Picus viridis

Photo J. Lombardy

Quand on pense pic, on pense aussitôt arbre et à l’idée que l’un et l’autre sont indissociables : c’est l’image d’Epinal du pic qui se nourrit sur les arbres en piochant le bois à la recherche de larves d’insectes. La réalité, comme toujours, s’avère bien plus diversifiée : déjà, le régime alimentaire de nombre de pics inclut des graines, des fruits, voire de jeunes oisillons. Mais, surtout, chez certaines espèces de pics, la recherche de nourriture ne se fait pas sur les arbres mais au sol : on parle de pics terrestres. Parmi les neuf espèces de pics de France, le pic vert, une des espèces les plus communes, détient le titre « de plus terrestre de nos pics ». Comment et de quoi se nourrit-il au sol ? Quelles sont les conséquences sur ces choix d’habitat ?

Photo J. Lombardy

Pics terrestres

Pic vert en pleine action dans la pelouse de mon jardin

Avec plus de 200 espèces actuelles (1), la famille des Picidés présente une forte diversité. Le prototype du « pic » tel que nous le connaissons correspond en fait à la sous-famille des Picinés ; il existe par ailleurs deux autres sous-familles assez différentes : celle des torcols avec une espèce présente en France, le torcol fourmilier, qui ressemble bien plus à un passereau qu’à un pic et celle des « mini-pics » tropicaux ou picumnes eux aussi avec un look de passereau. Parmi les « vrais » pics (Picinés), la grande majorité est forestière ou vit dans des milieux plus ou moins arborés ou avec des substituts d’arbres tels que les cactus-cierges des déserts américains ou les bambous ; ils se nourrissent dans les arbres et exploitent entre autres les insectes xylophages qui creusent le bois ; ils creusent des cavités ou loges dans les arbres ou substituts pour s’y reproduire (voir la chronique sur les réseaux de cavités). Ceci semble correspondre au mode de vie ancestral de la sous-famille. Mais pourtant quelques espèces ont adopté secondairement un mode de vie terrestre au moins pour la recherche de nourriture. Certaines espèces ont même évolué vers une vie dans des milieux entièrement dépourvus d’arbres ou d’arbustes et creusent alors des « terriers » dans le sol pour se reproduire. C’est le cas de deux espèces typiques à cet égard : le pic laboureur, bien nommé, (Geocolaptes olivaceus) des pentes herbeuses et rocailleuses d’Afrique du sud ou le pic des rochers (Colaptes rupicola) des Andes d’Amérique du sud, hôte des étendues désolées et rocailleuses de la puna et du paramo, au-dessus de la limite des arbres. Notre pic vert (ainsi que ses cousins du même genre Picus) ont certes évolué vers une recherche alimentaire majoritairement au sol mais il a conservé un lien étroit avec les arbres car il peut aussi y rechercher secondairement de la nourriture et il continue de creuser ses loges dans les troncs d’arbres pour se reproduire : il se situe donc à un stade intermédiaire dans cette évolution vers une vie terrestre.

Formicivore

Le régime alimentaire du pic vert (2) se compose essentiellement de fourmis qui habitent le sol des milieux herbacés ; trois genres principaux de fourmis sont exploités : Formica (surtout en hiver), Myrmica, et au printemps et en été, Lasius, dont les fourmilières forment des monticules dans les prés. Il complète avec des vers de terre, des escargots et quelques fruits.

Il « chasse » donc essentiellement au sol, dans des milieux herbacés assez ras du type prés ou pelouses ; si on habite non loin de la campagne, on peut avoir la chance d’observer son manège dans les pelouses des jardins pour peu qu’elles soient écologiquement entretenues (ni manucurées, ni traitées !) et tranquilles (le pic vert est un oiseau craintif !).

Là, il se déplace en sautillant sur ses deux pattes côte à côte, de manière caractéristique comme un jouet mécanique, tout en explorant le sol, la tête un peu tournée de côté, un œil toujours vers le ciel pour surveiller les prédateurs.

Le pic vert reste toujours très méfiant dès qu’il est au sol

A coups de bec, il écarte vivement la mousse, les feuilles mortes ou les débris de litière qui couvrent le sol et pioche avec son bec pour atteindre les fourmis dans leurs galeries souterraines : il creuse ainsi des trous typiques en forme d’entonnoir pouvant aller jusqu’à 12cm de profondeur. Avec sa longue langue gluante (voir le paragraphe suivant), il prélève méthodiquement les fourmis et leur couvain qu’il avale. L’hiver, quand il y a de la neige, il peut creuser des trous dans la couche neigeuse sur plus d’un mètre pour accéder à sa nourriture !

Il reste un long moment à « aspirer » les fourmis avec sa langue après avoir creusé

Les colonies de fourmis représentent une ressource abondante dans la mesure où par exemple une fourmilière de fourmis jaunes peut héberger plus de 5000 individus ; le pic vert cible les espèces les plus grosses. Par contre, les colonies de ces fourmis des prés et pelouses se trouvent réparties de manière très irrégulière dans l’environnement : leur recherche demande donc une bonne connaissance de leur milieu et suppose un territoire de chasse étendu pour satisfaire aux besoins.

Héritage

Le pic vert n’a rien d’original dans ce régime spécialisé car près de 60% des espèces de pics incluent des fourmis dans leur régime et un grand nombre sont carrément spécialisées dans l’exploitation de ces insectes très nombreux (2) : on parle alors de régime formicivore. C’est ainsi le cas en France pour un autre pic, le pic noir (Dryocopus martius) qui éventre les troncs d’arbres pourris pour y déloger les grosses fourmis charpentières (aussi bien les adultes que le couvain) : son régime compte jusqu’à 97% de ces insectes à la belle saison mais il ne se nourrit pas au sol.

Donc, en fait, le pic vert n’a rien « inventé » mais exploite une autre niche écologique : le sol et ses fourmis. Il utilise le même bagage anatomique que ses ancêtres arboricoles. Ainsi, sa manière de sautiller au sol correspond au mode de déplacement sur les troncs d’arbres, sauf que là il n’a plus besoin d’agripper ses griffes. Le piochage du sol avec le bec fort et pointu reproduit le martelage des troncs pour creuser et accéder aux galeries des insectes xylophages. Mais surtout, le pic vert a conservé un outil extraordinaire : une langue attrape-fourmis !

La langue est en effet l’outil majeur dans l’alimentation des pics qui leur permet d’aller chercher la nourriture bien au-delà de l’ouverture générée par le travail du bec, i.e. au plus profond des longues galeries creusées par les insectes dans le bois ou la terre. Premier point fort : la longueur et l’extrême mobilité de cette langue capable de se rétracter ou de s’allonger tout en contrôlant précisément les mouvements de sa pointe. Les muscles spécialisés qui l’actionnent sont fixés sur une armature squelettique fine, les os hyoïdes, tellement longs qu’ils s’enroulent autour du crâne par derrière et et viennent s’ancrer à la base du bec par dessus ! Second point fort : la pointe de la langue armée de rangées de barbes lâchement espacées et orientées vers l’arrière : comme des doigts crochus au bout de la langue ! Enfin, pour compléter cette arme fatale, une glande maxillaire très volumineuse, près de l’orbite de l’œil, qui secrète une substance visqueuse qui enduit la langue permettant ainsi de coller les proies de manière ferme lors de la rétractation. Ainsi, le pic travaille en aveugle total et c’est sa langue qui va chercher les proies au fond des galeries !

Habitat

Habitat typique du pic vert : des prairies pâturées ; des grands arbres ; des bosquets. Un paysage agricole équilibré

Le pic vert peuple une large gamme de milieux qui partagent tous plus ou moins un caractère relativement ouvert (on parle de semi-ouvert) tout en étant arborés. Dans les régions fortement boisées, il n’habite pas les massifs denses et continus sauf à la faveur de grandes clairières et sur les lisières ; il a besoin d’un certain nombre d’arbres matures et de préférence des feuillus pour y creuser ses loges de nidification. Néanmoins en montagne (jusqu’à 1500m d’altitude dans les Alpes), il s’accommode aussi des résineux. Par contre, contrairement aux autres pics de notre faune, il n’a pas besoin de vieux arbres morts ou pourrissants sur pied et choisit des arbres bien vivants pour creuser ses loges. Sinon, on le rencontre communément dans toutes sortes d’habitats liés aux activités humaines : parcs, vergers, zones résidentielles arborées à la périphérie des villes et villages, bocages et zones agricoles avec des pâtures et des haies avec des grands arbres où il est souvent avec le pic épeiche le pic dominant. En Scandinavie (3), à la limite nord de son aire de répartition, il a été démontré que les pics verts exploitent aussi les jeunes plantations de conifères (de moins de 30 ans d’âge) et qu’en hiver, ils pénètrent dans les vieux boisements pour récolter les fourmis des grosses fourmilières forestières dont celles des fourmis rouges. En été, ils préfèrent nettement les habitats ouverts pâturés.

Son statut s’avère assez contrasté à l’échelle européenne. Ainsi, au Royaume-Uni, il a beaucoup progressé et a notamment colonisé vers le nord l’Ecosse depuis les années 1950 ; le changement climatique global avec des hivers plus doux le favorise sans doute car les hivers rigoureux causent une forte mortalité, les fourmis devenant alors inaccessibles. Par contre, dans nombre d’autres pays européens, des déclins significatifs sont observés : 20 à 30% de diminution en suède et depuis les années 1960 près de 75% de déclin aux Pays-Bas. Là, l’intensification de l’agriculture est largement mise en cause avec notamment la mise en culture des prairies. Cependant, même dans les zones bien peuplées, il conserve des densités assez faibles, ce qui témoigne de la nécessité de territoires étendus (une centaine d’hectares). Comment exploite t’il ces territoires ?

Sélectif

Des chercheurs anglais (4) ont posé des radio-émetteurs sur deux pics verts d’un même couple qu’ils ont ainsi suivis « pas à pas » pendant plus d’un mois pour l’un d’eux. Le paysage était composé de boisements, de terres agricoles et de pâturages. Première surprise : les pics n’exploitent seulement que 1,1 à 2,4% de la surface totale de leur territoire ce qui indique clairement des choix très sélectifs en matière de terrains de chasse. Alors que les terres cultivées et les pâturages améliorés (faisant l’objet d’enrichissement en engrais ou lisier) couvrent 75% du territoire étudié, aucune séquence de recherche de nourriture n’y a été observée ! Les deux pics verts suivis (en période de reproduction) passaient tout leur temps dans des pâturages non ou peu améliorés et parcourus par des moutons ou les pelouses des jardins ou les vergers enherbés. Les facteurs déterminants dans leur choix semblent être une faible hauteur de végétation avec une couche de litière de tiges mortes assez épaisse et une certaine richesse en espèces de plantes ; les sols compactés par le piétinement excessif du bétail sont évités. Des prairies semi naturelles à haute végétation ou des bordures forestières envahies d’arbustes pourtant riches en fourmilières terrestres ne sont pas visitées sans doute pour des raisons d’accessibilité (herbes trop hautes empêchant le déplacement) ou de danger potentiel (rapaces prédateurs en lisière). Autrement dit, sur un territoire donné, le pic vert ne peut exploiter qu’une infime partie souvent sous forme de microhabitats très ponctuels et en plus il n’exploite pas toute la ressource disponible !

Conservation

L’amélioration des prairies (apport d’engrais) ou le surpâturage et le piétinement affectent les populations de fourmis ce qui réduit d’autant les possibilités de récolte du pic vert. La présence de populations florissantes de fourmis jaunes par exemple demande des dizaines d’années de gestion semi-naturelle (pas d’intrants et pâturage modéré) ; inversement, l’abandon de ces prairies et leur colonisation par des arbustes conduit là aussi au déclin de ces fourmis et freine l’accessibilité du pic vert. Pour assurer l’avenir de cette espèce dans des paysages agricoles, il faut donc veiller à la conservation de micro-milieux à végétation rase entretenue comme les bordures de champs non cultivés et non soumis au piétinement direct. Or, de tels milieux sont rarement pris en compte dans les programmes de conservation agro-environnementaux car difficiles à appréhender et très ponctuels. Les pelouses de jardins peuvent constituer une ressource non négligeable à condition de sensibiliser les propriétaires au non usage de pesticides et à pratiquer une fauche régulière certes mais sans tomber dans l’excès du « gazon anglais » sans la moindre autre plante ! Le pic vert doit aussi y bénéficier d’un calme relatif et se trouver non loin de grands arbres pour se réfugier en cas d’alerte.

Pic vert dans le pelouses du parc de la Source près d’Orléans

Nous avons là une espèce qui a en quelque sorte besoin des activités humaines pour survivre mais à condition que celles-ci restent dans un cadre semi-naturel et non intensif.

L’illustration de la chronique a été réalisée en feutrine par Nelly MONTEIL. 

BIBLIOGRAPHIE

  1. Woodpeckers of the world. The complete guide. G. Gorman. Ed. C. Helm. 2014 
  2. Handbook of the Birds of the World : https://www.hbw.com/species/eurasian-green-woodpecker-picus-viridis 
  3. Habitat selection as a hierarchical spatial process: the green woodpecker at the northern edge of its distribution range. J. Rolstad, B. Løken, E. Rolstad. Oecologia. Volume 124, Issue 1, pp 116-129. 2000
  4. Characteristics of feeding-site selection by breeding Green Woodpeckers Picus viridis in a UK agricultural landscape. DANNY ALDER and STUART MARSDEN. Bird Study (2010) 57, 100–107

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le pic vert
Page(s) : 318 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez tous les pics de France
Page(s) : 318-325 Le Guide Des Oiseaux De France