Dittrichia viscosa subsp. viscosa

17 octobre 2017 : alors que je prospecte les talus aux abords de l’autoroute A89 au nord de Clermont-Ferrand, je repère une grosse touffe toute fleurie faisant penser de loin à un aster américain mais tout jaune ; je m’approche et là, surprise, je reconnais une plante que j’avais déjà vue l’an dernier en septembre … dans les parcs à huîtres de l’estuaire du Payré sur la côte vendéenne et que je n’avais pas réussi à identifier tout de suite. En effet, cette plante, l’inule visqueuse, était, jusqu’à peu, cataloguée comme strictement méditerranéenne, y compris dans la toute récente Flore de France. Or, ici en Auvergne, nous sommes ici à plus de 500 kms du Midi, en plus dans les Basses-Combrailles, une région plutôt froide. Belle occasion donc de me pencher sur cette énigme et de découvrir que cette inule connaît effectivement une certaine propension à l’expansion et que de plus elle présente plusieurs caractéristiques biologiques originales. Une synthèse parue récemment (1) résume très bien ces aspects.

Colonie d’inule visqueuse dans un parc à huîtres de Vendée, fin septembre (Talmont Saint-Hilaire)

Vraiment poisseuse !

Parmi les inules, ces composées à capitules jaunes, l’inule visqueuse se démarque par son port arbustif : des tiges ligneuses et ramifiées à la base, dressées et atteignant jusqu’à 1,50m de hauteur ; les tiges nombreuses tendent à s’écarter les unes des autres au moment de la floraison très fournie.

Touffe étalée à la floraison ; on notera la base ligneuse des tiges

L’aspect buissonnant est renforcé par la densité du feuillage qui couvre les tiges jusque sous les capitules ; toute la plante est couverte de poils glanduleux qui rendent les feuilles notamment collantes, poisseuses et répandent une forte odeur un peu résineuse. La densité de ces poils sécréteurs varie de 11 à 14 par mm2 selon les faces de la feuille. Les nombreux capitules jaunes avec des languettes externes atteignent 2cm de diamètre et donnent en automne de grosses quantités de fruits-graines (akènes) surmontés d’une aigrette de 15 soies ce qui permet leur transport par le vent (anémochorie).

Sur la côte atlantique où elle commence donc aussi à apparaître (voir l’introduction), il ne faut pas la confondre avec une de ses cousines autochtone, l’inule faux-criste, au feuillage charnu, bien plus basse et hôte des marais salants.

Dans son aire d’origine, l’inule visqueuse perd la majorité de ses feuilles au cœur de l’hiver et elles réapparaissent sur les tiges persistantes à partir de fin mars à début avril ; en mai, la plante est complètement « régénérée » et les boutons floraux apparaissent en juillet. La floraison s’étale sur une longue période d’août à octobre, suivie de la libération des fruits.

Sur la route du Nord

L’inule visqueuse est donc native du bassin méditerranéen sur tout dans sa partie occidentale en France, en Espagne, en Italie mais on la retrouve aussi en Grèce, en Bulgarie et en Turquie et jusqu’au Moyen-Orient ; elle peuple aussi une bonne partie de l’Afrique du Nord. Partout, elle était confinée plutôt sur une large bande côtière, ne dépassant pas 600m en altitude. En France, dans les flores « anciennes » (2- tout est relatif !), on la mentionne comme présente sur tout le littoral méditerranéen devenant rare dans la Drôme et l’Ardèche et très commune en Corse.

Cette espèce amateur de chaleur (thermophile) et de lumière (héliophile) recherche des sols plus ou moins secs souvent desséchés en plein été. Elle habite toutes sortes de milieux plus ou moins dégradés par les activités humaines : friches, champs abandonnés, lits asséchés des rivières, chemins, talus mais aussi garrigues et maquis, allant ponctuellement jusque dans des milieux humides en hiver. Elle fréquente beaucoup les bords des routes et a un comportement nettement rudéral, i.e. qu’elle a un goût prononcé pour les sols enrichis en azote et donc souvent en lien avec des perturbations humaines.

Au cours des dernières décennies, elle a commencé à montrer à l’intérieur de son aire une tendance à l’expansion avec la colonisation de milieux très dégradés et notamment jusque dans des zones périurbaines. Et puis, elle a commencé à se propager hors de ses limites progressant vers le nord mais souvent de manière très discontinue, abondante dans des stations ponctuelles et absente de vastes zones (pour l’instant !). on la signale d’ores et déjà comme établie aux Açores et elle a atteint la Belgique et la Grande-Bretagne ; en Australie, elle est devenue une plante invasive majeure qui pose des problèmes dans le sud-ouest du pays. En auvergne où je viens donc de l’observer, elle était déjà signalée dans l’Atlas de la flore d’Auvergne paru en 2006 comme présente dans la région de Clermont-Ferrand comme naturalisée en abondance dans une ancienne carrière abandonnée.

Alors, s’agit-il des prémisses d’une invasion plus généralisée du style de celle du séneçon du Cap ?

Elle a tout d’une invasive

Si on s’intéresse de plus près à la biologie de cette espèce, on y découvre un certain nombre de traits de vie très propices à faire d’elle une future invasive. D’abord elle montre une remarquable prolificité : chaque touffe qui compte de nombreuses tiges produit des milliers des fleurs (groupées en capitules serrés), sur une longue période en fin d’été, suivies de milliers de graines plumeuses facilement transportées par le vent mais aussi par l’eau et notamment le long des voies de circulation, le passage des véhicules créant des turbulences propices (voir la chronique On the road again, again… ) ; les graines peuvent aussi être transportées avec les déblais lors des grands travaux. La germination des graines dormantes est facilitée par leur exposition à la lumière (donc lors de perturbations du sol). Ces graines possèdent une enveloppe villeuse, i.e. faite de poils fins mucilagineux, qui possède un fort potentiel d’absorption de l’eau (3) : ce revêtement absorbant permet la germination même dans un sol sec en extrayant le peu d’humidité présent. Cependant, si expérimentalement on supprime cette enveloppe, la germination s’en trouve encore plus améliorée car elle a un caractère d’abord hydrophobique ! Ceci montre en tout cas que ces graines sont adaptées à la germination en milieu sec.

Autre singularité favorisante connue depuis longtemps : l’inule visqueuse offre une remarquable tolérance aux sols chargés en métaux lourds comme le nickel ou le magnésium ce qui la rend capable de coloniser des sites pollués par les activités humaines comme les tas de déchets miniers. On l’utilise sur des sols pollués pour fixer les métaux lourds et éviter leur lessivage par les pluies (phytoremédiation).

Armure chimique

Elle bénéficie en plus de la présence de son fameux revêtement poisseux de poils glanduleux qui élaborent des exsudats phénoliques dont la concentration augmente en situation de stress ; sous forme d’une huile essentielle, cette sécrétion renferme au moins 80 substances volatiles dont des sesquiterpènes et des flavonoïdes. Ce manteau chimique protège la plante contre les attaques de micro-organismes puisqu’il possède des propriétés antifongiques et antibactériennes, entre autres. On pense aussi qu’il protège les feuilles des UVB, ces radiations lumineuses nocives lors des expositions prolongées à un fort ensoleillement ; cependant, là aussi, si on enlève le revêtement et qu’on expose les feuilles à un fort ensoleillement, cela ne bloque pas pour autant la photosynthèse ce qui indique une forte résistance à cet aléa indépendamment de cette protection.

Ce riche équipement chimique vaut depuis longtemps à l’inule visqueuse le statut de plante médicinale majeure dont la liste des propriétés est fort longue : balsamique ; cicatrisante ; antifongique ; antivirale ; antibactérienne ; antipyrétique ; antidiabétique ; antiseptique ; … Une vraie armoire à pharmacie ! Attention par contre au contact de la peau avec le feuillage qui peut déclencher chez certaines personnes sensibles de violentes réactions dermatologiques avec des cloques et une nécrose locale de la peau !

Tous ces traits de vie offrent donc à l’inule visqueuse une panoplie de parfaite invasive bien armée pour se propager vite en profitant du changement climatique en cours, elle qui recherche chaleur et soleil et ne craint pas la sécheresse. Va t’elle restée confinée sur des sites perturbés par les activités humaines ou se répandre y compris dans les milieux semi-naturels et entrer en concurrence avec la flore locale ? Impossible de le dire maintenant !

Bienveillante ?

Ce portrait laisse jusqu’ici planer une ombre un peu menaçante sur l’inule visqueuse comme danger potentiel. Pourtant, depuis très longtemps, elle bénéficie dans le bassin méditerranéen, au-delà de ses vertus médicinales intéressantes, d’une aura de plante bienfaitrice. En effet, les Anciens avaient remarqué que sa présence près ou au milieu de parcelles cultivées protégeait les cultures contre les insectes indésirables, ceux qu’on nomme les ravageurs. L’usage le plus répandu consistait à planter des inules visqueuses en marge des cultures pour lutter contre les ravageurs selon le principe de la lutte biologique. Il s’agit en fait d’un effet indirect : cette plante sert d’abri ou de site de nourriture (par ses fleurs ou par son feuillage pour les larves) à toute une armada d’insectes dit auxiliaires, bénéfiques à la culture. Ce peuvent être des minuscules guêpes (proches des ichneumons) qui parasitent les larves ou les adultes ravageurs ou des punaises de la famille des Miridés (dont celles du genre Macrolophus) qui sont de redoutables prédateurs des pucerons et des aleurodes.

Elle peut aussi héberger elle-même des pucerons (dont Capitophorus inulae qui présente l’avantage d’être très spécifique des inules et de ne pas attaquer les cultures) qui servent alors de réservoir de nourriture pour les guêpes parasites ou les coccinelles dans les périodes où la plante cultivée n’en porte temporairement plus (4). Il se pourrait bien d’ailleurs qu’une des causes de l’expansion récente en Espagne dans son aire naturelle soit justement cet usage répandu comme plante réservoir pour guêpes parasitoïdes dans la lutte biologique contre la mouche de l’olivier !

Enfin, cette plante attire fortement les abeilles en automne par sa floraison abondante et prolongée (plante mellifère), à une époque où justement les fleurs se font rares et encore plus dans les zones ayant subi une sécheresse estivale.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Biology of Dittrichia viscosa, a Mediterranean ruderal plant: a review. Parolin P, M Ion Scotta, C Bresch. FYTON (2014) 83: 251-262
  2. Flore forestière française. Tome 3 Région méditerranéenne. J.-C. Rameau et al. IDF. 2008
  3. Simulation of germination of pioneer species along an experimental drought gradient. Perez-Fernandez, M. A., E. Calvo-Magro & D. Ferrrer-Castan (2006). Journal of Environmental Biology 27: 679-685.
  4. Dittrichia viscosa and Rubus ulmifolius as Reservoirs of Aphid Parasitoids (Hymenoptera: Braconidae: Aphidiinae) and the Role of Certain Coccinellid Species. N.G. Kavallieratos et al. (2002) Phytoparasitica 30(3)