Lonicera periclymenum

Chèvrefeuille des bois dans une ambiance automnale de sous-bois

Le mot liane évoque tout de suite l’ambiance luxuriante d’une forêt tropicale et les cris des singes hurleurs ou des perroquets. Mais on oublie un peu vite que sous nos climats tempérés, nous avons aussi des lianes : certes, elles sont bien moins diverses (quelques dizaines d’espèces au plus) et le plus souvent bien moins spectaculaires en taille. Néanmoins, quelques-unes se détachent quand même du lot par leur développement conséquent : une taille ou un aspect suffisants pour avoir largement interpellé nos aïeux qui ont tissé autour de ces lianes tout un réseau de croyances et d’usages fort intéressants à revisiter en ces temps où notre lien avec la nature se virtualise de plus en plus. Le chèvrefeuille des bois, une liane très commune dans les milieux forestiers et les haies de tout le pays, a ainsi cristallisé un ensemble de croyances surprenantes autour de son port grimpant et de son mode de vie. Nous laisserons de côté dans cette chronique les aspects médicinaux liés à son feuillage et à ses fleurs et fruits.

A droite toute !

Le chèvrefeuille des bois est une vraie liane, i.e. une plante grimpante, enracinées dans le sol, avec des tiges ligneuses persistantes pouvant atteindre les six mètres de long et une longévité de quarante ans. Pour autant, ces tiges ne dépassent pas au summum de leur développement le diamètre d’un petit doigt ; rien à voir par exemple avec une autre liane indigène, très commune elle aussi, la clématite vigne-blanche qui présente des tiges lianescentes allant jusqu’à quarante mètres de long et quatre centimètres de diamètre (plus grosses qu’un pouce).

Le chèvrefeuille compense le faible « volume » des tiges par le nombre : très souvent, un ou plusieurs pieds produisent des tiges qui se ramifient tout en montant, s’entremêlent joyeusement entre elles formant des fouillis inextricables suspendus dans les arbres ou les buissons supports.

Contrairement au lierre (voir la chronique sur cette autre liane conséquente), le chèvrefeuille ne possède pas de crampons sur ses tiges : il fonctionne en mode volubile, i.e. en enroulant ses tiges autour d’un support et se serrant autour pour s’agripper : une branche ou un jeune tronc mais aussi des buissons ou auprès de nous des grillages ou des barrières. Toutes les plantes volubiles ont une propriété remarquable : pour une espèce donnée, tous les individus (en principe) tournent toujours dans le même sens lors de l’enroulement de leurs tiges ! Pour apprécier le sens de ce mouvement, il faut s’accorder sur les points de repère dans l’espace selon le l’angle de vue : par convention, on se place au-dessus du support et on regarde en direction de la tige en croissance (comme si elle allait nous enserrer !). Si l’enroulement se fait dans le sens des aiguilles d’une montre, on parle de liane dextrose (dextre pour droite car l’aiguille va vers la droite) ; pour l’inverse, on parle de liane sinistrorse (sinistra = gauche). Tous les chèvrefeuilles grimpants sont dextrorses ce qui est assez rare dans le monde végétal, la majorité des volubiles étant sinistrorses.

Chèvrefeuille grimpant

Jeunes tiges se dressant à la verticale depuis un massif de chèvrefeuille ; faute de support, elles vont vite s’enrouler entre elles : elles entament la « danse des serpents » qui s’entremêlent !

Le chèvrefeuille des bois se reconnaît à son feuillage caduque qui ressort au début du printemps : des feuilles opposées (comme tous les chèvrefeuilles), d’un vert un peu bleuté, molles, plus ou moins velues et entières … sauf parfois des tiges qui portent des feuilles dentées ou lobées rappelant celles d’un chêne !

Ses tiges assez fines et très souples tant qu’elles sont jeunes peuvent soit ramper au sol en l’absence de support, soit grimper en s’enroulant : elles ont une écorce fine qui se détache en lanières fibreuses. Sur les tiges basses ou rampantes, les ramifications portent des paires de feuilles assez rapprochées ce qui donne l’impression de feuilles par paquets.

La floraison est spectaculaire et sublime : des bouquets de fleurs très parfumées, blanchâtres à jaune pâle avec une corolle en long tube ; elles cèdent place à des fruits charnus, des baies rouges de la taille d’un petit pois.

Il habite dans toute la France les bois plutôt frais sur des sols de préférence acides (chênaies ou forêts riveraines) et les landes et broussailles ainsi que les haies non loin des lisières ; ainsi, on le trouve régulièrement en bocage. Une espèce introduite et de plus en plus naturalisée lui ressemble un peu mais elle colonise les haies et friches autour des villages : le chèvrefeuille du Japon (L. japonica) facile à distinguer par son feuillage semi-persistant (une partie de l’hiver), ses fleurs par deux et ses fruits foncés.

En région méditerranéenne, on trouve trois autres espèces au port plutôt buissonnant- sarmenteux qui ne s’enroulent pas autant autour des supports et qui ont une partie de leurs feuilles soudées deux par deux, comme traversées par la tige. Curieusement, le qualificatif latin attribué à notre chèvrefeuille des bois par Linné, periclymenum, signifie « baigné tout autour », qu’il faut comprendre comme « formant une cuvette » : or, justement ce caractère des feuilles soudées ne s’applique pas du tout à ce chèvrefeuille !!

Etrangleur

Le port grimpant volubile n’a rien d’exceptionnel en soi même dans notre flore surtout si on inclut les espèces herbacées ou semi-ligneuses comme le liseron des haies ou le houblon. Si le chèvrefeuille des bois a tant attiré l’attention de nos ancêtres, c’est à cause de deux détails effectivement peu banaux. D’abord, il a tendance, là où il prospère à s’auto-enrouler autour de ses propres tiges pour progresser vers le haut et atteindre le graal recherché par toutes les lianes : de la lumière pour fleurir et fructifier ! Ainsi se forment des tresses de tiges extrêmement serrées pouvant ne regrouper trois ou quatre : on dirait bien qu’il s’agit d’une œuvre humaine … à moins que ce ne soit encore une « embrouille du Malin » pouvait-on penser ! Le houblon est aussi coutumier de cette habitude mais ses tiges ne sont que semi-ligneuses et ne persistent pas longtemps.

L’autre « détail » propre au chèvrefeuille des bois, lui, frappe bien plus l’imagination : quand ses tiges s’enroulent sur de jeunes troncs ou branches dressées d’arbres ou arbustes ou bois relativement tendre comme les noisetiers ou les frênes, elles peuvent engendrer une déformation spectaculaire en forme de spirale. La tige du chèvrefeuille oppose une résistance farouche à la croissance en diamètre du support car sinon elle va se rompre : là où elle touche le tronc, elle engendre un profond sillon tandis que juste au-dessus un bourrelet de tissu nouveau qui déborde et tend même à recouvrir la laine étrangleuse ! Ainsi se forment ces étonnantes spirales, petites merveilles naturelles propres à impressionner les esprits crédules … ce qui n’a pas manqué ! Les galeries photos ci-dessous montrent différents cas allant de la tresse nette tiges vers le simple enroulement à l’étranglement en règle avec en final un cas de défaite où il ne reste que des cicatrices pour l’arbre !

Les forestiers d’ailleurs honnissent le chèvrefeuille des bois car il lui reproche d’étrangler les jeunes plants dans les plantations après des coupes : le chèvrefeuille favorisé par la lumière peut y prospérer et escalade donc les jeunes arbres en pleine croissance.

Usages

Le chèvrefeuille peut aussi ramper au sol, donnant alors des tiges très souples et faciles à exploiter.

Comme pratiquement toutes les plantes ligneuses à tiges un peu souples, ce chèvrefeuille a été utilisé comme matériau de vannerie pour confectionner des paniers ; en Ecosse, on fabriquait ainsi des bâts pour les poneys dans les îles Hébrides. Mais ce qui a le plus attiré l’imagination créatrice des hommes, ce sont les fameux « bois spiralés » par les chèvrefeuilles, ces œuvres d’art naturelles qu’il ne restait plus qu’à convertir en canne ou bâton de marche. A ce propos, voici un extrait d’un article de F. Faideau, paru dans la revue La Science Illustrée de juin 1894, et intitulé « A la recherche d’une canne » :

Que direz-vous maintenant d’une jolie canne, à bois spiralé, comme celle que brandissaient les Incroyables, à la fin du siècle dernier ? Regardez autour de vous. Voyez ce chèvrefeuille qui grimpe en s’enroulant jusqu’au sommet de cette jeune branche. Il y a déjà longtemps qu’il l’enserre ainsi comme l’indique le profond sillon dans lequel il disparaît presque. Remarquez qu’au-dessus de ce sillon est un énorme bourrelet qui n’a pas son correspondant en dessous ; il est dû à l’arrêt de la sève descendante déterminé par l’étreinte du chèvrefeuille. Cette ligature obstrue les vaisseaux que doit suivre le liquide nourricier ; celui-ci, ne pouvant circuler, forme de nouveaux tissus ; la tige se gonfle au-dessus du lien qui l’étouffe ; son écorce peut même déborder et finir par recouvrir l’étrangleur. Coupez maintenant la branche à bonne longueur ; enlevez la guirlande de chèvrefeuille incrustée dans le bois et vous aurez en main une canne d’Incroyable ; il ne s’agira plus que de la dégrossir.

Tout est dit ! Ces cannes étaient aussi très prisées dans les music-halls écossais de l’époque par les chansonniers.

Outre-Atlantique, en Virginie, un artisan sculpteur de bois, N. Amos, récemment décédé à 90 ans, était devenu célèbre pour sa spécialité : sculpter des « cannes à serpent » surnommés des « sucres d’orge » (à cause de la ressemblance !) en utilisant ces bois spiralés et y gravant des figures de serpents et en ajoutant de vives couleurs. Cet art semble répandu dans l’Est des U.S.A., au sud des Appalaches ; là-bas, ce sont des chèvrefeuilles locaux ou des bignones sauvages (bien connues chez nous comme ornementales) qui créent ces spirales. Ce terme de canne à serpent est à double sens : la spirale bien sûr mais aussi pour son usage. N. Amos rapporte dans une de ses poésies que les vieilles dames ou les cultivateurs de champs de tabac frappent le sol avec cette canne avant d’avancer pour faire fuir les serpents dont les crotales ou serpents à sonnettes. Nous sommes ici exactement à l’interface du concret artisanal et du culturel mystique avec la symbolique du serpent !

Le serpent est en lui

Ce port spiralé, avec les spirales parfois creusées dans le bois, évoque irrésistiblement le serpent et donc le mal et le diable ; il suffit de se rappeler de l’image du serpent et de la tentation dans la religion chrétienne. De ce fait, depuis des siècles, en Europe, le chèvrefeuille est devenu l’icône des sorcières (avec en plus l’image du bâton !) soit comme moyen de les contrer ou, à l’inverse, comme outil jeteur de sort pour ces dernières !

En Ecosse où ces usages sont bien documentés, on trouve des exemples d’utilisation du chèvrefeuille : pour se protéger du Malin, enrouler une longue tige de chèvrefeuille autour du corps du malade, dans le sens où elle pousse sur un arbre tout en récitant des incantations ad hoc. On voit bien que c’est la manière de pousser du chèvrefeuille qui suscite cet usage. L’idée qu’il neutralisait les sorcières venait d’une croyance plus générale : si on présente à une personne liée au diable un objet avec un motif complexe (comme les tiges entrelacées du chèvrefeuille), celle-ci voit son attention détournée pour essayer d’interpréter ce motif et se voit donc distraite de son objectif maléfique initial ! Ainsi, on tressait des tiges de la manière la plus compliquée possible pour faire ces « repousse-sorcières ».

En 1597, à Edinburgh, une guérisseuse J. Stewart, fut convaincue de sorcellerie et exécutée pour avoir guéri plusieurs femmes « en faisant passer des guirlandes de chèvrefeuille de la tête aux pieds pour extraire le mal puis en les coupant ensuite en neuf pièces jetées au loin dans le feu » ! Ces guirlandes tressées étaient très employées à la campagne à l’entrée des étables, notamment au début du mois de Mai (moment très propice aux mauvais sorts disait-on !) pour protéger le lait, le beurre et les vaches.

Et on s’attache …

Les fameux bâtons spiralés avaient un autre usage symbolique lié à la symbolique de l’attachement extrême et de la fidélité. En Angleterre (Sussex), posséder un tel bâton vous garantissait toutes les chances de conquérir l’élue de votre cœur : il suffisait d’en porter un avec vous, d’appeler la personne choisie et celle-ci se trouvait de facto disposée à vous écouter avec une issue « favorable » ! On retrouve là aussi la symbolique du serpent tentateur de la Bible ! Certains hommes repéraient dans les bois des tiges de chèvrefeuilles en croissance et les enroulaient autour d’une tige de noisetier pour qu’elles s’y installent et ainsi récoltaient un an plus tard un bois spiralé.

Shakespeare, fin botaniste à ses heures, dans le Songe d’une nuit d’été évoque aussi cette « propriété » du chèvrefeuille quand Titania dit à Bottom (qui porte une tête d’âne)  :

Endors-toi et je t’enlacerai de mes bras

Ainsi fait le chèvrefeuille

Qui doucement s’enroule.

Nous terminerons cette chronique par un aspect lié à la biodiversité et que l’on pourrait intituler sous forme d’un titre de fable : la liane serpent et le croque-noix. En Grande-Bretagne au moins, on a démontré (4) qu’un magnifique petit rongeur méconnu (nocturne et très discret), le muscardin surnommé croque-noix, était fortement dépendant de la présence de ce chèvrefeuille dans ses habitats.

D’une part, les tiges entrelacées lui procurent de très bonnes « échelles » naturelles pour grimper dans les arbres mais surtout il utilise les lanières de l’écorce du chèvrefeuille des bois pour confectionner ses nids construits en hauteur dans les arbres. Alors que leur rayon de déplacement est d’ordinaire assez limité, en cas d’absence locale du précieux matériau, les muscardins peuvent aller jusqu’à une cinquantaine de mètres pour en récolter. Dans 84% des 56 nids étudiés, il y avait de l’écorce de chèvrefeuille et celle-ci dominait en masse (35%) par rapport aux autres matériaux possibles !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Flora celtica. W. Milliken ; S. Bridgewater. Ed. Birlinn. 2006
  2. Elsevier’s Dictionary of Plant Lore. D.C. Watts. Ed. Elsevier. 2007
  3. Flora Britannica. R. Mabey. Ed. chatto et Windus. 1996
  4. Hazel dormouse (Muscardinus avellanarius) nest material preferences and collection distances, in southern England. Bracewell, M. & Downs, N.C. (2017). Mammal Communications 3: 1-10, London

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le chèvrefeuille des bois
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