Sciadopitys verticillata

Jouons un peu à la devinette : à qui ce titre fait-il allusion ? Vous allez peut-être dire assez rapidement : Sequoia géant ? Metasequoia ? Wollemia ? Araucarias ? (Voir les chroniques de ces espèces). Ne dit-on pas de plusieurs d’entre eux que ce sont des « fossiles vivants », locution erronée dans un contexte évolutif mais très appréciée des médias ! Eh bien non, tous ces conifères au « look antique » sont en fait issus de lignées plus récentes que celle de notre invité qui remonte à avant le début de la lignée des Dinosaures : le pin parapluie du Japon. Un conifère qui ne paye pas de mine et affiche même un look plutôt moderne en apparence et que l’on peut observer dans les arboretums ou les parcs comme arbre d’ornement.

Fausses aiguilles

Pour démasquer l’étrangeté du pin parapluie, il faut s’intéresser à son feuillage. On voit de loin des paquets de grandes aiguilles (8 à 10cm de long) disposées curieusement par étages (d’où l’épithète latin verticillata) et étalées : elles ressemblent effectivement aux baleines d’une parapluie d’où ce nom populaire anglo-saxon d’umbrella pine, repris dans le nom latin de genre (Sciadopitys composé avec skias pour ombelle ou canopée et pitys pour pin). Au Japon, sa patrie d’origine, on le connaît sous le nom de koyamaki. Elles portent sur toute leur longueur une profonde gouttière côté ventral tapissée de papilles blanches correspondant aux stomates, ces ouvertures servant aux échanges gazeux avec l’atmosphère. La superposition de ces étages donne à notre arbre une allure assez unique et très élégante, bien en accord avec ses origines « zen ».

Oui, mais voilà, ce ne sont point des aiguilles mais des cladodes, i.e. des tiges aplaties en forme de feuilles, qui assurent donc la photosynthèse. Ces pousses longues s’insèrent donc en faux verticilles tout au long de pousses courtes avec une partie épaissie où se forme de cette couronne de cladodes. Mais alors, il n’a pas du tout de vraies feuilles ? Si, mais elles se trouvent réduites à l’état d’écailles triangulaires de 3 à 5mm de long éparses le long des rameaux ; elles rappellent celles des séquoias ou des cyprès.

Faux pin

Cônes femelles

L’appellation de pin, appliquée sans discernement en langage horticole à toutes sortes de conifères non directement apparentés, induit une seconde erreur d’appréciation. Pour s’en persuader, regardons les organes reproducteurs. Le pin parapluie est bien monoïque (sexes séparés mais sur le même arbre) comme le spins mais la structure des cônes diffère fortement. Les cônes mâles producteurs forment des groupes terminaux de 8 à 20 ; les cônes femelles dressés, de taille moyenne (4 à 11cm de long), ont une apparence irrégulière liée aux grosses écailles trapues, comme bosselées. Ils exsudent souvent une sorte de résine blanche. Mûrs au bout de deux ans, ils libèrent des graines faiblement ailées assez légères (25mg/graine) dispersées soit par simple gravité soit aussi sans doute par le vent.

Terminons quand même son portrait avec ses autres caractères. Si les jeunes arbres (la plupart de ceux que l’on voit chez nous en culture) adoptent un port pyramidal, les adultes dans leur milieu d’origine deviennent des grands arbres atteignant 45m de haut avec un tronc en colonne et jusqu’à 2m de diamètre. La plupart des arbres cultivés en Europe restent très modestes faute des conditions climatiques nécessaires à son épanouissement et aussi parce que sa croissance est remarquablement lente et que les premiers spécimens n’ont été introduits qu’à partir de 1860. Par contre, il semble pouvoir atteindre des âges respectables évalués jusqu’à 1000 ans ! L’écorce fibreuse fine et écailleuse se fissure et s’exfolie en lanières et écailles tout en prenant une belle teinte rouge brun. Le bois serait lui aussi coloré au cœur et répandrait une odeur épicée !

Vrai conifère

Tous ces faux semblants posent la question de sa réelle position au sein de la classification. Les cônes indiquent clairement qu’il s’agit quand même bel et bien d’un conifère ! On l’a longtemps classé dans la famille des Taxodiacées auprès des Cyprès chauves (Taxodium). Mais d’une part cette famille a elle-même disparu et été incluse dans celle des Cupressacées (cyprès, genévriers, séquoias, cryptomérias, …) mais surtout on a vite réalisé que cette espèce avait des caractères uniques (notamment au niveau de la structure anatomique du bois). L’unicité de ses caractères a conduit à le placer dans une famille à part, les Sciadopyticées, dont il est l’unique représentant actuel. Une avec famille avec un seul genre et une seule espèce : on le qualifie de monotypique. Même du point de vue génétique (notamment au niveau du nombre de chromosomes) il diverge fortement de tous les autres conifères. Les données fournies par la méthode dite de l’horloge moléculaire (nombre de mutations sur l’ADN en fonction du temps écoulé) situent l’origine de sa lignée quelque part au Trias, à – 220 millions d’années, soit bien plus en « arrière » que les autres lignées de conifères encore représentés actuellement (Cupressacées, Pinacées, ..). il est donc l’unique représentant d’une des plus anciennes lignées de plantes à graines (Spermatophytes) n’ayant guère comme rival que le Ginkgo et la lignée des Ginkgoales ou certaines Gnétales dont le Welwitschia .

Le dernier

La répartition actuelle du pin parapluie, limitée au Japon, induit elle aussi en erreur sur l’histoire passée de sa lignée. Des fossiles apparentés ont été découverts de l’Europe à l’Amérique du nord en plus du Japon : des « feuilles » fossilisées sont connues du Jurassique et du Crétacé supérieur en Europe ; des cônes fossilisés ont été retrouvés au Japon dans des roches du Crétacé supérieur. Cette famille a été une composante importante des forêts de l’Hémisphère nord depuis la fin du crétacé jusqu’au début du Paléogène (entre – 65 et – 49 Ma). Mais ces fossiles ne présentent certains caractères particuliers du genre actuel dont sa moelle en étoile. Récemment, des fossiles datés du milieu du Jurassique ont été trouvés en Chine avec ce caractère spécifique. Ceci indique que la lignée a du exister au début du Jurassique en Chine, y a prospéré ensuite jusqu’au Crétacé ; c’est peut-être depuis là que des évènements de dispersion ont conduit ces arbres vers l’Europe de l’Ouest ou le nord-est du Canada. Au début du Tertiaire, de profonds changements climatiques et de la disposition des continents ont du conduire à l’extinction progressive de la lignée sauf au Japon. Le coup de grâce a été porté au Pliocène avec le début de l’avènement des grandes glaciations qui vont culminer au Pléistocène.

Attention pour autant, cela ne veut absolument pas dire que c’est la même espèce que celle actuelle qui a survécu depuis l’ère secondaire ; des évolutions ont du concerner l’anatomie et la physiologie, notamment sous la pression sélective des changements climatiques majeurs. Ce n’est parce que l’espèce ressemble morphologiquement à certains fossiles qu’elle est identique génétiquement et physiologiquement à ces derniers. Là encore, l’appellation galvaudée de fossile vivant est donc à bannir pour l’espèce actuelle. On ne peut parler que de lignée très ancienne avec une seule espèce actuelle survivante.

Réfugié climatique

La répartition actuelle du pin parapluie se limite à trois des quatre grandes îles formant l’archipel japonais, du centre de Honshu jusque sur Kyushu. Là, on le trouve en petites populations disjointes et isolées les unes des autres dans des zones montagneuses sous un climat tempéré frais avec de très fortes précipitations. Il habite surtout les pentes humides entre 200 et 1700m et s’insère dans des forêts mixtes au sous-bois dominés par des mousses et des fougères. On sait qu’il est présent (sous la forme de cette espèce précise) au Japon depuis le Pliocène (soit environ 5 Ma) au moment où il avait disparu du reste de son aire ancienne sous les coups de butoir des glaciations pléistocènes. Il a survécu au Dernier Maximum Glaciaire (- 22 000/- 19000 ans BP) sur l’archipel japonais sans doute épargné grâce au climat océanique même si à cette époque là les précipitations avaient diminué de moitié et les températures moyennes de 7°C en été. C’est sans doute cet ultime soubresaut climatique (enfin, pas vraiment le dernier avec l’actuel !) qui l’a éradiqué du nord de Honshu.

Des études génétiques fines montrent une forte disparité entre les populations de Honshu et celles sur les îles du sud-ouest. Celles du nord présentent une forte diversité génétique (hot-spot génétique pour l’espèce) alors que plus au sud, cette diversité devient étonnamment basse. Là, l’espèce a du passer par des périodes de quasi-disparition (des goulots d’étranglement) qui ont ainsi fortement réduit la diversité génétique. Du fait de leur isolement du reste de l’archipel, elles ont subi une forte dérive génétique mais il n’empêche qu’elles pourraient quand même porter certains gènes rares susceptibles de favoriser la survie de l’espèce dans le futur. Ceci pose des problèmes de choix des sites de récolte des graines pour des replantations en vue de programmes de conservation !

La main de l’Homme

Mais la situation semble bien plus complexe car, au-delà du climat, il y a eu aussi une forte influence de l’Homme sur l’histoire quaternaire du pin parapluie. On a des preuves archéologiques de l’utilisation intensive de son bois pour la fabrication de cercueils et de poteaux pour des temples, notamment durant les périodes Yayoi moyenne et Auska (entre 100 et 700 de notre ère). Comme ces arbres ne grandissent que très lentement, les populations ont du être fortement impactées en supprimant les arbres matures de bonne tenue, les meilleurs géniteurs. On utilisait aussi son écorce fibreuse pour élaborer un goudron de calfatage des bateaux. A l’époque plus contemporaine, l’exploitation s’est poursuivie comme bois de construction apprécié pour la rectitude de ses troncs ; les plantations d’autres espèces de conifères à croissance plus rapide ont accéléré sa régression. Au cours du dernier siècle, un déclin d’au moins 30% (et probablement plutôt de 50%) a été mesuré si bien que l’espèce est passée au statut de Vulnérable.

Pourtant, historiquement, cet arbre avait su attirer l’attention des Hommes en sa faveur. Ainsi, durant la période Edo (1600-1860), le pin parapluie avait été classé comme « à ne pas couper » par les samouraïs qui dirigeaient le district de la forêt de Kizo, célèbre pour la qualité de son bois. Ils avaient dressé une liste de cinq espèces protégées strictement  (peine de mort en cas de transgression !) ; ce sont les « cinq arbres sacrés de Kizo » avec, outre le pin parapluie, quatre autres essences prestigieuses : le cyprès japonais (Chamaecyparis obtusa), le cyprès Sawara (C. pisifera), le thuya japonais (T. standishii) et le Hiba (Thujopsis dolabrata).

BIBLIOGRAPHIE

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