Trombidiidae

Trombidion sur la mousse d’une écorce de noyer

20/02/2021 14h Alors que je suis concentré à photographier de beaux lichens sur une écorce de noyer, je vois tout à coup passer dans le champ une petite bête toute rouge à l’aspect délicatement velouté : un trombidion, un acarien. En m’écartant pour essayer de le cadrer, je découvre qu’ils sont en fait des dizaines à courir en tous sens sur cette écorce chauffée par le soleil alors que la température ambiante ne dépasse pas 10° avec un fort vent. Je pars derechef à leur poursuite en collant l’objectif à l’écorce car ces trombidions ont beau être parmi les plus grands des acariens, ils ne font qu’à peine 4mm ; mais cela suffit pour réaliser quelques clichés corrects. Tout en les observant à travers le viseur (grossissant !), je réalise tout à coup que je ne connais rien de ces charmantes bestioles que j’ai pourtant déjà observées pas mal de fois : rien, sauf que ce sont des acariens. Un naturaliste ne peut se contenter d’un nom et d’une affiliation : aussi, à peine rentré, j’ai entrepris une recherche bibliographique pleine de surprises inattendues à leur propos. Ainsi, est née cette chronique … comme tant d’autres avec le plaisir de partager avec vous tous, lectrices (eurs), la joie de parcourir les chemins du savoir. 

Sur une écorce de tilleul

Acariens 

Pour faire connaissance avec les trombidions, entrons par la grande porte de leur groupe d’affiliation, les Acariens, un monde diversifié (plus de 50 000 espèces connues dans le monde mais sans doute plus d’un million), mais très méconnu du fait de leur petitesse générale : de quelques millimètres pour les plus grands à quelques centièmes de millimètre, la majorité étant en-dessous du millimètre. Ils se placent au sein des arthropodes, les animaux à pattes articulées et avec une peau durcie servant d’exosquelette, et plus particulièrement au sein des chélicérates l’une des deux grandes lignées qui divergent dès l’origine des Arthropodes ; l’autre lignée est celle des mandibulates qui renferment les myriapodes, les « crustacés » au sens large et les insectes. Les chélicérates se distinguent par la présence de quatre paires de pattes locomotrices et de deux paires d’appendices particuliers à l’avant du corps : les chélicères et les pédipalpes. Ils diffèrent des mandibulates par l’absence d’antennes (voir la chronique sur les antennes des insectes) et de mandibules.

Les chélicérates regroupent les limules (Mérostomes), les opilions (qui ne sont pas des araignées : voir la chronique), les scorpions, les pseudo-scorpions, les araignées et apparentées et donc les acariens au sens large (Acaromorphes). Ils divergent des autres chélicérates par des caractères originaux : leurs spermatozoïdes n’ont pas de flagelle ; les pièces buccales forment un rostre médian formé par des pédipalpes très réduits et en partie soudés et des chélicères en forme de stylets (voir le cas des tiques) ; le stade larvaire n’a que trois paires de pattes ; chez la majorité d’entre eux, les parties avant (prosome) et arrière (opisthosome) du corps forment un seul bloc contrairement aux araignées ; aucun segment ne marque le corps contrairement aux opilions (voir la chronique). 

Au sein des Acariens, on distingue plusieurs superordres dont les Parasitoformes qui renferment les tiques entre autres (voir la chronique générale) et les Acariformes au sein desquels se trouvent les trombidions dans la famille des Trombiidés. Mais, la diversité des Acariformes est immense avec, pour ne citer que des acariens qui « font parler d’eux » et qui appartiennent à d’autres familles : les cirons (ou tyroglyphes) qui grouillent dans les vieux fromages (Acaridés) ; le sarcopte responsable de la gale (Sarcoptidés) ; les Demodex qui vivent en commensaux dans nos follicules pileux (Demodecidés) ; les aoûtats responsables de démangeaisons cutanées (Trombiculidés) ; les oribates innombrables dans la litière du sol ; les « araignées rouges » parasites des végétaux (Tétranychidés) (voir l’exemple spectaculaire de l’acarien des ajoncs et ses toiles communautaires) ; les acariens gallicoles (Eriophyidés) ; le varroa qui décime les ruchers d’abeilles (Varroidés)  ; les hydroacariens des eaux douces ; et bien d’autres ! 

Grands trombidions

Venons-en donc maintenant à l’instigateur de cette chronique, ce trombidion que l’on observe souvent en train de courir sur les écorces ou les murs. Il va nous servir d’introduction à la famille des trombidions dont nous dévoilerons ensuite les mœurs étonnantes. Sur la plupart des sites généralistes, on assigne presque toujours ces « gros » trombidions à une espèce précise, le trombidion soyeux (Trombidium holosericeum) arguant qu’il est le plus grand (4 à 5mm) ; mais, en fait, il existe d’autres genres très proches (dont Allothrombium avec au moins quatre espèces) avec le même habitus. Or, l’identification des genres et espèces chez les trombidiidés repose sur des critères très pointus et relatifs (longueur des poils de l’abdomen, épaisseur et forme des « griffes »,  ….) et plusieurs autres espèces ont à peu près la même longueur. Donc, nous resterons prudemment à Trombidion sp, i.e. que nous ne présumons même pas du genre sur nos clichés ! En tout cas, ces « gros » trombidions ont effectivement l’avantage d’être observables facilement et directement et photographiables sans trop de difficultés. 

Le trait marquant de ces acariens est leur coloration d’un rouge intense, teinté d’orange et dû à la présence de caroténoïdes ; il faut y ajouter l’aspect remarquable velouté dû à la multitude de poils qui couvrent le corps. Ceci leur vaut le surnom anglais de large red velvet mite, soit « grands acariens rouges veloutés » ; soulignons à cette occasion qu’acarien se dit en anglais mite …. que les traducteurs automatiques ne manquent jamais de traduire par … mites (des papillons). Le nom d’espèce holosericeum signifie « entièrement soyeux » mais ceci vaut pour de nombreuses espèces et genres ! 

Dessus
Dessous
De profil

On remarque très vite la présence de quatre paires de pattes mais contrairement à celles des araignées qui semblent rayonner depuis un point central comme les rayons d’une bicyclette, elles émergent ici en deux groupes, un vers l’avant et l’autre plus vers l’arrière. Ne pas confondre la première paire de pattes souvent étendue en avant avec … des antennes que ne possèdent pas ces animaux du groupe des chélicérates (voir la chronique sur les antennes). On note, en vue rapprochée, les deux pédipalpes qui encadrent le rostre suçeur. Sous la loupe binoculaire, on découvre deux « ongles » ou griffes au bout de chacune des pattes. 

Ces grands trombidions adultes passent en fait l’essentiel de leur vie au sol (comme la majorité des membres de la famille) et ne s’exposent ainsi sur des troncs ou des pierres qu’à la période des accouplements où ils exploitent la chaleur emmagasinée pour s’activer en tous sens. 

Signalons que ces trombidions de pays tempérés ne sont pas les plus grands de la famille : dans les déserts américains, vit le genre Dinothrombium qui atteint 12mm … un super-géant comme son nom le suggère bien. 

Tr ou thr ? 

Il ne vous aura pas échappé que les noms latins de genres s’écrivent soit avec Tr comme dans Trombidium, soit avec Thr comme dans Allothrombium. Un article très fouillé paru dans la revue Acarologia démêle l’imbroglio historique derrière cette curiosité de syntaxe. Contrairement à ce que l’on trouve sur internet, l’étymologie de trombidion ou Trombidium ne viendrait pas de tromba qui signifie trompe mais d’un mot grec signifiant « en forme de tête de toupie » (Dictionnaire de 1864) ; le T équivaut au Tau grec, soit le t de notre alphabet. Thrombium par contre dérive de Thrombus qui désigne un caillot de sang (voir thrombose) et dans ce cas il s’agit de la lettre grec thêta qui s’accompagne d’un h. 

Le nom de genre Trombidium fut le premier créé avec l’orthographe Tr en 1775 par J-C. Fabricius. A l’époque, les scientifiques ont dû être frappé par la forme particulière du corps plus que par la couleur rouge car on travaillait sur des échantillons conservés dans de l’alcool où la belle couleur rouge s’effaçait ! Thrombus quant à lui apparaît en 1903 pour désigner un genre nouveau et dans la foulée, A. Berlèse, entomologiste resté célèbre pour l’invention de l’extracteur de petite faune du sol, va le combiner pour créer le nom de genre Allothrombium. D’autres combinaisons du même type vont suivre comme Dinothrombiumci-dessus. Le même A. Berlèse refusa d’écrire le Trombidium de Fabricius avec une nouvelle orthographe. Il va même créer en 1905 un nouveau genre Trombicula avec Tr cette fois !

Tout ceci n’est rien par rapport au vocabulaire spécifique créé pour décrire les innombrables stades du cycle de vie incroyablement complexe de ces acariens. 

Épouvantable cycle 

Pas moins de sept stades jalonnent la vie d’un trombidion de l’œuf à l’adulte : accrochez-vous car le lexique est rude ! Le cycle de vie ne comporte qu’une génération par an dans nos régions tempérées. Les œufs sont pondus dans le sol après l’accouplement de ces animaux bisexués entre mars et juillet selon les espèces et les environnements. Un à deux mois plus tard, ils éclosent pour donner des pré-larves qui se transforment en larves qui n’ont que trois paires de pattes (comme chez les tiques : voir la chronique). Elles mènent une vie de parasites externes en se fixant sur de petits arthropodes (insectes, araignées, autres acariens) dont elles sucent les liquides internes. On les remarque sous forme de petits globules rouges, parfois agglutinés en grappes serrées sur leurs hôtes. Au bout de une à deux semaines, ces larves se détachent de leur hôte pour rejoindre le sol. Là, elles vont subir une série de trois transformations sous forme de nymphes ; ce nom, qui signifie « jeune épouse », fait allusion au fait que leur corps est revêtu d’une enveloppe molle et transparente, non assujettie au corps : les larves de transforment à l’intérieur de leur ancienne cuticule. On a d’abord une protonymphe qualifiée de calyptostatique (calypto = caché ; stase= arrêt) car elle ne peut se mouvoir ni se nourrir dans son enveloppe. Puis, elle se métamorphose en une deutonymphe qui émerge en été ou en automne et se nourrit au sol ou sur les plantes. Les deutonymphes se métamorphosent ensuite à nouveau en tritonymphes elles aussi calyptostatiques avant d’éclore en adultes libres qui vont hiberner dans le sol. Ouf : on est au bout du cycle. Tôt au printemps, ces adultes émergent aux premières chaleurs … comme ceux décrits en introduction. Ce cycle dure au total de 6-7 mois à 10 mois selon les genres.

Les adultes se rassemblent alors sur des sites ensoleillés au-dessus du sol et entreprennent des danses amoureuses extravagantes. Chaque mâle dépose ses propres spermatophores (paquets de spermatozoïdes) en surplomb sur des brindilles ou des feuilles, et tisse autour un réseau de fils de soie intriqués. Chaque mâle cherche à attirer une femelle vers ce « jardin d’amour » ; si une femelle entre, elle va s’installer au-dessus d’un spermatophore et l’intègre via son orifice génital (gonopore). Chaque spermatophore se compose d’un pédoncule de 350-550 microns de hauteur surmonté d’une gouttelette compacte de sperme sans enveloppe. Les œufs sont pondus en masses dans le sol, la litière ou l’humus. La fécondité varie selon les espèces allant de 60 à … 100 000 œufs selon les espèces ! 

Ectoparasites 

Les larves se comportent donc en parasites externes ; dès leur émergence des œufs dans le sol, elles sont guidées vers la surface par la lumière et cherchent des plantes sur lesquelles elles se hissent pour attendre le passage d’un hôte. Pour beaucoup d’espèces, les larves sont inconnues et on ne connaît pas leurs hôtes. Chez certaines espèces, les larves peuvent effectuer des sauts incroyables équivalents à plus de 25 fois leur longueur : il s’agirait peut-être d’un moyen d’atterrir sur leurs hôtes. D’autres espèces (Trombidinia), parasites des criquets, semblent utiliser la localisation sonore : on les trouve plus souvent sur les mâles (chanteurs) que les femelles ; ils possèdent sur leurs pattes une rangée de soies de longueur inhabituelle peut-être dédiée à l’audition. Il reste beaucoup de choses à découvrir chez les acariens ! 

Généralement, les larves parasitent une large gamme d’hôtes dans des ordres d’insectes différents par exemple. Mais, on connaît aussi des genres ou espèces nettement spécialisés et, de ce fait, très étudiés comme potentiellement utilisables en lutte biologique contre des insectes bioagresseurs des cultures ; ainsi des Allothrombium sont utilisés pour lutter efficacement contre les pucerons du cotonnier. Par exemple, Allothrombium pulvinum est réputé comme spécialiste des pucerons. Les larves préfèrent des pucerons déjà parasités sans doute affaiblis et qui doivent émettre des substances odorantes permettant aux larves de les localiser (kairomones). De même, elles préfèrent les grands pucerons aux plus petits, sans doute pour éviter d’avoir à changer d’hôte pendant leur semaine de développement. 

Une fois installée sur son hôte, la larve insère son rostre et aspire les liquides internes via la blessure infligée. Parfois, la larve élabore un cercle de « tubes de nourrissage » autour de la blessure qui les ancrent à l’hôte (stylosomes) ; ces tubes ramifiés, avec des pores transparents, résulteraient du durcissement de la sécrétion salivaire des larves. Deux larves sur un même puceron du pois peuvent le tuer en trois jours ; les pucerons parasités voient leur rythme de reproduction baisser et leur développement en adultes ailés est bloqué. Sur des espèces plus grosses de pucerons, cinq larves par puceron ne tuent que la moitié de leurs hôtes en quatre jours. Sur d’autres insectes plus grands, l’effet semble souvent négligeable. 

Les papillons de jour sont souvent impactés comme cela a été étudié sur des argus, des tristans, des myrtils et des amaryllis avec le trombidion rouge (T. breei) en Grande-Bretagne. Plus de 10% des populations étudiées étaient parasitées. Chez les myrtils, les mâles sont plus touchés que les femelles et le taux d’infestation augmente avec l’âge avec un pic vers le milieu de la saison de vol. Un myrtil avec une durée de vie moyenne de 9-10 jours a 75% de chances d’être infesté au moins une fois dans sa courte vie. Des expériences montrent que l’infestation n’a pas d’effet décelable sur les performances de vol et la capacité d’orientation des papillons parasités. Ceci confirme que globalement les larves de trombidions ont un impact potentiel très limité sur leurs hôtes. 

Prédateurs 

Les deutonymphes (voir ci-dessus) et les adultes sont généralement des prédateurs généralistes capables de se nourrir de toutes sortes d’arthropodes dès lors qu’ils peuvent les maîtriser ; beaucoup semblent se nourrir sur des œufs d’insectes ou de collemboles. Des études ont été conduites sur une espèce utilisée en lutte biologique, le trombidion de Montpellier (Allothrombium monspessulanum) : un adulte peut manger par jour plusieurs pucerons ou une vingtaine d’œufs de charançons. Ils complètent ainsi l’action des larves qui peuvent parasiter jusqu’à 10% des pucerons installés sur la luzerne cultivée. On ne sait pas comment ils détectent leurs proies : ils possèdent des sensilles (voir la chronique sur les antennes des insectes) sur les palpes peut-être capables de détecter les odeurs (chémodétection).

En dépit de leur forte exposition au moment des parades (voir ci-dessus), les adultes sont très peu attaqués par d’autres prédateurs. Diverses expériences confirment qu’ils ont un goût désagréable ; leur coloration rouge très vive serait ainsi un signal de prévention détournant les attaques (voir l’exemple des punaises rouges et noires). Néanmoins, l’essentiel de leur vie se passe au sol au milieu des débris de la litière ; mais, même là, les araignées semblent les éviter. 

Ouvrez donc l’œil désormais : dès que vous verrez de petites choses rouge vif courir sur des troncs d’arbres ou des murs exposés au soleil au printemps, ouvrez l’œil et prenez le temps de les observer ; aucun risque pour vous : ils ne font pas partie des acariens susceptibles de déclencher des allergies ! 

Bibliographie 

Classification phylogénétique du vivant Tome 2 G. Lecointre ; H. Le Guyader. Ed. Belin 2017

Biology and ecology of trombidiid mites (Acari: Trombidioidea). Zhi-Qiang Zhang Experimental & Applied Acarology, 22 (1998) 139–155 

Parasitism by the mite Trombidium breei on four U.K. butterfly species. L. CONRADT et al. Ecological Entomology (2002) PU, 651-659 

Stylostome formation by parasitic larvae of Allothrombium fuliginosum(Trombidiformes: Trombidiidae): morphology of feeding tubes and factors affecting their size. Magdalena Felska et al.  Experimental and Applied Acarology (2020) 82:359–378

SUR LES STATUTS DE LA FAMILLE DES TROMBIDIIDAE LEACH, I8I5 (ACARINA : PROSTIGMATA) P. H. VERCAMMEN-GRANDJEAN. Acarologia, t. XV , fasc. r, 1973.