Cistaceae

Comme toute classification, celle des végétaux à fleurs définit les groupes de parentés (ordres, familles, genres) à partir de caractères dérivés propres, i.e. ceux qui sont spécifiques d’un groupe donné et hérités d’un ancêtre commun ; ce sont les signatures du groupe en quelque sorte. Souvent, il s’agit de caractères moléculaires portant sur l’ADN et forcément sans signification concrète pour un naturaliste. Mais même quand il s’agit de caractères anatomiques ou morphologiques, on reste souvent dans des formulations plus qu’ésotériques. Ainsi, récemment en feuilletant l’ouvrage de référence Classification phylogénétique du vivant (Tome 1 où se trouvent les végétaux) suis-je tombé en arrêt devant ce caractère dérivé propre à l’ordre des Malvales : exotegmen épais et lignifié ! Le texte explique heureusement que l’exotegmen est la couche interne du tégument de la graine. Une fois l’information saisie, on a envie de lui donner du sens et de déboucher sur du concret, du palpable avec une idée en arrière-plan : çà doit forcément servir à quelque chose ce « truc » (raisonnement évolutif !) ? C’est ainsi que je me suis penché sur l’une des familles de cet ordre des Malvales : les Cistacées, la famille des Cistes et Hélianthèmes. Et là, belle surprise, j’y ai découvert l’extrême importance de ce fameux exotegmen épais et lignifié, une innovation évolutive majeure dans cette famille permettant de comprendre tout un faisceau de particularités biologiques et écologiques des espèces qu’elle renferme. Enfin du sens pour un naturaliste !

Hélianthème des Apennins en fleurs

Petite famille

La famille des Cistacées regroupe environ 200 espèces réparties dans 8 genres dont 5 sont représentés en Europe et en France : les hélianthèmes (Helianthemum, Halimium et Tuberaria), les cistes (Cistus) et les fumanas (Fumana). Le genre Helianthemum à lui tout seul regroupe plus de la moitié de ces espèces avec par exemple l’Hélianthème des Apennins. On y trouve aussi bien des espèces herbacées (hélianthème à gouttes) que des sous-arbrisseaux (Hélianthème nummulaire) que des arbustes plus ou moins élevés (Cistes et Halimiums).

A part quelques exceptions en Amérique du sud, les espèces de cette famille vivent dans les régions tempérées de l’Hémisphère nord avec quelques genres spécifiques à l’Amérique du nord et plus de la moitié des espèces inféodées étroitement au bassin méditerranéen occidental. Même les espèces qui remontent plus au nord en Europe (comme le fumana couché ou les hélianthèmes nummulaire ou des Apennins) gardent un lien très étroit avec des milieux secs et ensoleillés sur des sols sableux ou calcaires qui se dessèchent fortement en été.

Les espèces arbustives (Cistus et Halimium) dominent parfois de manière exclusive les milieux arbustifs méditerranéens de type garrigues ou maquis ; là, ils sont presque toujours dominants dans des espaces régulièrement perturbés par des incendies ou pâturés par des troupeaux d’ovins ou de caprins. Nous reviendrons en détail sur cette trilogie associée aux membres de cette famille (sécheresse, feu et pâturage en l’éclairant justement avec les caractères dérivés propres à la famille.

Signatures

Feuilles d’Hélianthème des Apennins

La plupart des Cistacées ont des feuilles simples, entières, souvent avec les bords enroulés, dotées de stipules à leur base.

Au microscope, sur cette feuille de ciste, on repère des poils glanduleux et des poils non glanduleux qui se côtoient

Un trait caractéristique de la famille concerne le revêtement pileux souvent abondant avec des poils glanduleux multicellulaires sécréteurs (huiles essentielles, résines) d’une part et surtout des poils non glanduleux d’un genre très particulier : unicellulaires avec à leur base rigide un compartiment interne (qui donne l’impression qu’il y a une autre cellule), ils sont assemblés en touffes ; on parle de « poils combrétacés » du nom d’une autre famille non apparentée de plantes exotiques où l’on retrouve de tels poils mais pas en touffes.

Ces poils donnent à nombre de ces plantes (dont les cistes) un aspect général soyeux argenté. L’abondance de ces poils particuliers explique en grande partie le lien de ces plantes avec les milieux secs qu’elles ont pu coloniser : ces touffes de poils limitent les pertes en eau et la surchauffe des feuilles.

Ceci fait notamment des cistes et des hélianthèmes des plantes ornementales de plus en plus appréciées pour leur rusticité face à la sécheresse (voir l’exemple de la sauge de Jérusalem) et capables de prospérer dans des plates-bandes en plein soleil..

La seconde signature de la famille concerne la structure des fleurs avec un calice particulier : deux des 5 sépales libres sont bien plus petits, réduits et ressemblant à des bractées (parfois absents) ce qui donne un calice faussement asymétrique.

Les fleurs à 5 pétales (parfois seulement 3 ou même pas du tout) se démarquent par une floraison très fugace et éphémère : elles ne s’ouvrent souvent qu’en plein soleil et au bout de quelques heures, les pétales tombent. Cette relation avec le soleil leur a valu divers noms populaires ou scientifiques : hélianthèmes (helios = soleil et anthemos = fleur) ; grille-midi pour l’hélianthème tacheté (Tuberaria guttata). Dans le bouton floral, la corolle est torsadée et à l’éclosion, les pétales apparaissent tout chiffonnés comme chez les coquelicots. Il y a de nombreuses étamines aux anthères jaune vif disposées en bouquets.

Le fruit sec est une capsule dure qui s’ouvre en 3 à maturité et libère des graines très petites, anguleuses, à la surface rugueuse. Par temps humide, leur surface colle car leur tégument externe devient mucilagineux, un caractère que l’on retrouve dans d’autres familles de l’ordre des Malvales. Reste le fameux exotegmen épais et lignifié cité en introduction sur lequel nous allons maintenant nous attarder.

Pyrophytes

La présence d’un tégument dur et imperméable sur les graines induit une dormance primaire, i.e. une incapacité à germer immédiatement après la libération des graines faute de pouvoir s’imbiber d’eau. De telles graines doivent subir une « agression » extérieure naturelle qui détériore cette barrière et leur permette ensuite de germer. Il a fallu attendre une étude des années 1990 (3) pour ajouter à la liste de la douzaine de familles connues pour un tel caractère celle des cistacées : pourtant, il a été démontré sur les 42 espèces méditerranéennes étudiées (sur un total potentiel de 130 dans l’Ancien Monde). En laboratoire, on réussit à lever la dormance de ces graines par traitement thermique avec un faible taux de réussite. Ceci correspond à ce qui passe dans la nature lors d’un incendie ou suite à l’exposition prolongée sous les rayons du soleil qui chauffent le sol. On sait par exemple que les cistes voient la germination de leurs graines stimulée suite à des incendies : ils forment souvent des peuplements massifs et dominants dès l’année qui suit l’incendie. Mais dans quelle mesure résistent-elles à une chaleur excessive notamment au niveau du sol ? Une étude (4) menée en Espagne montre que les graines accumulées (banque de graines du sol) dans la couche 0-2cm subissent majoritairement de forts dommages : soit elles sont brûlées, soit elles ressortent avec un tégument aminci mais en étant non viables ; par contre, celles de la couche 2-5cm ne subissent aucun dommage. Des tests montrent que le taux de germination des graines ayant survécu au passage du feu se trouve considérablement augmenté (sauf pour une espèce, le ciste à feuilles de sauge) à 60-75%. Mais comme la banque de graines du sol diminue de 90% l’année d’après un incendie suite aux germinations massives, il doit y avoir d’autres facteurs qui lèvent la dormance. Une majorité de cistacées, , ont donc été favorisées par le régime récurrent d’incendies (naturels ou crées par l’homme) typique des maquis et garrigues méditerranéens.

Un autre facteur favorisant les cistacées dans ce contexte provient de leurs graines de petite taille qui s’accumulent en masse dans la banque du sol et y persistent donc longtemps du fait de leur tégument durci.

Abrasion

L’étude (3) a révélé un autre facteur expérimental capable de lever encore plus efficacement la dormance : la scarification mécanique. A quoi cela peut-il correspondre dans la nature ? On peut penser aux alternances répétées de périodes de grande sécheresse et de fortes pluies d’automne qui finiraient par induire des microfissures dans la barrière imperméable mais cela demanderait beaucoup de temps. Par ailleurs, dans l’étude invoquée, les auteurs disent que la dispersion se fait à courte distance par simple chute au sol. Or, une étude récente (5) bat en brèche cette supposition. Ces plantes sont consommées régulièrement par des ongulés sauvages (cervidés ou bouquetins) ou domestiques (chèvres, moutons surtout) qui, en broutant le feuillage, avalent des capsules pleines de graines et rejettent ces dernières dans leurs excréments (endozoochorie : voir la chronique générale sur ce mode de dispersion). Près de 40% des graines de cistacées ingérées se retrouvent intactes et viables dans les excréments ; le temps de transit moyen est de l’ordre de 48 heures pouvant aller jusqu’à 96 heures si bien que les graines se trouvent déposées souvent loin du lieu de collecte. Le passage par le tube digestif augmente de sept fois le taux de germination des graines : les acides digestifs attaquent le tégument et l’affaiblissent agissant comme la scarification mécanique ! Le dépôt massif de graines au milieu d’un tas d’excréments ne les empêche pas de germer même 20 jours après leur dépôt ; la décomposition de la matière organique pourrait même favoriser le développement des plantules naissantes. Les auteurs de l’étude parlent d’un véritable mutualisme (voir la chronique sur ce type d’interaction) ongulés/cistacées, du même ordre que celui qui lie vertébrés frugivores et plantes à fruits charnus ! Ce mutualisme a du se mettre en place progressivement au cours des 1,8 millions d’années depuis le début de la coexistence de ces animaux et de ces plantes dans le contexte méditerranéen. Le grand nombre de graines produites et leur petite taille (0,4 à 2,5mm) constituent autant de traits favorisant cette relation endozoochore. Ainsi, pour faire court, on pourrait dire que les cistacées, fortes de cette innovation évolutive qu’est le tégument renforcé, sont devenus les enfants du feu et de la chèvre !

Fleur de Ciste pulvérulent venant d’éclore : noter les pétales chiffonnés

Interactions

Les cistacées sont connues pour développer au niveau de leurs racines des relations étroites avec des filaments mycéliens de champignons favorisant leur nutrition minérale et l’absorption de l’eau sous forme d’endomycorhizes ou d’ectomycorhizes. Ainsi, l’hélianthème à gouttes porte le nom de genre Tuberaria dérivé du latin tuber (tubercule) à cause des excroissances sur ses racines. Tuber sert aussi de nom de genre pour désigner certaines truffes dont la truffe noire du Périgord. En Afrique du nord, les populations locales connaissent bien l’association étroite entre ce petit hélianthème annuel et diverses « truffes » surnommées terfass ou terfez, comestibles très appréciées et abondamment récoltées au printemps, période de floraison de cette cistacée. On les repère au sol légèrement soulevé ou craquelé au pied de ces hélianthèmes.

Pour rester dans ce contexte d’interactions entre espèces, il existe une plante holoparasite (entièrement parasite sans chlorophylle) qui se développe sur les racines des cistes : le cytinet (Cytinus hypocistis) ; sa floraison éclatante ne passe pas inaperçue même si la plante est au ras du sol ; on la trouve sur toute la côte méditerranéenne dans les garrigues dominées par les cistes. On retrouve dans les tissus de ce parasite des filaments mycéliens des champignons mycorhiziens associés aux cistes sans que l’on sache la signification de ce « transfert » depuis l’hôte. Le plus curieux dans cette histoire, c’est que le cytinet appartient à une famille (cytinacées) qui s’est avérée être une proche parente de la famille des … Cistacées au sein de la classe des Malvales !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide to flowering plant families. W. B. Zomlefer. The university of North Carolina Press. 1994
  2. Botanique systématique. Judd et al. De Boeck université. 1999
  3. Cistaceae : a plant family with hard seeds. C. A. Thanos et al. ISRAEL JOURNAL OF BOTANY,Vol.41,1992,.251-263
  4. Effect of fire on hard-coated Cistaceae seed banks and its influence on techniques for quantifying seed banks. Pablo Ferrandis et al. Plant Ecology 144: 103–114, 1999.
  5. Efficiency of endozoochorous seed dispersal in six dry-fruited species (Cistaceae): from seed ingestion to early seedling establishment. Maria E. Ramos et al. Plant Ecology (2006) 185:97 –106

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Cistacées horticoles
Page(s) : 319-320 Guide des Fleurs du Jardin
Retrouvez les Cistacées au sein des Malvales
Page(s) : 493-495 Classification phylogénétique du vivant Tome 1 – 4ème édition revue et complétée