Ribes uva-crispa

Groseillier à maquereaux : a priori, tout le monde connaît au moins pour son nom étrange et qui fait sourire ; mais combien ont déjà vu ou goûté ses fruits en culture, dans un jardin ? Là, les effectifs baissent ! Et maintenant, combien savent que ces groseilliers à maquereaux proviennent d’une espèce sauvage présente chez nous ? Et si je termine en demandant combien l’ont justement vu à l’état sauvage, alors nous serons suffisamment peu nombreux pour nous compter rapidement ! Le groseillier à maquereaux sauvage fait effectivement partie de ces arbustes assez répandus mais très dispersés dans leurs habitats et en petites populations souvent peu nombreuses ; il appartient au groupe des « sans noms » auxquels peu de gens prêtent attention et est souvent oublié dans les guides de terrain destinés au grand public. Il méritait donc une chronique pour lui tout seul afin d’assurer sa réhabilitation et, en plus, il en vaut la peine car il a plus d’une originalité à nous offrir. 

Massif de groseilliers à maquereaux sauvages sur un vieux mur dans un village cantalien.

Epineux 

Le groseillier à maquereaux sauvage présente un avantage indéniable pour le naturaliste : on peut l’identifier à coup sûr même en hiver grâce à un caractère quasi unique, ses épines à trois branches qui arment ses tiges. Le seul autre arbuste sauvage présentant un tel caractère est l’épine-vinette commune : chez cette dernière, les épines sont claires et le bois est teinté de jaune à l’intérieur alors que chez le groseillier à maquereaux, les épines sont brun clair et le bois est clair intérieurement.

Pour partir à la chasse au groseillier à maquereaux, il faut donc chercher un arbuste épineux bas, très touffu en général, ne dépassant que rarement 1,50m de haut (rarement jusqu’à 2m), et vérifier que les épines sont à 3 branches ! Son port reste assez variable allant d’un arbuste bien dressé à un arbuste étalé, comme « écroulé » sur lui-même mais toujours avec les tiges qui tendent à s’arquer vers l’extérieur au sommet ; les tiges couchées au sol peuvent marcotter assez facilement ce qui renforce l’impression d’étalement et donne lieu à la formation de petites colonies étalées et impénétrables avec leur armement d’épines en 3D. L’écorce est claire presque blanche sur les rameaux terminaux assez jeunes avec un aspect cannelé mais devient gris foncé vers les bases des tiges anciennes ; ce vieux bois tend par ailleurs à perdre ses épines.

Le feuillage caduque apparaît assez tôt au début du printemps (dès février) : des feuilles alternes, vert foncé, larges d’environ 3cm (donc assez petites), plus ou moins velues, découpées en 3 à 5 lobes eux-mêmes incisés dentés et portées chacune sur un pétiole court. Au froissement, elles ne répandent aucune odeur comme celles du cassissier.

Floraison discrète 

Fleur en début de floraison : calice rougeâtre, corolle blanche et étamines encore à l’intérieur

La floraison commence tôt dès mars à basse altitude mais peut se prolonger jusqu’à début juillet en altitude car le groseillier à maquereaux monte jusqu’à 2200m d’altitude dans les Alpes. Contrairement à ses cousins les groseilliers rouges ou le cassissier (voir le chapitre sur les parentés) aux inflorescences en grappes multiples, il porte des fleurs solitaires ou au plus par deux ou trois sur un court pédoncule émergeant à l’aisselle de feuilles. Chaque fleur verdâtre à rougeâtre adopte un port retombant et comporte depuis l’extérieur : cinq longs sépales rabattus en arrière, teintés de rouge foncé ; puis cinq pétales courts blanchâtres passant presque inaperçus ; cinq étamines émergeant fortement et encadrant deux styles unis à leur base. Les filets des étamines et les styles portent de longs poils fins.

La structure des fleurs offrant ainsi en avant leurs étamines indique clairement une pollinisation entomophile, i.e. par des insectes butineurs. Les visiteurs réguliers sont les abeilles domestiques et les bourdons qui s’accrochent par en dessous pour aller aspirer l’abondant nectar produit à la base de l’ovaire.

Groseilles 

Fruits sur un arbuste en plein soleil

On en arrive donc aux fameux petits fruits sauvages : les groseilles à maquereaux ainsi nommées parce qu’elles entraient dans la composition d’une sauce pour accompagner les maquereaux, à la manière des câpres. Rondes à légèrement ovales, elles atteignent au plus 14mm de diamètre (en moyenne 12mm) et se reconnaissent tout de suite à leur peau marbrée, assez épaisse mais transparente, laissant voir la pulpe verdâtre (d’où le surnom de groseillier vert). Chez les arbustes en plein soleil, elles virent souvent au rougeâtre plus ou moins foncé. Elles portent une dizaine de  côtes claires bien visibles et les restes desséchés de la fleur qui persistent au sommet. C’est d’ailleurs par là qu’on peut le mieux les cueillir sans trop se piquer aux redoutables épines qui les défendent. Normalement, elles portent un revêtement de poils hérissés leur donnant un aspect hispide ou hérissé disent les botanistes (voir le paragraphe suivant). Elles contiennent de nombreux pépins brun rouge de 3 mm chacun : il s’agit donc de baies.  

La fructification s’étale de juin à début août en fonction de la floraison. En pratique, observer ces fruits reste difficile à double titre. D’une part en situation de sous-bois ombragé, l’arbuste souvent ne fleurit pas tant qu’il n’y a pas une trouée de lumière suite à une perturbation. D’autre part, au cœur de l’été, de tels fruits juteux et nutritifs ne manquent pas d’attirer les oiseaux frugivores, surtout lors des épisodes chauds et secs où ils deviennent une source de liquide : vu leur taille, a priori, seuls les merles (et sans doute les grives nicheuses) les consomment ; en tout cas, ils ne restent pas longtemps sur l’arbuste et sont rapidement raflés parfois en une seule journée pour un arbuste donné ! Il est probable aussi que des petits rongeurs doivent les récolter. En tout cas, cette consommation permet aux graines dures d’être rejetées dans les excréments plus ou moins loin du lieu de récolte, le temps du transit intestinal (principe de l’endozoochorie : voir la chronique) ; leur enduit mucilagineux facilite le transit intestinal ainsi que la pectine contenue dans la pulpe. Grâce à ce mode de transport « aérien », il arrive à coloniser des sites improbables comme le sommet des vieux arbres têtards (voir la chronique) et leur terreau de bois pourri en compagnie d’autres arbrisseaux à baies comme la morelle douce-amère. 

Groseillier à maquereaux installé au sommet d’un frêne têtard !

Sauvage ou féral ? 

A la campagne, on prétend que les groseilliers à maquereaux sauvages proviennent obligatoirement d’individus cultivés échappés dans la nature (via notamment le transport des graines par les oiseaux). Or, dans la littérature, ce groseillier n’apparaît qu’à partir du 12 ou 13ème siècle en France sous sa forme cultivée : il serait donc bel et bien indigène et secondairement cultivé et amélioré par la suite en de nombreuses variétés, y compris plus tard avec des apports d’espèces proches venues d’Amérique du nord. Ainsi sont nées des milliers de variétés (mais beaucoup ont été perdues par la suite) avec des fruits bien plus grands (jusqu’à 4cm de diamètre) et la capacité d’autofécondation ce qui augmente la production. Par la suite, une partie de ces formes cultivées ont pu retourner à l’état sauvage, se naturaliser et s’hybrider sans doute avec les formes sauvages spontanées. En principe, selon Flora Gallica, les lignées sauvages pures ont des baies très velues hérissées alors que les baies des lignées d’origine horticoles retournées à l’état sauvage (donc férales) sont soit glabres, soit plus ou moins glanduleuses mais non velues. Ceci pose d’ailleurs le problème de savoir si la forme sauvage ne pâtit pas de ces croisements potentiels notamment avec l’introduction de cultivars très transformés impliquant d’autres espèces. Cette pollution génétique pourrait annihiler certains caractères naturels comme la résistance à des maladies fongiques  tels que des mildious, importées d’Amérique du nord. 

Fruits d’une variété cultivée : bien plus gros et presque glabres !

Du point de vue étymologique, le mot groseille, selon le dictionnaire culturel Le Robert, signifie « baie crépue » ; apparu sous la forme groselle, il dériverait d’un mot néerlandais croesel signifiant crépu et que l’on retrouve dans un vieux mot allemand. L’usage du mot groseillier a progressivement transformé groselle en groseille. En tout cas, baie crépue renvoie bien au groseillier à maquereaux qui serait donc ainsi l’archétype de la groseille, et pas la rouge ou le cassis ! 

Gourmand 

En France, le groseillier à maquereaux se rencontre essentiellement dans la grande moitié Est avec tous les massifs montagneux ; plus à l’ouest, il se fait rare ou bien il s’agit d’individus échappés de culture. Il est absent de la région méditerranéenne. Il habite une grande partie de l’Europe jusque dans les montagnes d’Afrique du nord. Son berceau serait l’Europe centrale et occidentale. En Europe du nord, comme en Norvège par exemple, il n’est pas indigène mais a été introduit et s’est naturalisé remontant assez haut dans le pays. En Grande-Bretagne, son statut naturel reste très incertain et il y serait en fait uniquement naturalisé.

Le groseillier à maquereaux recherche des sols riches en nutriments dont l’azote ce qui en fait une espèce qualifiée de nitratophile. Il trouve de tels sols sur des argiles, des limons ou des alluvions au bord des rivières ou en bas de pentes dans les bois (colluvions) ; par ailleurs, il a besoin d’une certaine fraîcheur et de sols assez humides et recherche, en forêt, des sites ombragés à semi ombragés. On le trouve donc régulièrement dans les forêts le long des cours d’eau comme des aulnaies-frênaies, des forêts de ravins avec de fortes pentes et divers boisements montagnards y compris de résineux. Il y est souvent présent sur les lisières (ourlets). 

Il recherche souvent la compagnie de rochers !

Mais notre groseillier a un autre penchant marqué qui se croise avec les précédents : un certain goût pour la rocaille, les rochers et les vieux murs moussus ; on le qualifie de ce fait de saxicole. P. Lieutaghi signale dans les Alpes du sud des formes xérophiles (des milieux très secs) avec de fortes épines dans les rocailles sèches à buis, en plein soleil, au-dessus de 1000m d’altitude en compagnie notamment de son cousin le groseillier alpin (qui vit aussi en plaine). Ces habitats semblent en contradiction totale avec les exigences mentionnées ci-dessus mais peut être compense t’il avec l’altitude (plus de précipitations) ou existe t’il des écotypes spécifiques des rocailles ?

Vieux murs 

Spécimen vénérable installé sur un vieux mur

Ce penchant saxicole fait qu’on le trouve régulièrement sur les vieux murs moussus au long des haies dans les zones bocagères. Il peut même s’installer grâce à ses transporteurs ailés sur de hauts murs d’édifices, sur les faces à l’ombre de préférence. Là, comme ailleurs, certaines touffes peuvent atteindre un âge vénérable, croissant sans doute lentement. 

Cependant, il semble bien y avoir un autre facteur qui interfère à propos de telles stations « artificielles » : son lien avec la présence ancienne d’établissements humains. On sait qu’en Europe centrale, les groseilles à maquereaux sauvages font l’objet de cueillettes et, sur divers sites archéologiques médiévaux , lors de fouilles d’anciennes « fosses d’aisance » où l’on déposait les immondices ménagers et qui servaient de latrines, on trouve régulièrement des pépins de ces groseilles ; difficile de savoir s’il s’agit de graines de fruits sauvages ou cultivés ? Dans l’Est de la France, une étude sur des forêts anciennes installées sur un ancien site occupé par les Romains il y a près de deux milles ans, on trouve régulièrement ce groseillier installé : s’agit-il de restes liés à l’homme ou l’arbuste a t’il colonisé plus tard ces lieux du fait de leurs sols enrichis ? En Angleterre, une étude sur des haies anciennes montre qu’il se trouve presque toujours tout près des villages médiévaux, dans un rayon de moins de 300 mètres ; mais nous avons vu qu’en Grande-Bretagne, il n’était probablement pas indigène. De la même manière, sa présence récurrente sur des ruines de vieux châteaux féodaux pose les mêmes questions. 

En tout cas, quand vous visiterez de tels sites, ouvrez l’œil dès que vous apercevez un buisson perché tout en hauteur : il y a des chances que ce soit lui (mais d’autres le font aussi !) ; seules les jumelles permettent alors d’en être sûr ! 

Spécimen perché à dix mètres de hauteur sur le mur d’un château féodal (pris au téléobjectif !)

Faux-genre

Notre groseillier à maquereaux se démarque très nettement des autres groseilliers tels que ceux à fruits rouges ou à fruits noirs (cassissiers) ou « à fleurs » cultivés comme ornementaux : par ses fruits, ses fleurs et ses épines (voir les deux premiers paragraphes). Il fait partie d’un groupe de seize espèces : 9 en Amérique du nord et 7 en Eurasie (jusqu’au Japon et à Taïwan) dont lui seul en Europe. Longtemps, on les a classés de ce fait dans un genre à part nommé Grossularia ce qui signifie groseille. Notons au passage qu’en gemmologie on nomme grossulaire une variété de grenat vert clair en référence à la transparence des groseilles à maquereaux : beau compliment ! 

Or, plusieurs analyses génétiques récentes démontrent de manière claire que ce sous-groupe de groseilliers s’insère au beau milieu des autres groseilliers : on l’a donc de ce fait « déclassé » et rangé comme tous les autres (150 espèces au total) dans le genre Ribes comme le groseillier rouge (R. rubrum), le cassissier (R. nigrum) ou le groseillier alpin (R. alpinum) : on le nomme donc Ribes uva-crispa, ce qui signifie « raisin crépu », i.e. hérissé velu. Si bien que la famille qui réunit tous les groseilliers ne renferme en fait plus que ce seul genre ; pourtant, on lui a conservé comme nom celui de Grossulariacées, témoignage de cette ancienne distinction erronée.

Casseilles cultivées

Dans l’arbre des parentés, les plus proches parents des groseilliers à maquereaux sont les cassissiers : ceci se trouve confirmé par la relative facilité à hybrider ces deux groupes et à obtenir des formes cultivées très à la mode, les casseilles (R. x nidigrolaria) aux fruits de cassis mais gros et aux tiges sans épines ; le génome du cassissier domine dans ces hybrides ce qui explique la prévalence de ses caractères sur ceux du groseillier à maquereau. 

Historiquement, ce sous-groupe des groseilliers à maquereaux serait apparu en Amérique du nord, aurait ensuite migré vers l’Asie orientale en passant par le détroit de Behring d’où il aurait ensuite essaimé jusqu’en Europe.  

Bibliographie 

Le livre des arbres, arbustes et arbrisseaux. P. Lieutaghi. Ed. Actes Sud. 2004

Birds and berries. A study of an ecological interaction. B. et D. Snow. Ed. T et AD Poyser. 2001

IRREVERSIBLE IMPACT OF PAST LAND USE ON FOREST SOILS AND BIODIVERSITY. J. L. DUPOUEY, E. DAMBRINE,J. D. LAFFITE, AND C. MOARES Ecology, 83(11), 2002, pp. 2978–2984


Surveying and assessing vascular plants in hedgerows to inform historic interpretation, planning decisions and conservation strategies. B WRIGHT and I D ROTHERHAM. Aspects of Applied Biology 108, 2011 Vegetation Management 

Molecular Phylogeny and Biogeography of Ribes (Grossulariaceae), with an Emphasis on Gooseberries (subg. Grossularia). LISA M. SCHULTHEIS and MICHAEL J. DONOGHUE Systematic Botany (2004), 29(1): pp. 77–96 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le groseillier à maquereaux
Page(s) : 214-215 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus