurs mètres carrés. Elle colonise les espaces ouverts (elle ne supporte pas l’ombrage) faits de graviers de scories avec une fine poussière de roche qui équivaut pour elle à un sol squelettique. Ces tapis sont à peine accrochés au substrat pourtant irrégulier (les mousses n’ont pas de racines) si bien que la moindre perturbation mécanique peut les arracher : la mousse blanche ne supporte pas le piétinement par exemple ni le passage des engins de chantier. Pensez y quand vous en rencontrez dans la nature : évitez de marcher dessus !

A la loupe

Pour aller plus loin dans l’observation de cette mousse, il faut sortir une loupe de poche du type compte-fil, instrument indispensable pour faire de la bryologie, i.e. l’étude des mousses. A l’état sec, on voit des pointes triangulaires effilées blanches qui terminent chacune des innombrables petites feuilles redressées qui couvrent les tiges : on parle de poils dits hyalins, dépourvus de chlorophylle et un peu coriaces qui prolongent plus ou moins la nervure centrale peu marquée de la feuille. Ce sont eux qui confèrent à cette mousse son aspect blanchâtre si typique et qui la fait ressortir d’autant sur le fond sombre des scories.

Vue de dessus, cette mousse semble étoilée à cause de tous ces poils terminant les feuilles disposées tout autour des tiges. On n’observe que rarement les « fructifications », les sporophytes sous forme d’une soie lisse terminée par une urne dressée avec un opercule finement frangé : Racomitrium signifie « chapeau frangé » et renvoie à ce caractère.

Les bryologues ont récemment revisité cette espèce et en font désormais un agrégat, un « groupe de trois espèces très proches » : R. canescens, R. elongatum et R. ericoides. Leur distinction requiert l’usage du microscope et une solide patience pour apprécier les critères distinctifs très subtils et relatifs ! On les regroupe dans un sous-genre Niphotrichum sur la basse des poils terminaux sur les feuilles et la présence de papilles proéminentes sur les cellules des feuilles (au microscope uniquement !).

Renaissance

Que survienne une pluie, et la mousse blanche se métamorphose en quelques minutes en une mousse jaune verdâtre : ses feuilles se déploient et se remettent derechef à fonctionner, i.e. à capter la lumière et le dioxyde de carbone de l’air pour faire la photosynthèse. Mais cette reviviscence ne durera que si l’humidité se maintient ; quand le soleil revient, très rapidement, les feuilles vont se dessécher, se redresser et reprendre l’aspect blanchâtre. Ainsi va la vie des mousses, une vie en pointillés, ponctuée par le bon vouloir de la météorologie !

Ici, à Lemptégy comme dans la majeure partie de la Chaîne des Puys, nous sommes à une altitude au-dessus de 900m et plus avec un climat montagnard assez arrosé (900mm de pluies par an). Grâce à cet arrosage conséquent, la mousse blanche réussit quand même à survivre et progresser sur ce terrain. En effet, quoi de plus hostile pour un végétal qu’une surface sombre qui absorbe la chaleur doublée d’une capacité à « ne pas retenir » l’eau (filtrant) qui en fait un désert biologique. Les mousses, dont celle-ci, réussissent à coloniser ces milieux « invivables » en fractionnant leur activité aux seuls moments favorables, fussent-ils très brefs. Par contre, grâce à cette stratégie, elles peuvent fonctionner en plein hiver (il y a souvent plus d’humidité) tant qu’il ne fait pas trop froid ; les plantes dites « supérieures » entrent en vie ralentie à l’entrée de l’hiver.

Comme aux origines

racocane-tapispano

En fait, on retrouve ici un peu de l’ambiance qui devait régner sur Terre il y a plus de 400 millions d’années quand les premières mousses ont commencé à coloniser le milieu terrestre sans doute en compagnie d’autres pionniers de l’extrême, les lichens. Rappelons que ces derniers ne sont pas des végétaux mais des champignons associés en symbiose avec des algues microscopiques. Par rapport à eux, notre mousse présente un petit désavantage : son incapacité ou presque à coloniser des surfaces pentues ou verticales là où les thalles (la partie végétative) des lichens se plaquent sur la roche et y adhèrent fermement ; de plus, elle a besoin d’un minimum de « sol » même fragmentaire, ce qui est incompatible avec les surfaces trop pentues. On le voit bien sur les gros blocs : la mousse blanche ne s’installe que les micro-creux ou micro-replats formant des colonies éclatées.

Les tapis de mousse blanche, là où ils réussissent à s’installer, préparent à leur insu l’arrivée d’autres pionniers plus ou moins incapables de s’installer directement mais qui trouvent au milieu de ces tapis, à la faveur des petites brèches ponctuelles, un environnement propice : de l’humidité retenue par les tiges des mousses, un peu de matière organique issue de la décomposition des tiges mortes et une protection contre les rayons directs du soleil au niveau des racines. Parmi eux figurent des plantules d’arbres (bouleaux, pins sylvestres, saules marsaults, épicéas, …), des plantes annuelles ou des vivaces. Leur installation définitive va signer l’arrêt de mort de la mousse blanche qui va péricliter sous leur ombrage et disparaître. Mais entre temps, elle aura sans doute réussi à produire des spores via ses sporophytes et celles-ci, transportées par le vent à longue distance, pourront germer sur un autre site favorable : une pente érodée, une carrière, … Ou, pour rester dans l’imaginaire, une nappe de scories fraîchement crachée par une éruption et refroidie …. si la chaîne des Puys reprenait de l’activité !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Site du volcan de Lemptégy : http://www.auvergne-volcan.com
  2. Ecologie et botanique au puy de Lemptégy. M. Tort pp. 44-48 dans : Lemptégy : volcan à ciel ouvert pour comprendre la chaîne des Puys. De Goër et al. Ed. volcan de Lemptégy. 1999
  3. Mousses et hépatiques de France. V. Hugonnot et al. Ed. Biotope. 2015