Malva

Dans la famille des Malvacées, le genre Mauve (Malva en latin) regroupe pas moins de 15 espèces sauvages ou naturalisées en France. Nous avons déjà consacré une chronique dédiée à un autre genre de cette famille, les roses trémières (Alcea). Si le grand public connaît intuitivement ce genre très populaire, la distinction des différentes espèces pose nettement plus de problème même en se limitant aux seules espèces communes. Nous avons donc ici retenu les trois espèces les plus communes, réparties dans toute la France et avec des fleurs de taille moyenne : la mauve alcée, la mauve musquée et la grande mauve en faisant le pari qu’elles vont vous devenir tellement familières que vous saurez désormais les identifier au premier regard et que surtout elles n’auront plus aucun secret pour vous ! Mettre un nom d’espèce c’est bien mais ne peut être un but en soi si on ne cherche pas à en savoir plus sur son anatomie, sa biologie et son écologie. 

Mauves 

Selon le dictionnaire le Robert, le nom mauve remonte au 13ème siècle sous la forme mave, issu du latin malva, probablement repris d’une langue méditerranéenne. Il faut attendre le début du 19ème siècle pour que l’on utilise ce mot sous la forme d’adjectif pour désigner une teinte violet pâle ; le problème est que seule une des trois espèces choisies répond à ce critère : la grande mauve avec ses fleurs mauve vif mais tirant sur le pourpre, les deux autres relevant du rose ! 

Les fleurs des mauves se reconnaissent très facilement à la combinaison d’un ensemble de caractères partagés : la corolle formée de cinq pétales libres (séparés jusqu’à la base) assez grands (2 à 4cm de diamètre pour la fleur ouverte) plus ou moins échancrés au sommet ; à leur base rétrécie, côté intérieur, on observe des poils fins qui protègent des petits creux sécréteurs de nectar

– dans la fleur en bouton, les pétales s’enroulent en « drapeau » d’une manière très élégante, enveloppés à leur base par le calice vert à cinq sépales soudés à leur base ; le calice est doublé par en-dessous par un « second » calice de trois segments, une originalité typique des mauves : l’épicalice ou calicule 

– au centre de la fleur épanouie se dresse une colonne cylindrique faite de la fusion des nombreuses étamines, soudées sur une bonne partie de leur longueur par leurs filets : les extrémités libres portent les anthères en forme de rein, chargées de pollen et s’écartent vers l’extérieur pour s’ouvrir 

– au milieu de cette colonne émerge un faisceau de petites pointes : ce sont les styles terminés par un mince stigmate allongé, reliés aux ovaires cachés à la base de la fleur ; ils se déploient à maturité formant comme une sorte de parapluie au-dessus des étamines qui commencent à faner : ce décalage styles/étamines évite l’autofécondation des ovules par le pollen de la fleur et constitue une forme de protandrie (mâle d’abord puis femelle). 

Fromageons 

Ces mauves, et surtout la grande mauve, partagent plusieurs surnoms populaires surprenants a priori : petit fromage, fleur à fromage, fromageon ; on retrouve ce même thème dans les surnoms anglais : bread and cheese ou cheese log pick. Ces noms font allusion aux fruits secs faciles à observer une fois que la fleur est fanée et sa corolle tombée. Dans la coupe formée par le calice et l’épicalice persistants, aux sépales étalés ou repliés selon les espèces, apparaît à maturité une étrange figure : une couronne circulaire formée de nombreux éléments serrés, bien rangés régulièrement qui ressemblent effectivement à un fromage découpé en portions ; elle entoure la base persistante  de la colonne des étamines tombées ! Chaque élément correspond à un ovaire contenant une seule graine dont l’enveloppe est soudée à la paroi de l’ovaire : il s’agit donc d’akènes, fruits secs qui ne s’ouvrent pas. A maturité, cette couronne finit par se disloquer en autant d’éléments qui se séparent : on parle de méricarpes et l’ensemble forme un fruit multiple ou schizocarpe. Chacun d’eux a la forme d’un disque en croissant aplati avec un rebord dorsal renforcé (celui qui est visible de l’extérieur). Leur nombre total correspond exactement au nombre de styles qui émergent au sommet de la colonne staminale puisque chaque ovaire porte un style. 

Autrefois à la campagne, les enfants adoraient grignoter ces fromageons encore verts (à maturité ils sont secs et durs) parfaitement comestibles et que l’on peut ajouter comme friandises dans les salades. D’ailleurs ces plantes ont longtemps été cultivées comme légumes pour leurs feuilles en salade ou comme herbe à cuire. Toute la plante contient des mucilages adoucissants ; dans les fruits, leur présence permet le gonflement de ceux-ci au contact de l’eau ce qui les rend gluants et facilite leur dispersion en se collant sur des animaux ou des humains (exozoochorie). 

Hétérophyllie 

Feuilles à nervation palmée (grande mauve)

La variabilité de la forme des feuilles s’exprime fortement chez ces mauves et complique un peu leur identification, notamment tant qu’elles ne sont pas fleuries. Néanmoins, elles partagent plusieurs critères : une disposition alterne le long des tiges ; des pétioles plutôt longs ; des nervures principales palmées, i.e. partant de la base de pétiole et s’écartant comme les doigts d’une main ; un contour plus ou moins arrondi avec a minima des ébauches de lobes et/ou de dents.

Chez la grande mauve, la variabilité s’exprime surtout entre individus selon le stade et les conditions de développement notamment. De forme nettement arrondie, elles portent toujours des lobes irrégulièrement dentés, peu marqués mais dépassant au moins 1/5 de la longueur totale du limbe de la feuille ; sur les tiges, en montant, les lobes tendent à devenir plus aigus et les pétioles plus courts. Elles portent souvent des taches foncées noires ou pourpres au départ des nervures.  On peut les confondre avec celles d’une autre espèce de mauve très commune mais non incluse ici (elle a des fleurs petites presque blanches), la petite mauve ou mauve à feuilles rondes, spécialiste des pelouses piétinées et des cultures : ses petites feuilles rondes ont des lobes qui ne dépassent pas les 1/5 et elles portent aussi souvent une petite tache rouge à la jonction avec le pétiole. 

Chez les mauves alcée et musquée, la variabilité s’exprime par contre au sein de chaque individu de manière très marquée avec les feuilles basales et inférieures peu découpées, parfois juste un peu lobées et les feuilles supérieures des tiges de plus en plus découpées vers le haut et de taille décroissante avec un pétiole plus court.

Chez la mauve alcée, les feuilles basales sont en général peu découpées presque arrondies alors que chez la musquée elles sont souvent divisées jusqu’à la moitié du limbe ; mais il faut se méfier pour cette dernière des plantes qui repoussent en fin d’été après la fauche des prairies où elles vivent : les feuilles peuvent alors être nettement moins découpées ! La différence devient encore plus marquée pour les feuilles supérieures : celles de l’alcée ont 5 divisions avec des segments entiers ou lobés, les toutes dernières étant souvent en 3 segments ; chez la musquée, on observe entre 5 et 7 divisions avec des segments très étroits et profondément découpés. 

Port 

Les trois espèces choisies sont vivaces et forment des touffes de plusieurs tiges. 

Touffes opulentes de grande mauve au bord d’une route : une manne pour les insectes pollinisateurs

La grande mauve mérite bien son nom avec ses touffes robustes pouvant atteindre 1,20m de hauteur mais aussi rester très basses à seulement 30cm de haut ! Elle présente un port relativement étalé, à partir d’un pied central : les tiges souvent ligneuses à la base se redressent rapidement. La première année, elle développe une puissante racine pivotante blanche et pulpeuse, ramifiée avec de nombreuses racines latérales : elle produit une grosse touffe de feuilles basales avant de commencer à fleurir dès l’année suivante. A l’entrée de l’hiver, les tiges florales sèchent mais de nouvelles rosettes se développent depuis le collet de la souche. La petite mauve citée ci-dessus qui lui ressemble un peu par ses feuilles arbore un port nettement couché rampant avec des tiges ramifiées, tendant parfois à se souder entre elles ; à la floraison, elles se redressent un peu mais seulement aux extrémités. Elle se comporte soit en plante annuelle notamment dans les cultures, soit en vivace. 

La mauve alcée égale presque la grande mauve en taille (1,20m aussi) mais avec un port nettement dressé et droit sans l’aspect buissonnant de la grande mauve. En cela elle se distingue nettement de sa cousine la mauve musquée qui ne dépasse guère 60cm de haut ; autrement dit, une mauve à fleurs roses dépassant le mètre en hauteur est à coup sûr une mauve alcée sans même à avoir à regarder les feuilles. 

Alcée 

Une image assez rare : une belle population de mauves alcées dans une prairie alluviale

Terminons donc ce tour d’horizon par une petite monographie individuelle de chacune des trois mauves sélectionnées pour explorer leur écologie. Toutes les trois recherchent des stations avec des sols relativement riches en nutriments (dont des nitrates), souvent du fait des activités humaines : on les classe donc dans les plantes rudérales ou nitrophiles. Elles demandent aussi toutes les trois un certain ensoleillement (milieux ouverts) et des sites chauds ce qui en fait des plantes dites thermophiles (« aimant la chaleur »). 

Des trois espèces sélectionnées, la mauve alcée est sans doute la moins commune, souvent en petit nombre dans ses stations. Elle habite des associations végétales à base de grandes plantes rudérales : carottes sauvages, mélilots, chardons, … avec une nette préférence pour les substrats calcaires. On la trouve plus fréquemment dans les grandes vallées alluviales au bord des cours d’eau dans les friches et sur les digues et berges ; enfin, on peut l’observer sur des lisières bien exposées ou dans des clairières forestières. 

Fleurs somptueuses étagées tout au long des tiges

Outre les critères déjà cités ci-dessus, la mauve alcée se distingue par ses fleurs d’un rose soutenu (versus nettement plus clair pour la mauve musquée) qui justifie son nom de alcée, dérivé du nom latin de la rose trémière (voir la chronique) sa grande cousine aux fleurs géantes satinées. Comme chez la musquée, les fleurs sont solitaires à l’aisselle des feuilles, chacune sur un pédicelle ; vers le sommet de la plante, elles tendent à se télescoper en groupe du fait du raccourcissement des entre-nœuds, au moins en début de floraison. Chez la grande mauve, les fleurs se regroupent par bouquets de 2 à 6 à l’aisselle des feuilles. 

Le critère décisif en cas de doute concerne l’épicalice sous le calice : les trois segments qui le composent dépassent 2mm de large avec une base élargie. D’autre part, toutes les parties végétatives (dont le calice, l’épicalice, les pédicelles) portent des poils étoilés distinctifs mais il faut une loupe à main pour bien les voir. 

Musquée 

Mauve musquée dans une friche herbacée (jachère)

La mauve musquée est commune dans toute la France avec un milieu d’élection : les prés fauchés et les pâturages. Elle y connaît souvent une seconde vague de floraison après la fauche ou le passage du bétail en fin d’été même si elle adopte souvent alors un port plus bas et plus ramifié.

Elle fréquente aussi divers milieux aux sols enrichis : bords des haies, chemins, bords des cultures, accotements, lisières et clairières, talus des voies ferrées : on peut donc la considérer comme très adaptable avec une écologie dite plastique.  Elle sert souvent de plante nourricière pour un petit papillon grisâtre, la grisette ou hespérie de l’alcée (Carcharodus alceae) : sa chenille grise avec deux taches jaunes sur le cou et une tête noir foncé tisse une toile qui unit plusieurs feuilles formant une tente larvaire : elle dévore ainsi les feuilles de l’intérieur à l’abri des prédateurs. On peut aussi la trouver sur les deux autres mauves, sur des guimauves (voir le nouveau genre) et dans les jardins sur les roses trémières. 

Moins élevée donc que l’alcée (voir ci-dessus), la mauve musquée s’en distingue par ses feuilles supérieures très découpées profondément et ses fleurs d’un rose clair allant parfois jusqu’au blanc. Le qualificatif de musquée renvoie au très léger parfum de ses fleurs, surtout sensible paraît il quand on ramène un bouquet à l’intérieur ; sur le terrain, on ne sent pas grand chose en fait ce qui ne peut en faire un critère distinctif fiable par rapport à la mauve alcée dont les fleurs sont inodores ! Les trois segments de l’épicalice sont très étroits (moins de 1,5mm de large), bien plus longs que larges. Les fruits (méricarpes : voir ci-dessus) mûrs sont lisses (ridés en travers chez l’alcée) et portent de longs poils blancs sur le dos (versus glabres ou poilus seulement à la pointe pour l’alcée).

Grande 

L’abondante floraison de la grande mauve

La grande mauve montre un caractère rudéral nettement accentué par rapport aux deux précédentes si bien qu’on la trouve bien plus souvent au plus près des hommes et de leurs activités sources d’enrichissement des sols en nutriments : décombres, terrains vagues, cours des fermes, chemins, accotements, cultures sarclées, vignes, vergers, jachères, friches à grandes herbes, pelouses urbaines, bords des rivières…

Touffe installée dans une friche urbaine sur un espace récemment remblayé

De ce fait aussi, elle est la plus répandue des trois, tout autant que sa petite cousine déjà mentionnée, la petite mauve. Elle a bénéficié aussi par le passé de son statut de plante cultivée comme légume et ce depuis la Préhistoire. On en consommait les jeunes pousses et les feuilles et on l’utilisait par ailleurs pour ses propriétés médicinales adoucissantes du fait de sa richesse en mucilages. Elle a même eu un temps la réputation de omnimorbia, « remède à toutes les maladies », une panacée donc. 

La grande mauve diffère nettement des deux autres par ses fleurs d’une couleur mauve foncé avec des rayures et veines pourpre foncé ; les pétales sont nettement échancrés au sommet en deux lobes. Contrairement aux deux autres, ses fleurs sont groupées par paquets aux aisselles des feuilles si bien qu’une belle touffe peut offrir des centaines de fleurs. On cultive de plus en plus (notamment dans les jachères) une variété horticole très grande, surnommé mauve de Mauritanie (à tort car il s’agit en fait d’un cultivar) aux grands pétales rouge foncé et aux fleurs pouvant atteindre 5cm de diamètre ; elle s’hybride avec les mauves sauvages et tend à se répandre à proximité des cultures et des habitations humaines. On la cultive aussi pour la production de mauve médicinale. 

Sur le littoral, on peut la confondre avec une grande espèce presque ligneuse au port d’arbuste, la mauve en arbre aux pétales de même teinte mais à base noirâtre ; cette belle espèce habite les friches et rocailles du littoral souvent elle aussi non loin des hommes.

On cultive aussi comme ornementale une malvacée aux fleurs mauve pourpre, la malope qui a un épicalice très développé aux segments larges en forme de cœur et dont les méricarpes forment une tête arrondie. 

Nouveau genre 

La classification du vivant connaît depuis deux décennies de profonds changements associés à la généralisation de l’exploitation de l’ADN comme témoignage des parentés. Ce recours généralisé à la génétique s’est particulièrement imposé dans la classification des plantes à fleurs, un groupe gigantesque et qui a connu une évolution très rapide. Les résultats obtenus conduisent à reconsidérer la classification « ancienne » basée essentiellement sur des caractères observables directement mais qui comportent des « pièges » quant à leur interprétation comme preuve de parenté. Ainsi, pour les Malvacées, une étude datant de 2009 et centrée sur les espèces proches des Mauves a révélé que la délimitation ancienne des genres, basée notamment sur les caractères de l’épicalice, ne tenait pas la route. Ainsi, certaines espèces autrefois classées dans le genre guimauve (Althaea) comme la guimauve hérissée, une espèce peu commune des cultures et friches calcaires ou les lavatères (Lavatera) s’inséraient en fait au milieu des mauves classiques (Malva). On a donc redélimité le genre Malva pour y inclure désormais les ex-lavatères comme la mauve en arbre citée ci-dessus (autrefois Lavatera arborea et devenue donc Malva arborea) et une partie des guimauves : ainsi la guimauve hérissée (autrefois Althaea hirsuta) est devenue Malva setigera.  Par contre, la guimauve officinale (Althaea officinalis) reste bien à part dans son genre alors qu’elle partage avec la mauve hérissée un épicalice à 6 à 9 segments étroits (au lieu de 3 chez les mauves classiques) : ceci signifie que ce caractère est apapru deux fois indépendamment dans des lignées différentes : une fois dans celle des guimauves et une fois au sein de celles des mauves. 

Ainsi va la classification du vivant : elle aussi « évolue » au gré des découvertes. Certains botanistes s’en agacent ou même deviennent virulents envers ces changements en arguant que cela ne leur facilite pas la tâche de mémorisation des noms des plantes : ce faisant, ils oublient complètement que la classification relève d’une démarche scientifique rigoureuse et qui doit s’actualiser au fur et à mesure des découvertes et que son objectif reste de reconstituer l’histoire du vivant ; la science n’est pas au service du confort intellectuel des uns ou des autres. Sans ce travail permanent d’actualisation scientifique, la classification n’aurait aucun sens et ne traduirait pas l’histoire du vivant. 

Bibliographie 

FLORA GALLICA. Flore de France. J-M. Tison ; B. de Foucault. Ed. Biotope. 2014

FLORA VEGETATIVA. S. Eggenberg ; A. Möhl. Ed. Rossolis. 2007

Five molecular markers reveal extensive morphological homoplasy and reticulate evolution in the Malva alliance (Malvaceae). Pedro Escobar García, Peter Schönswetter, Javier Fuertes Aguilar, Gonzalo Nieto Feliner , Gerald M. Schneeweiss Molecular Phylogenetics and Evolution 50 (2009) 226–239