Gousses en chapelets du Sophora du Japon, arbre ornemental

28/01/2022 Dans la chronique « Un fruit, une famille : la gousse et les légumineuses », nous avons présenté ce fruit sec qui s’ouvre à maturité en deux valves et les graines qu’il renferme. Mais, vu la grande diversité de la famille des Fabacées ou Légumineuses, on observe forcément de grandes variations autour du type général tel que nous l’avons présenté. Dans cette chronique complémentaire, nous allons donc découvrir les gousses et graines « fantasques » par leur forme ou leur taille. Dans plusieurs lignées internes à la famille, on assiste même à la perte du caractère déhiscent, i.e. qui s’ouvre spontanément à maturité, ce qui est paradoxal pour ce fruit qualifié de typique par sa déhiscence ! Ainsi les gousses se déclinent sous des formes parfois très insolites et très loin de l’archétype présenté dans la première chronique !

Gousse à rétrécissements d’un arbuste endémique de Nouvelle-Calédonie : Arthriocladus sp.

Gousses en vessies

Chez les Astragales et les Oxytropes, deux genres représentés dans notre flore par des dizaines d’espèces surtout montagnardes, la gousse se trouve partagée en deux loges plus moins complètes par une fausse cloison, élaborée par l’un des deux bords repliés de la suture ventrale ; les deux rangs alternés de graines se trouvent alors de part et d’autre de cette fausse-cloison qui peut complètement partager la gousse et séparer les graines (voir la chronique sur l’astragale fausse-réglisse).

L’aspect externe de la suture ventrale, un peu « rentrée » trahit ce dispositif qui rappelle la fausse-cloison de la silique des Brassicacées ; mais il ne s’agit que d’une convergence évolutive. Chez certains astragales montagnards, on observe aussi une tendance à développer des gousses renflées en forme de vessies.

On retrouve de tels fruits chez le lupin indigo ou podalyre, une fabacée nord-américaine cultivée comme ornementale pour ses gousses qui prennent une belle teinte bleu sombre en séchant.

Cette tendance atteint son paroxysme chez les baguenaudiers, des arbustes : les fruits très renflés ont suscité le verbe baguenauder (faire des choses sans importance) à cause de l’envie irrépressible que l’on a, qu’on soit enfant ou adulte, de faire éclater ces fruits pleins d’air (voir la chronique complète sur le baguenaudier).

Gousses vertes de Baguenaudier

Gousses géantes

Gousses de Févier d’Amérique

Deux arbres nord-américains, cultivés comme arbres d’ornement, de la famille des Fabacées frappent par la taille démesurée de leurs gousses très coriaces qui ne s’ouvrent que tardivement et renferment une pulpe odorante : le févier (voir la chronique sur cet arbre surprenant à bien des égards) et le chicot du Canada.

Dans la nature, ces gousses tombent au sol et y restent longtemps avant de finir par s’ouvrir sur place. On pense que ces fruits hors normes étaient autrefois consommés par des animaux géants aujourd’hui disparus comme des paresseux géants ou des mastodontes, une communauté animale connue sous le vocable de mégafaune (voir la chronique sur ce sujet). Ils devaient disperser les graines très dures en les rejetant dans leurs excréments. Cette mégafaune riche en espèces a disparu à la fin de la dernière période glaciaire, privant ainsi ces arbres de leurs agents de dispersion principaux. Actuellement, seuls de grands mammifères tels que les cerfs ou le bétail (dont les chevaux) consomment ces fruits mais, à la différence des géants de la mégafaune, ils ne peuvent consommer que celles tombées au sol.

Gousses mûres de chicot du Canada

Il se peut que le même processus concerne le caroubier en région méditerranéenne où il y a eu aussi une petite mégafaune qui a disparu tardivement dont des éléphants nains. En tout cas, il partage les mêmes caractères que les précédents.

Haricots kilomètres

Parmi les plantes cultivées, on peut citer en matière de longueur le « haricot kilomètre », la dolique asperge ou haricot serpent, une espèce tropicale grimpante dont les minces gousses peuvent atteindre 80cm de long.

Gousse à articles d’Entada gigas

Dans les pays tropicaux, les exemples de gousses géantes ne manquent pas. Le record absolu semble détenu par une liane très vigoureuse des forêts tropicales d’Amérique centrale, Entada gigas, qui vit le long des rivières ou dans les mangroves côtières. Elle produit des gousses pouvant atteindre … deux mètres de long qui, à maturité, se séparent en une dizaine de loges contenant chacune une grosse graine très dure de 4 à 6 cm de diamètre, plus ou moins en forme de cœur. Ces loges tombent dans l’eau et les courants peuvent les entraîner jusqu’à l’océan ; elles dérivent et échouent sur les plages du golfe du Mexique : capables de résister à un long séjour dans l’eau de mer, elles peuvent alors germer et participent ainsi à la dispersion de l’espèce. On les surnomme donc « cœurs de la mer ». Mais le plus surprenant est que quelques-unes, entraînées par le Gulf Stream réussissent à atteindre l’Europe (en chemin, elles perdent l’enveloppe du fruit) et notamment les côtes occidentales de la Grande-Bretagne. Certains collectionneurs écument inlassablement les plages pour espérer en trouver une de temps en temps !

Gousses paradoxales

A de nombreuses reprises et de manière indépendante, des formes de gousses qui ne s’ouvrent plus (devenues indéhiscentes), donc indéhiscentes contrairement à la définition de la gousse sont apparues dans certaines lignées ; ces transformations ne concernent parfois même que quelques espèces au sein d’un genre où toutes les autres possèdent des gousses « normales ». Il a été démontré par exemple chez les luzernes qu’une simple variation de séquence d’un gène du développement des fruits suffisait à provoquer de tels changements, importants visuellement et chargés de conséquences quant à la dispersion des graines. En effet, c’est alors le fruit entier ou partagé en segments qui va devenir l’unité de dispersion et non plus les graines sorties des gousses. Les graines reçoivent ainsi une protection supplémentaire. Pour ce qui est observable dans notre flore ou chez les plantes ornementales couramment cultivées, nous pouvons distinguer deux grands types de « gousse indéhiscente », terme contradictoire par essence : les gousses articulées qui se détachent en morceaux et les gousses fermées qui restent d’un seul tenant.

Gousses lomentacées

Gousse d’hippocrépide à toupet

Les gousses articulées restent fermées mais se séparent en segments ou articles contenant chacun une graine ; l’unité de dispersion comporte donc une graine « enrobée » dans un morceau de fruit. Ce sont presque toujours des gousses étroites et allongées et dès leur formation, on repère des resserrements entre les graines, annonciateurs de leur évolution. Pour le botaniste, ce type de fruit est un loment ou lomentum (mot dérivé du latin lomentum qui signifie farine de fève, exemple de fabacée aux gousses resserrées entre les graines mais ne se séparant pas en segments !) ; il se classe dans le groupe des fruits pluriels unis au départ mais se séparant à maturité (schizocarpes). Plusieurs adjectifs botaniques peuvent s’appliquer de manière équivalente à de tels fruits : lomentacés (dérivé de lomentum), moniliforme (de monile, collier ; « en forme de collier de perles ») ou encore toruleux (de torulus, petit bourrelet) ! On trouve de tels fruits chez plusieurs genres de notre flore.

Sainfoin des Alpes avec sa gousse à étranglements

Chez les sainfoins des montagnes (Hedysarum), dont le sainfoin des Alpes, les gousses sont formées d’articles arrondis en disque portant plus ou moins des épines. Les hippocrépides dont l’hippocrépide à toupet ont des gousses aplaties creusées d’échancrures plus ou moins profondes et pouvant se refermer sur elles-mêmes qui séparent la gousse en articles avec chacun une graine ce qui leur vaut le surnom évocateur de fer-à-cheval.

La Coronille en arbre est en fait un Hippocrepis !

La coronille arbrisseau est en fait un hippocrépide : ce buisson de 2m au maximum, assez commun dans la moitié sud a des gousses étroites et longues de 5 à 10 cm, le plus souvent isolées.

Les chenillettes (Scorpiurus), avec une seule espèce méditerranéenne en France, se distinguent par des gousses étranges enroulées sur elles-mêmes en spirales couvertes d’épines et de tubercules et qui, à maturité, se détachent en articles arqués !

Les ornithopes ou pieds d’oiseaux dont la plus commune, l’ornithope délicat ont des gousses un peu arquées, bosselées resserrées entre les graines, terminées en bec et groupées par 2 à 4, ressemblant ainsi aux doigts d’une patte d’oiseau.

Les coronilles herbacées présentent des gousses fines, allongées, très resserrées entre les articles, terminées par le style recourbé en « queue-de-scorpion » ; la coronille variée très commune, se distingue par ses gousses brunes tenues dressées à maturité ; la coronille faux-scorpion devenue rare, a des gousses nettement arquées ce qui renforce l’apparence « queue-de-scorpion ». Plusieurs espèces méditerranéennes de coronilles arbustives des maquis et garrigues ont elles aussi des gousses étroites, mais souvent groupées en paquets pendants ; parmi elles, la coronille glauque est par ailleurs très cultivée comme ornementale.

Parmi les arbres exotiques, le sophora du Japon, très cultivé, produit de nombreuses gousses en forme de chapelets de grains (moniliformes) qui peuvent de l’arbre encore vertes et pleines de jus ou bien persister tout l’hiver en se ratatinant progressivement (voir la photo en introduction).

Gousse de mimosa ouverte

Les gousses des mimosas présentent des rétrécissements suggérant un fruit de type lomentum mais elles s’ouvrent bien d’une seule pièce !

Camara

Les très surprenantes gousses en spirale de la luzerne orbiculaire

Les gousses fermées ne s’ouvrent plus non plus mais ne se séparent pas en segments : c’est le fruit tout entier qui devient l’unité de dispersion. Les botanistes parlent de camara (de cama pour chambre). Il peut s’agir de petites gousses globuleuses, veinées en réseau, avec une seule ou deux graines et émergeant à peine du calice comme chez les Mélilots ; chez les vrais Sainfoins (Onobrychis), ces gousses aplaties offrent deux faces fortement creusées d’alvéoles en réseau et portent des crêtes et des épines un peu accrocheuses, susceptibles d’être transportées par des animaux ou par le vent. Ces gousses à une seule graine peuvent être en fait assimilées à des akènes.

Chez la majorité des luzernes, le fruit s’allonge et s’enroule en spirale avec plusieurs graines par tour, pouvant prendre une forme de boulette spiralée. Chez de nombreuses espèces, leurs parois développent des appendices accrocheurs sous forme d’épines et/ou de crochets le long des tours de spirales ; ils apportent ainsi de nouveaux dispositifs de dispersion : les fruits entiers peuvent alors s’accrocher au pelage d’animaux ou sur les vêtements des humains et être transportés à grande distance (épizoochorie ).

Nombre de ces gousses restent souvent difficiles à voir car de petite taille et restant incluses dans le calice qui ajoute une protection supplémentaire : c’est le cas chez les trèfles ou les anthyllides qui comptent de nombreuses espèces. Parfois, ce calice se développe et se renfle à maturité prenant la forme d’une poche gonflée comme chez l’anthyllide vulnéraire.

Chez certaines espèces de trèfle, le calice se renfle à maturité comme une vessie et l’ensemble des fruits serrés forme une boule compacte imitant vaguement une baie colorée (mais non charnue !) : l’exemple le plus typique en est le trèfle porte-fraise, espèce commune, ou le trèfle renversé. Chez d’autres, la « tête » de fruits prend une allure hérissée à cause des dents des calices développées comme chez le trèfle étoilé méditerranéen. Souvent, le calice persiste et prend une consistance parcheminée membraneuse qui protège la petite gousse.

Chez le trèfle bai montagnard, les calices persistants prennent une teinte chocolat et une consistance de papier

Pour le botaniste, ces fruits complètement inclus dans le calice enflé sont des fruits-fleurs (anthocarpes) de à double enveloppe (celle du fruit et celle du calice persistant) au même titre par exemple que ceux des amours-en-cage.  

Pied d’arachide en fleurs : celles-ci sont très près du sol

Il existe un mode de dispersion surprenant en lien avec ces gousses fermées : l’auto-enfouissement des fruits ! Il concerne de rares espèces basses dont les fleurs se tiennent proches du sol comme le petit trèfle souterrain : à maturité, le pédoncule porteur du fruit s’allonge et se courbe et amène les gousses indéhiscentes au contact du sol et les y enfonce. Ce mode de dispersion sur place et assuré par la plante elle-même s’appelle la géocarpie (de geo, terre et carpos, fruit) et est bien connu chez l’arachide, une Fabacée originaire d’Amérique du sud dont les fruits (lomentacés en plus) ou cacahuètes se récoltent dans la terre. Mais, dans notre flore sauvage, il existe une espèce de trèfle assez commun, le trèfle souterrain qui pratique aussi la géocarpie. Ses gousses incluses dans les calices persistants se retournent vers l’arrière à maturité, l’ensemble formant comme un cône prêt à « forer » le sol !

Réponses au quiz sur les graines de légumineuses (chronique générale sur les gousses) : 1) soja vert ; 2) petits pois secs ; 3) lentilles blondes ; 4) dolique mongette ; 5) Coco langue de feu ; 6) pois chiches ; 7) haricot azuki ; 8) Fèves. Bon appétit !