Digitalis sp.

Le genre Digitale (Digitalis) est inclus dans la famille des Plantaginacées auprès d’autres genres souvent bien différents d’aspect comme les linaires ou les mufliers. On y regroupe 18 espèces de plantes herbacées à ligneuses à la base avec des feuilles simples alternes, souvent groupées en rosette basale en plus des feuilles des tiges. Les fleurs se distinguent aisément à leur corolle irrégulière en tube, en cylindre ou en boule avec deux lèvres plus ou moins marquées. L’inflorescence est une grappe dressée avec une bractée qui sous-tend chacune des fleurs. La digitale pourpre (Digitalis purpurea), l’espèce la plus commune en France et qui possède la plus vaste répartition dans le genre, illustre bien ces caractères reconnaissables de loin. Cependant, il existe de fortes variations d’une espèce à l’autre au niveau de la forme, de la taille et de la couleur de la corolle ; cette dernière peut être blanche, jaune, crème, rose à rouge avec des ponctuations plus ou moins marquées et étendues qui suggèrent des modes de pollinisation différents. Les différentes espèces et sous-espèces se rencontrent en Afrique du Nord, en Europe et dans une partie de l’Asie occidentale.

L’étude résumée (1) ici a analysé les parentés génétiques entre ces 18 espèces (et nombreuses sous-espèces régionales) à partir de marqueurs génétiques du noyau ou des chloroplastes des cellules. Un arbre de parentés a été élaboré et permet d’entrevoir une part de l’histoire des digitales.

Une histoire de séparations successives

digitales-arbre-principal

Structure générale de l’arbre de parentés des digitales (adapté et simplifie d’après 1) avec les trois grands groupes cités dans le texte.

Si on observe l’arbre de parentés, on note en dehors de la branche des digitales des Canaries une structure en deux branches principales (nommées 1 et 2 sur le schéma), chacune d’elles à son tour séparée en deux branches (voir ci-dessous). Il faut voir là sans doute des indices de séparations géographiques successives en lien avec les transformations de la surface de la Terre. Aussi, il est intéressant de replacer sur cet arbre les répartitions géographiques des différentes espèces pour mieux saisir l’histoire.La branche 2 (attention : le numéro de branche n’a aucune valeur d’ordre en soi ; ce n’est qu’un simple repère) contient la sous-branche des digitales des Canaries.

Les digitales des Canaries sont bien …. des digitales

Un des buts initiaux de cette étude visait à préciser le statut de quatre espèces a priori proches des digitales par leur aspect et présentes dans les archipels de Macaronésie (Canaries et Madère) connues sous le nom populaire de digitales des Canaries et classées jusqu’alors dans un genre à part : Isoplexis. Elles diffèrent notamment par leur port d’arbrisseau, leurs fleurs à lèvre supérieure plus grande que l’inférieure (disposition inverse dans les digitales) et pollinisées par des oiseaux. L’analyse génétique indique clairement que le genre Isoplexis doit être inclus au sein du genre Digitalis car, dans l’arbre de parenté, la branche des Isoplexis s’insère nettement à l’intérieur d’une autre lignée de Digitalis.

Une branche occidentale et méditerranéenne

digitales-arbreg1

Branche 1 de l’arbre de parentés déployée ; les espèces en rouge sont celles illustrées.

La branche 1 se scinde en deux sous-branches que l’on qualifie de sections : la section Digitalis (celle des « vraies » digitales ce qui n’a guère de sens sauf qu’elle contient l’espèce décrite en premier par Linné) et la section Macranthae, les « digitales à grosses fleurs ».

Dans la première section, on remarque la position basale (ancestrale donc a priori) d’une espèce endémique des îles Baléares (D. minor) et qui est donc l’espèce sœur du groupe des digitales pourpres. L’histoire géologique indique que l’isolement de cette espèce aurait pu se faire avant l’épisode dit Messinien (il y a 5 à 7 Ma) au cours duquel une bonne partie de la Méditerranée s’était retrouvée complètement à sec. Le groupe des digitales pourpres comprend la sous espèce type bien connue (D. purpurea subsp. purpurea) et un groupe ibérique d’espèces ou sous-espèces pour la plupart localisées dans des aires restreintes (endémiques) : D. thapsi (rose clair ; toute l’Espagne); D. purpurea subsp. toletana (Ouest Espagne) ; D. mariana susbp. mariana (rose clair ; sierras du sud de l’Espagne); D. mariana subsp. heywoodii (Portugal). Ces quatre « espèces » restent très proches de Digitalis purpurea type et ont du se séparer assez récemment (à l’échelle géologique !) de celle-ci par fragmentation de l’aire d’origine au cours de la période glaciaire.

La digitale pourpre type, quant à elle, se répartit sur une vaste aire allant de l’Ouest atlantique jusqu’en Europe centrale et a été introduite dans de nombreux autres pays y compris dans l’Hémisphère sud. Sa relative homogénéité sur la majeure partie de cette vaste aire laisse penser qu’elle devait déjà occuper celle-ci avant la période des glaciations quaternaires.

La seconde section, dite « à grandes fleurs », regroupe des espèces originaires la plupart de Méditerranée orientale avec la digitale à grandes fleurs (D. grandiflora) qui déborde jusqu’en Europe occidentale et notamment dans les Alpes où elle est bien connue.

La digitale jaune (D. lutea) à répartition plus vaste se distingue aussi par une histoire plus complexe qu’on ne pensait. Les digitales jaunes de Corse, un temps placées dans la sous-espèce australis, s’avèrent très proches de la sous-espèce type et ne mériteraient pas de véritable distinction. Par contre, les digitales jaunes de Toscane, elles aussi auparavant rattachées à la sous-espèce australis , s’avèrent nettement éloignées puisqu’on les retrouve dans la seconde grande branche de l’arbre ! Elles mériteraient donc un rang spécifique d’espèce autonome.

Pour expliquer une telle histoire, il faut supposer qu’elles coexistaient en Afrique du nord (D. atlantica est originaire d’Algérie) et dans les Apennins italiens au cours du Quaternaire ; or, la géologie confirme qu’il y avait bien une connexion entre l’Afrique du nord et l’Europe continentale vers 12000 avant l’époque actuelle et que celle-ci a ensuite été rompue (notamment avec la remontée du niveau des océans).

Une branche orientale et continentale

digitales-arbreg2

Branche 2 de l’arbre de parentés déployée ; les espèces en rouge sont illustrées.

La branche 2, outre les digitales des Canaries mentionnées auparavant, se distingue elle aussi par une lignée basale originale avec la digitale à petites fleurs (D. parviflora) de la chaîne Cantabrique ibérique. Ensuite, on trouve une branche avec la digitale obscure ibérique et marocaine, au port un peu ligneux et dont la couleur des fleurs se rapproche d’ailleurs des digitales des Canaries. C’est là que l’on retrouve la digitale jaune de Toscane mentionnée dans le paragraphe précédent.

Enfin, vient le groupe nettement oriental et continental des digitales à « fleurs globuleuses » (Globiflorae) dont la digitale laineuse (D. lanata) très connue tant comme ornementale que pour sa richesse en composés actifs cardio-actifs.

Finalement, on constate une série de séparations Est/Ouest qui ont jalonné successivement l’histoire des digitales avec deux centres majeurs de diversité : la péninsule ibérique et la région des Balkans/Anatolie et Caucase.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Molecular phylogeny of the genera Digitalis L. and Isoplexis (Lindley) Loudon (Veronicaceae) based on ITS- and trnL-F sequences. C. Braüchler, H. Meimberg, and G. Heubl Plant Syst. Evol. 248: 111–128 (2004).

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les digitales
Page(s) : 132 et 182 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez les digitales
Page(s) : 524 à 526 Guide des Fleurs du Jardin