Hedera helix

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Un spectacle rare : des dizaines de vulcains attablés sur un massif de lierre avec d’autres butineurs !

Quand les abeilles reviennent à la ruche, chargées de pollen récolté sur un site un peu éloigné, elles effectuent une danse en 8 et d’après le rythme et le nombre de 8 décrits par l’abdomen, elles donnent une indication précise sur la distance à laquelle se trouve la source de pollen et/ou de nectar. Or, en Angleterre, on sait, à partir de ces données fournies directement par les ouvrières, que la distance moyenne aux sources de nourriture passe de 4km en juillet-août à 2km en septembre-octobre. Pourtant, les floraisons deviennent nettement plus rares voire rarissimes à cette période. Il doit donc y avoir une ressource florale qui « apparaît » à ce moment là, une ressource abondante et répandue dans l’environnement immédiat : on pense évidemment au lierre qui forme souvent de grosses colonies et entame justement sa floraison à partir de septembre et jusqu’en novembre. Des chercheurs basés en Angleterre sur la côte sud ont voulu vérifier cette hypothèse en s’intéressant non seulement aux abeilles domestiques mais à tous les insectes butineurs en activité à cette époque de l’année (3).

Nectar et pollen à volonté

Un massif de lierre produit des milliers fleurs jaune verdâtre et de manière relativement étalée dans le temps entre septembre et début novembre (1). La disposition des fleurs en ombelles rayonnantes au sommet de tiges les rend faciles d’accès à tous les butineurs, agiles ou pas. La structure de la fleur très ouverte facilite encore plus l’accès à tous. A la floraison, les cinq pétales un peu charnus se rabattent vers le bas et les cinq étamines à anthères jaune vif se dressent en cercle autour, attirant l’attention des visiteurs. Elles produisent un pollen abondant pendant 1 à 3 jours avant de brunir et de tomber rapidement. Le disque central proéminent portant l’ovaire avec le stigmate n’est pas alors encore mûr ; la fleur est alors fonctionnellement mâle. Les butineurs viennent alors récolter le pollen et celui-ci se colle aux poils du corps. Dès la chute des anthères, le disque se met à secréter du nectar qui scintille au soleil et devient réceptif au pollen. Les insectes chargés de pollen viennent lécher ou aspirer le nectar de ces fleurs au stade femelle et assurent ainsi la pollinisation croisée quasi obligatoire du fait de ce décalage dans le temps des deux stades. Même quand la fleur a perdu ses pétales, ce disque nectarifère continue d’attirer les visiteurs.

La sécrétion du nectar se faisant sur le dessus du disque, il est directement accessible donc. La surface sécrétrice contient de la chlorophylle ce qui lui donne cette couleur verte typique mais au fil de la saison il vire au brun violacé par accumulation de pigments de type anthocyanines. La concentration élevée en carotène serait une protection du futur fruit contre les radiations solaires, le disque brillant et nu bombé absorbant largement les rayons du soleil. En début de floraison, le nectar est plus abondant mais moins concentré en sucres que par la suite.

Omniprésent

L’étude menée en Angleterre s’est attachée à dénombrer les lierres présents dans deux types d’environnements : en milieu urbain et en milieu rural. Les résultats montrent que le lierre est particulièrement présent en milieu urbain et capable de s’installer sur toutes sortes de supports : clôtures, murs, bâtiments, haies, arbres, poteaux, … jusque dans les cimetières. Sur des ruines ou de vieux murs, il peut constituer des massifs imposants occupant un énorme volume. En milieu rural, il reste plus rare et confiné aux arbres et vieux bâtiments. La dispersion très efficace des graines par les oiseaux qui mangent les fruits en hiver (dont les merles et les grives) lui permet de s’installer pratiquement n’importe où dès lors qu’on ne le déloge pas.

Tous les pieds ou colonies de lierre ne fleurissent pas car le lierre doit atteindre un certain âge (à partir de 8-10 ans en général) et accéder à la lumière pour se mettre à produire des nouveaux types de rameaux florifères, très ramifiés et ligneux portant des feuilles presque entières, rappelant celles des poiriers. Les tapis de lierre en sous-bois ou à l’ombre d’une haie ne fleurissent pas.

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Tapis de lierre en sous-bois : aucune floraison à ce stade (feuilles découpées en lobes et tiges rampantes)

Autrement dit, même pour des insectes butineurs coloniaux comme les abeilles domestiques cantonnées dans des sites précis, il y a presque toujours à une distance raisonnable un pied de lierre fleuri à exploiter. Il est de loin la plante à floraison automnale la plus abondante à tous égards.

Des hordes de butineurs

Il faut s’installer mi-octobre par une belle journée près d’un mur couvert de lierre en fleurs pour réaliser l’incroyable diversité d’insectes butineurs qui se « ruent » littéralement avec frénésie sur cette provende. Un spectacle haut en couleurs et idéal pour faire des photos rapprochées tant les insectes avides de nectar et de pollen ne se soucient guère de votre présence. En Grande-Bretagne, on a recensé au moins 72 espèces différentes de butineurs sur les fleurs de lierre mais il y en a sans doute plus. Trois grands groupes dominent largement.

Les diptères (mouches et apparentées) sont souvent les visiteurs prédominents et en tout cas les plus diversifiés en espèces. Difficile d’entrer dans le détail des espèces tant leur identification reste difficile : des mouches bleues ou vertes (Calliphoridés), des mouches à damier (Sarcophagidés), des grosses mouches velues de la famille des Muscidés (Mesembrina, Phaonia, ..), des mouches jaunes du fumier (Scatophagidés). Mais la famille la plus présente c’est bien celle des Syrphidés, « les mouches qui volent sur place » avec les éristales brun foncé et bien d’autres (au moins 20 espèces recensées).

Les papillons diurnes deviennent rares en automne sauf quelques espèces de vanesses (nymphalidés) qui vont hiberner sur place ou migrer vers le sud. Elles fréquentent alors régulièrement les gros massifs de lierre, parfois en nombre ; le vulcain vient largement en tête (91% des observations de papillons dans l’étude anglaise) suivi de la vanesse du chardon, du paon de jour, du Robert-le-diable ou de la petite Tortue. La récolte du nectar représente pour eux une source importante d’énergie à stocker en préparation de l’hiver ou de la migration.

Abeilles et compagnie

Parmi les hyménoptères, on observe évidemment les abeilles domestiques mais elles ne sont pas pour autant dominantes et ne représentent souvent que ¼ des visiteurs au plus. La fréquentation varie beaucoup d’un site à un autre (de 15 à 32% des visiteurs selon les sites) sans doute en lien avec la proximité de ruches.

Une des visiteuses les plus assidues (mais pas présente partout) reste une petite abeille solitaire (bien qu’elle niche en colonies où chaque abeille s’occupe de son propre nid) spécialisée dans la récolte du pollen du lierre, la collète du lierre (Colletes hederae). Elle se reconnaît à son thorax roux velu et son abdomen rayé de blanc jaunâtre et de noir et …. à ses pattes couvertes de pollen jaune ! Son cycle d’activité coïncide avec celui du lierre puisqu’elle n’apparaît qu’en automne. Attention cependant, il existe d’autres espèces très proches qui peuvent aussi butiner le lierre ! De même, la collète du lierre n’est pas strictement inféodée au lierre puisque l’analyse des pelotes de pollen montre que 88% contiennent effectivement du lierre mais le reste provient d’autres fleurs.

Les bourdons semblent peu fréquenter le lierre compte tenu sans doute du caractère trop ouvert de ses fleurs alors que eux sont plutôt spécialisés dans les fleurs fermées au nectar plus difficile d’accès. Cependant, localement, on peut les observer plus régulièrement sur des lierres.

Les guêpes sont omniprésentes avec quasi exclusivement la guêpe vulgaire, la seule espèce encore en pleine activité à cette époque de l’année. Elles se reposent souvent sur les feuilles et butinent les fleurs au stade femelle puisqu’elles ne récoltent pas le pollen. Une autre étude a montré qu’elles étaient en fait de loin les pollinisateurs les plus efficaces pour le lierre (2). D’une année à l’autre, les guêpes montrent de fortes fluctuations de populations ; ainsi dans cette étude anglaise, en 2011 elles représentaient 27% des visiteurs alors qu’en 2012, elles avaient chuté à 3,5% ! On peut aussi observer plus rarement quelques frelons d’Europe.

L’importance du lierre pour les abeilles domestiques

Comme l’étude anglaise était pilotée par un institut d’apiculture, les abeilles domestiques ont reçu une attention plus particulière. A cette époque de l’année (septembre-octobre), les abeilles ont toujours du couvain en cours d’élevage et à partir de mi-octobre elles doivent en plus faire des provisions en vue de l’hiver. 80% des abeilles domestiques observées en train de butiner sur le lierre ne portaient pas de pelotes de pollen : elles exploitent donc avant tout le nectar. L’analyse de ce dernier donne un taux de sucre atteignant 50%, valeur très élevée peut être due à l’évaporation du nectar à la surface des disques des fleurs où il va même jusqu’à cristalliser. L’analyse de régurgitations d’abeilles donne un contenu de jabot avec une teneur en sucre du même ordre ce qui confirme cette prééminence de la collecte du nectar du lierre qui est sans aucun doute la plante ressource principale, presque toujours disponible dans un rayon proche d’une ruche. Comme la principale cause de mortalité hivernale est souvent le manque de nourriture, cet apport du lierre peut donc être considéré comme décisif.

Voilà donc une belle démonstration de l’importance d’une plante « banale », répandue et bien plus importante qu’on ne le croit aussi bien pour les abeilles domestiques que pour l’ensemble de la biodiversité des insectes butineurs actifs en automne ; c’est une espèce-clé au sens écologique. Il devient donc urgent de ne plus éliminer les lierres des murs ou vieux bâtiments ou arbres aux prétextes souvent faux qu’il cause des dégâts ou bien de les tailler à ras dès qu’ils commencent à fleurir. Le lierre devrait au contraire devenir un des symboles de cette biodiversité ordinaire si importante mais qu’on tend à négliger.

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Chaque village devrait s’enorgueillir d’avoir au moins un mur couvert de lierre et le protéger jalousement !

BIBLIOGRAPHIE

  1. BIOLOGICAL FLORA OF THE BRITISH ISLES Hedera helix L. DANIEL J. METCALFE. Journal of Ecology 2005 93, 632–648
  2. Pollinator effectiveness and fruit set in common ivy, Hedera helix (Araliaceae). Jennifer H. Jacobs • Suzanne J. Clark • Ian Denholm • Dave Goulson • Chris Stoate • Juliet L. Osborne. Arthropod-Plant Interactions ; 2010. Springer.
  3. Ivy: an underappreciated key resource to flower-visiting insects in autumn. MIHAIL GARBUZOV and FRANCIS L. W. RATNIEKS. Insect Conservation and Diversity (2013)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le lierre
Page(s) : 22-23 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez les insectes butineurs des villes
Page(s) : 280-296 Le guide de la nature en ville