Fèves vertes

24/01/2022 Face à l’immense diversité des types de fruits chez les plantes à fleurs, les botanistes ont développé une terminologie spécifique très pointue avec des noms qui rebutent le débutant ou le simple amateur ; rien que pour les fruits secs simples, on peut ainsi citer : cypsèle, akène, utricule, follicule, lomentum, camara, caryopse, ceratium, silicule, pyxide, … Quelques rares types de fruits secs, néanmoins, ont conservé un nom très familier comme les capsules et les gousses. Pour ces dernières, sujets de cette chronique, ce n’est sans doute pas le fait du hasard car les gousses sont les fruits typiques des plantes de la famille des Légumineuses ; or, cette famille compte dans ses rangs des plantes aux graines comestibles ultra-connues et faisant partie de nos aliments végétaux essentiels : lentilles, petits pois, pois chiches, cacahuètes, haricots secs, fèves, soja, doliques, …

Gousses de robinier

Légumineuses

Fleur de lupin

Effectivement, la gousse est le fruit caractéristique des plantes de la famille des Fabacées ou Légumineuses. Cette famille regroupe près de 20 000 espèces ce qui la place au troisième rang des familles de plantes à fleurs, derrière les Orchidées et les Astéracées ou Composées. Autrefois, on la connaissait sous le nom évocateur de Papilionacées car la majorité de ses espèces possèdent des fleurs irrégulières à cinq pétales dont l’ensemble fait penser à un papillon en vol : un étendard relevé, deux ailes latérales et une carène ventrale formée de deux pétales plus ou moins soudés ; au centre, il y a un seul ovaire et dix étamines plus ou moins soudées entre elles à leur base en un manchon qui entoure l’ovaire. Le calice à 5 dents est souvent lui aussi irrégulier à deux lèvres et persiste souvent à la base du fruit sec qui est donc du type gousse (voir l’exemple détaillé du pois vivace). Il existe des variantes assez différentes mais qui ne concernent essentiellement des arbres exotiques plantés comme les mimosas ou l’arbre à soie, aux fleurs régulières dominées par leurs étamines.

Arbre à soie (Tribu des Mimosées)

Pour aider les néophytes à mieux appréhender cette famille citons des genres très connus comme arbres ou arbustes d’ornement : glycines,, robiniers (voir la chronique), genêt d’Espagne, arbre de Judée, virgilier, sophora, cytises, baguenaudiers (voir la chronique), … Autrement dit, pour trouver des gousses, cherchez des plantes répondant à ce portrait-robot.

Le nom actuel de Fabacées suit la terminologie internationale en s’appuyant sur un nom de genre représentatif : ici, le genre Faba, les fèves. Pour des raisons historiques, le terme ancien de Leguminosae traduit en légumineuses reste lui aussi valide. Légume, emprunté au latin legumen ou leguminis désignait autrefois spécifiquement les plantes dont le fruit est une gousse. Mais dès 1690, on commence à en étendre le sens : « On le dit premièrement des grains qui viennent en gousse, comme pois, fèves, lentilles ; et par extension des asperges, artichauts et autres qui se cueillent dans les jardins » ; et ainsi légume est devenu au sens moderne toute plante potagère alimentaire ! En botanique, on continue d’ailleurs à utiliser le terme de légume (ou sa forme latine legumen) pour désigner la gousse. Mais si vous dites autour de vous que les haricots de votre jardin produisent de beaux légumes, vous risquez fort de ne pas être bien compris(e).

Quant à la gousse, en vieux français, elle s’écrivait gos(s)e ce qui la rapproche d’un autre mot utilisé comme synonyme populaire, la cosse (écosser les pois). Même s’il était associé avant tout au fruit sec des Légumineuses, on l’emploie aussi en langage populaire au sens de coquille pour désigner une tête d’ail ou d’échalote (qui n’a rien à voir avec un fruit).

Fleurs de pois cultivé

Déhiscente

Parmi les fruits secs simples, la gousse ressemble beaucoup à la silique, le fruit typique de la famille des Brassicacées ou Crucifères (voir la chronique sur la bourse-à-pasteur ou sur la monnaie-du-pape) mais s’en distingue fondamentalement par deux critères :  elle dérive de la transformation d’un ovaire fait d’une seule pièce (double pour la silique) bien qu’elle se partage en deux valves ; elle s’ouvre aussi en deux valves mais selon deux lignes de suture bien visibles extérieurement et ne possède pas de fausse cloison associée à un cadre.

La gousse fait donc partie des fruits déhiscents, i.e. qui s’ouvrent naturellement à maturité. On peut aussi confondre la gousse avec un autre type de fruit sec simple, le follicule mais chez ce dernier, il n’y a qu’une seule ligne d’ouverture : voir l’exemple des hellébores, des pieds d’alouette, du trolle ou du populage (famille des Renonculacées). La chélidoine (famille des papavéracées) produit des fausses siliques ressemblant à des gousses mais après ouverture, il reste un cadre central.

Une fois ouverte, on constate que la gousse contient deux rangées de graines plaquées contre la paroi des valves mais toutes fixées du même côté, sur la même nervure : celle-ci correspond à la suture ventrale de la paroi de l’ovaire repliée sur elle-même sur laquelle se trouve le placenta ; l’autre suture correspond à la nervure dorsale. Chaque graine est rattachée à la suture par un appendice blanc, le funicule par où transitent les nutriments depuis le placenta.

Gousse de pois vivace ouverte : noter les funicules blancs qui rattachent les graines à la valve

A maturité, des tensions s’accumulent dans les parois des valves liées à des couches de cellules allongées en fibres avec des structures et orientations différentes : sous l’effet du dessèchement, les couches réagissent différemment et se rétractent plus ou moins. Finalement, la pression ainsi accumulée finit par provoquer la rupture le long des deux sutures, les lignes de faiblesse de la gousse.

Quand la gousse du genêt à balai explose, ses valves se tordent

Chez de nombreuses espèces, l’ouverture se fait de manière brusque et brutale accompagnée d’une torsion des valves qui s’enroulent sur elles-mêmes, projetant tout ou partie des graines accrochées aux valves : voir l’exemple très spectaculaire du genêt à balais où les gousses « explosent » avec un bruit sec audible de loin. Dans tous les cas, l’ouverture ou déhiscence commence par la pointe, là où persistent souvent les restes du style et du stigmate.

Souvent, des graines restent coincées dans le haut des valves suite à leur torsion qui les emprisonne ; ainsi se différencient deux types de graines : celles qui sont projetées lors de l’ouverture et qui tombent à proximité (et rejoignent la banque de graines du sol) et celles qui restent et seront peut-être récoltées par exemple lors de la moisson s’il s’agit d’une plante adventice des cultures comme chez la vesce hérissée.

Graines de légumes

On observe de fortes variations au niveau de la forme, de la taille et des ornementations des graines : elles peuvent donc aider à la détermination des genres de Légumineuses en sus de la gousse elle-même. Le prototype en est la graine hyper connue du haricot mais avec de nombreuses variantes !

Elles possèdent un tégument dur et souvent brillant (parfois avec des tubercules ou des verrues) et renferment deux cotylédons bien développés (la partie nutritive de la graine) encadrant l’embryon qui donnera la jeune plantule lors de la germination. Quand la graine se détache de la gousse, elle conserve une cicatrice de fixation du funicule en forme de gouttière, le hile, fendu en son milieu ; parfois, comme chez le haricot, il reste un résidu du funicule accroché au hile sous la forme d’un anneau plus clair, la couronne ; rarement, comme chez la vesce hérissée, le funicule entier peut rester attaché. Sous le hile, se trouve la future radicule de l’embryon sous le tégument ; au moment de la germination, elle émergera donc ici. De part et d’autre du hile, on observe d’un côté, une petite bosse, la lentille : c’est par cette zone plus perméable à l’eau que le reste du tégument fortement imperméable que l’hydratation de la graine va se faire dans le sol ; de l’autre côté du hile, on trouve une toute petite ouverture, le micropyle, vestige réduit du point d’entrée du tube pollinique du grain de pollen dans l’ovule lors de la fécondation !

Sur les graines de certaines fabacées appartenant de la tribu des Acacias ou Mimosas, on observe sur les deux faces aplaties de la graine une ligne délimitant une zone plus ou moins claire en forme de fer-à-cheval entourant la graine et s’ouvrant sur le hile : le pleurogramme. Il correspond à une ligne de fracture des tissus de l’enveloppe de la graine. On l’observe facilement sur les graines de l’arbre à soie, arbre ornemental très cultivé qui porte de grandes gousses aplaties.

Les graines de certains astragales ont une forme carrée très inhabituelle à l’origine d’ailleurs du nom astragale par analogie avec l’os quadrangulaire de l’articulation des Ongulés Artiodactyles (petit os utilisé autrefois pour jouer aux osselets !) (voir l’astragale à feuilles de réglisse)

Chez de nombreux acacias ou mimosas, les graines portent de plus une excroissance charnue au niveau du hile, un arille, apprécié des fourmis qui vont ainsi prendre en charge les graines tombées au sol et les transporter vers leurs fourmilières ; là, elles détachent l’arille nutritif et jettent la graine à l’extérieur, à une certaine distance de l’arbre mère (myrméchorie). Chez le genêt à balais, les graines portent une sorte de caroncule blanche, riche en éléments nutritifs, un élaïosome qui, lui aussi, attire les fourmis ; les graines projetées au sol par explosion des valves (voir ci-dessus) peuvent ainsi être reprises en charge et déplacées par des fourmis (voir la chronique) !

Si toutes les Fabacées ont comme dénominateur commun, entre autres, d’avoir des gousses comme fruits, on observe une multitude de variations autour de ce thème commun avec des types de gousses très variés. Dans une seconde chronique « Variations pour une gousse », nous explorerons la diversité des gousses avec des exemples très surprenants. 

Saurez-vous identifier ces huit graines de légumineuses : qui est qui ? Pois chiche. ; Petit pois ; Coco langue de feu ; Soja ; Fève ; Lentilles ; Azuki ; Dolique mongette. Les bonnes réponses sont dans l’autre chronique