Vue de Paris depuis la tour Montparnasse

Combien pensez-vous qu’il y ait d’oiseaux nicheurs dans une grande ville européenne de 500 00 habitants ? Avant de lire la suite, nous vous proposons un micro-quiz pour orienter vos choix : 100 00 ; 300 000 ; 600 000 ; 1 million ? Trouver la bonne réponse parmi quatre réponses possibles n’est pas facile mais mesurer cet effectif scientifiquement et concrètement est un tout autre défi qu’une équipe de scientifiques anglais a relevé. Ils ont choisi la ville de Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, à l’Est de Manchester, avec ses 513 000 habitants, la cinquième plus grande municipalité du Royaume-Uni et la neuvième plus grande zone urbaine (1).

Quadrillage

Evidemment, à cette échelle, il est hors de question de cartographier les territoires des oiseaux nicheurs pour évalue précisément leurs effectifs (méthode applicable pour des surfaces de quelques hectares !) d’autant que l’étude a été élargie aux oiseaux en hiver (pas de territoires en hiver !). On a donc recours à des méthodes indirectes d’estimation par échantillonnages ponctuels, méthodes bien rodées et largement validées en ornithologie. Le district urbain de Sheffield a été quadrillé en carrés de 1km et on a retenu pour l’étude tous les carrés comprenant au moins un quart de leur surface occupée par des habitations, soit une surface échantillonnée de 160 km2. Chacun de ces carrés est ensuite partagé en quatre carrés de 500mètres de côté et sur chacun d’eux, un ornithologue effectue des « point-transect » : à partir du point central de chaque carré, pendant cinq minutes, il se déplace lentement et note tous les oiseaux contactés, leur nombre et à quelle distance ils se trouvent. Deux visites sont effectuées par carré en hiver et une pendant la saison de reproduction. A partir de cet échantillonnage, on peut ensuite en appliquant des modèles mathématiques calculer les effectifs de chaque espèce sur chaque carré et évaluer les densités.

Richesse

Le martinet noir avec plus de 26000 individus est dans le top 5 des oiseaux de Sheffield les plus abondants

Avant de donner les effectifs estimés que vous attendez avec impatience, voyons d’abord les résultats en termes d’espèces. 61 espèces ont été recensées comme nicheuses (sur les 84 potentiellement présentes sur l’ensemble du district qui comporte des secteurs non urbanisés) avec comme top 5 dans l’ordre : le moineau domestique, la mésange bleue, l’étourneau sansonnet, le merle noir et le martinet noir. Ces espèces représentent à elles cinq 64% des individus présents pendant la saison de nidification. Ce nombre d’espèces de 61 (la richesse) est dans la moyenne de ce que l’on trouve dans diverses grandes villes européennes.

A noter que contrairement à ce que l’on observe avec la flore (voir la chronique « Le top10 de la flore urbaine »), on ne recense que trois espèces non indigènes : le pigeon biset, le faisan de Colchide et la chouette chevêche (en Grande-Bretagne, cette chouette a été introduite) ; ces trois espèces représentent moins de 2% du total du nombre d’individus.

La ville est clivante !

Le point le plus frappant concerne la répartition des espèces en fonction de l’abondance : on a de nombreuses espèces rares à très rares avec des effectifs très réduits (exemples : pigeon colombin, pic vert, martin-pêcheur, pipit farlouse, bergeronnette grise, poule d’eau, …) et un noyau assez consistent d’espèces communes à très communes avec, outre le top 5 cité ci-dessus, des espèces telles que la mésange charbonnière, le pinson des arbres, le verdier, les pigeons biset et ramier, l’hirondelle de fenêtre, l’accenteur mouchet, le rouge-gorge, … On a très peu d’espèces intermédiaires en termes d’abondance. Vis-à-vis de l’environnement urbain, les oiseaux semblent donc adopter deux grandes voies : on aime et on s’installe et on prospère ; on n’aime pas et on s’en va ou on végète ! Des études menées sur les oiseaux des milieux ruraux ne fournissent pas de situation ainsi contrastée.

Ce qui surprend de plus ici, c’est le nombre malgré tout assez important d’espèces communes ce qui suggère que le nombre de « gagnants » dans l’adaptation au milieu urbain est exceptionnellement élevé. On explique cette abondance voire surabondance pour certaines espèces par la grande disponibilité en nourriture (à condition de savoir l’exploiter !) et le moindre risque de prédation.

Ville refuge

Vingt-deux des espèces communes atteignent des densités bien supérieures à celles calculées pour l’ensemble du pays ; pour dix d’entre elles, les densités sont au moins dix fois plus élevées : le pigeon biset, la tourterelle turque, le martinet noir, l’hirondelle de fenêtre, le moineau domestique, la pie, l’étourneau sansonnet, le verdier, la mésange bleue et le chardonneret élégant.

On aboutit ainsi à un paradoxe : cette ville héberge certaines espèces classées comme en fort déclin à l’échelle nationale voire européenne avec ici des effectifs très étoffés et des densités fortes. Deux espèces attirent à cet égard l’attention. Le moineau domestique atteint ici un effectif estimé de 208 000 oiseaux ! (Vous savez d’ores et déjà que si vous avez choisi l’une des deux premières solutions au quiz initial, vous aviez faux !) Hors, cette espèce a connu un fort déclin en milieu rural (voir les chroniques sur le moineau domestique) enclenché dès les années 1960, conséquence directe de l’intensification agricole ; à partir des années 85, ce déclin l’a aussi affecté en ville mais néanmoins, il y résiste bien mieux que dans la campagne environnante ! Le second exemple symbolique concerne l’étourneau sansonnet qui a connu un véritable crash à partir des années 1965 : – 92% dans les milieux boisés et -66% dans les milieux ruraux ; or, à Sheffield, la population nicheuse est estimée à presque 55 000 individus.

Autrement dit, dans les programmes de conservation des espèces en fort déclin, notamment celles victimes de l’agriculture intensive pour lesquelles la campagne est devenue inhospitalière, la ville peut devenir un refuge intéressant à prendre en compte… à condition que les dites espèces soient capables de s’y adapter !

Eté/hiver

En hiver, on a recensé 64 espèces, chiffre très proche de la richesse estivale ce qui est logique car une majorité d’espèces est sédentaire ; quelques unes migratrices partent (comme les hirondelles de fenêtre ou les martinets) mais il y a aussi des arrivées hivernales d’oiseaux non nicheurs comme les tarins des aulnes, les jaseurs, les grives litornes, … qui compensent les départs.

Il y a cependant quelques bizarreries parmi les sédentaires. Trois espèces sont disproportionnellement plus abondantes en hiver qu’en été : le merle noir, la mésange bleue (deux fois plus abondante en hiver qu’en été) ou la corneille noire ; à l’inverse, le chardonneret et la grive musicienne sont surreprésentés en été par rapport à l’hiver. Aucun trait biologique explicatif ne semble commun à chacun ces deux groupes d’oiseaux : il faut sans doute chercher la réponse dans la mobilité différente des espèces après la saison de reproduction. Les effets du nourrissage hivernal des oiseaux, particulièrement développé en Grande-Bretagne, peuvent aussi interférer pour certaines espèces comme les mésanges bleues.

Effectifs

Et alors, quel est le bon chiffre tant attendu ? L’étude a donc fourni une estimation de 603 000 oiseaux nicheurs, soit 1,18 oiseau/habitant au printemps et 578 000 individus en hiver soit 1,13 oiseau/habitant en hiver. Ce chiffre doit être mis en parallèle d’une estimation globale pour l’ensemble du pays de 134 millions d’oiseaux soit 2,24 oiseaux par habitant. On serait tenté de dire que, alors, la ville n’est pas très accueillante pour les oiseaux mais c’est oublier l’importance de la concentration humaine sur une surface réduite qui change complètement les ratios !

Par contre, au niveau des densités toutes espèces confondues, l’estimation à l’échelle du pays est de 551 oiseaux pour 1 km2 contre … 3770 pour la ville de Sheffield ! Très peu d’espèces qui à l’échelle nationale ont des densités inférieures à 1 oiseau/ km2 se retrouvent en ville ou alors avec des effectifs très réduits : ceci confirme que la majorité des espèces urbaines sont bien des espèces relativement communes.

Ces résultats m’inspirent une réflexion : que la ville soit devenue un refuge, voire un éden pour nombre d’espèces qui ont été décimées dans les milieux ruraux du fait de l’intensification agricole en dit long, trop long, sur l’inhospitalité engendrée par les pratiques agricoles intensives et leur côté absurde dans cette fuite en avant.

BIBLIOGRAPHIE

  1. How many birds are there in a city of half a million people?
 Richard A. Fuller, Jamie Tratalos and Kevin J. Gaston. Diversity and Distributions, (Diversity Distrib.) (2009) 15, 328–337
  2. Oiseaux nicheurs de Paris. Un atlas urbain. F. Malher et al. Ed. Delachaux et Niestlé. 2010

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les oiseaux des villes
Page(s) : Le guide de la nature en ville
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Page(s) : Le Guide Des Oiseaux De France