Gyps fulvus

Sérénité absolue … et pourtant ! (photo J. Lombardy)

Quiconque a eu la chance de voir des vautours en vol en garde une merveilleuse impression de liberté et de légèreté ; et de s’imaginer que voler ainsi doit être d’une extrême facilité vu l’aisance déployée par ces immenses voiliers. Et pourtant, comme toujours dans la nature, rien n’est simple et le vol plané des vautours requiert des savoirs faire et est soumis à nombre de contraintes que nous ignorons complètement, nous, êtres de plomb cloués au sol. Pour tenter de les comprendre, il faut se rapprocher du monde des avions planeurs et du vol à voile et de tout son jargon technique dans lequel j’ai du me plonger pour rédiger cette chronique. D’avance, je prie les professionnels ou connaisseurs de cette branche d’excuser les approximations et erreurs qui se sont probablement glissées dans mon texte. La pratique du vol à voile demande en permanence des prises de décision rapides en terme de trajectoire, d’angle de vol, … Alors, comment les vautours font-ils pour affronter toutes ces difficultés et nous offrir ce superbe cadeau de leurs grandes silhouettes glissant haut dans l’azur ou rasant les falaises ?

Ascenseur pour le ciel

Les vautours en recherche de nourriture volent très haut dans le ciel en groupes plus ou moins étalés pour augmenter la surface parcourue et les chances de repérer un cadavre.

Les vautours fauves sont des charognards se nourrissant exclusivement de cadavres d’animaux morts ; or, cette ressource n’abonde pas même dans les environnements montagnards riches en troupeaux domestiques ou d’animaux sauvages. Ces oiseaux doivent donc balayer du regard de vastes surfaces à haute altitude pour espérer détecter un hypothétique cadavre au sol en grande partie grâce aux mouvements d’autres oiseaux comme des corbeaux ou des milans. Dans ce contexte, le vol plané-glissé constitue un moyen idéal de se déplacer en utilisant une source d’énergie externe, l’air chaud et ses courants ascendants connus sous le nom de thermiques. Encore appelés courants de convection thermique, ils sont générés depuis le sol sous l’influence du rayonnement solaire qui chauffe certaines surfaces telles que des champs, des surfaces dénudées ; l’air proche de ces surfaces se dilate ce qui provoque son ascension verticale ou convection. Ainsi se forment ces colonnes d’air chaud, invisibles à l’œil nu depuis le sol ; quand l’air arrive à une certaine altitude, la vapeur d’eau qu’il contient se condense et un nuage se forme.

Les vautours utilisent donc ces thermiques comme moyen de prendre rapidement de l’altitude avec un effort minimal, en vol plané, sans battements d’ailes ; ensuite, ayant atteint une altitude qui leur convient, ils se laissent glisser le plus à l’horizontale possible, toujours sans battements d’ailes et parcourent ainsi de longues distances. Ils doivent retrouver un nouveau thermique quand ils ont perdu de l’altitude et recommencer la manœuvre de « pompe » pour monter. On parle de vol plané-glissé.

Une vie en l’air

Dans la vie des vautours fauves, il y a deux grands types de déplacements (1). Les premiers au long cours concernent surtout les jeunes tant qu’ils n’ont pas atteint la maturité sexuelle : ils peuvent parcourir des milliers de kilomètres loin de leur lieu de naissance avant de finir par se fixer dans une colonie au bout de plusieurs années ; il peut aussi s’agir d’adultes reproducteurs partant très loin chercher de la nourriture quand celle-ci se raréfie. Ils volent alors à haute altitude et cherchent à se déplacer au plus vite. Les seconds dits courts (pouvant aller jusqu’à 200 km/jour quand même !) correspondent aux déplacements quotidiens des adultes des colonies partant chercher de la nourriture chaque jour et rentrant chaque soir pour dormir sur les falaises et nourrir éventuellement leurs jeunes s’ils en ont. Ils volent alors plus bas, vers 300 à 400m d’altitude et volent moins vite, devant scruter le sol à la recherche de cadavres.

Les vautours fauves offrent des mensurations idéales pour une telle pratique : une grande surface alaire (envergure de 2,30 à 2,80m) pour un poids assez faible (6 à 11 kg). Cependant, la rareté des cadavres les oblige à faire bombance et à remplir au maximum leurs estomacs, notamment pour ramener de la nourriture à leurs jeunes en période de reproduction ; ils peuvent ainsi avaler jusqu’à 1,5kg de chair en une fois ce qui les alourdit de 10 à 20% : le retour sera donc plus difficile !

Les bons choix

Le vautour doit en permanence garder le contrôle de son vol qui n’a rien de passif ! (photo J. Lombardy)

Comme les pilotes de planeurs, les vautours doivent faire les bons choix notamment à trois moments décisifs :

– le choix du thermique en fonction de sa taille (en hauteur) et de sa force ascendante qui permettra de monter haut et vite ; il faut au démarrage battre des ailes pour atteindre le premier thermique ce qui engendre une forte dépense énergétique vu la « voilure » à déplacer !

– se centrer au cœur du thermique en adaptant sa vitesse et son angle de vol pour profiter au maximum de la force ascensionnelle et gagner du temps dans la montée à la verticale

– passer d’un thermique à un autre en vol glissé en choisissant la bonne vitesse pour maximiser la distance parcourue.

Si l’oiseau descend trop vite, il va soit devoir atterrir ce qui lui coûte beaucoup d’énergie car il doit freiner et battre des ailes ou bien il va devoir battre des ailes pour rejoindre un autre thermique ; il s’agit donc d’une étape à « risque » pour l’oiseau au sens il ne doit pas se rater sous peine d’une dépense accrue alors que cela va le retarder dans sa recherche de nourriture toujours très aléatoire !

Les vautours doivent au minimum battre des ailes pour décoller et rejoindre le premier thermique qui leur servira d’ascenseur (photo J. F. Di Maggio)

Aller-retour

L’étude menée (1) sur des vautours en France et en Israël, équipés de GPS et de transmetteurs fixés, a permis d’étudier en détail les modalités des voyages quotidiens aller et retour à la recherche de nourriture. Lors de ces déplacements « courts » (voir ci-dessus), ils battent plus souvent des ailes qu’en longs déplacements à cause des atterrissages et décollages quand ils ont trouvé de la nourriture et pour passer plus vite d’un thermique à un autre. Au moment où ils quittent un thermique, ils battent plus souvent des ailes qu’à la fin du long glissé ce qui constitue sans doute une adaptation pour échapper aux turbulences ou éviter la chute brutale au moment de quitter le thermique porteur.

L’étude révèle de subtiles différences entre l’aller et le retour. A l’aller, les vautours battent plus des ailes, glissent moins bien tout en prenant moins de « risques » (voir ci-dessus) : ils ont le ventre vide et la pression de trouver de la nourriture. Ils parcourent en moyenne 87km. Au retour, a priori avec le ventre plein si la nourriture est abondante, ils volent plus vite et directement (seulement 51km parcourus en moyenne) mais ne prenant plus de risque ; en plus, ils connaissent la destination.

A l’aller comme au retour, ils volent à la même altitude. On pourrait croire qu’au retour, ils auraient intérêt à voler plus haut pour aller plus vite et glisser plus longtemps entre thermiques successifs. Oui, mais leur poids a augmenté : étant alourdis par la nourriture ingurgitée, ils montent moins facilement et tendent à descendre plus vite ; par contre, ils glissent plus vite. Les vautours adaptent donc subtilement leur comportement de vol selon la situation !

Economies d’énergie

En installant des capteurs physiologiques sur des vautours apprivoisés mais capables de voler librement (2), on peut suivre en vol le rythme cardiaque et apprécier ainsi comment ces oiseaux gèrent leur dépense énergétique. Sur des vautours fauves, les chercheurs ont observé un triplement du rythme cardiaque au décollage (avec force battements d’ailes) et à l’atterrissage (compliqué pour ces grands oiseaux) : le rythme passe de 80-100 battements/minute au démarrage à 300/min. Par contre, le rythme revient à son niveau dans les quelques minutes qui suivent le début du vol plané-glissé (en général en moins de dix minutes après le décollage, le vautour réussit à rejoindre un thermique) : physiologiquement, c’est un exploit ! Les vautours font beaucoup mieux que les albatros par exemple qui pratiquent le vol glissé au-dessus des vagues et qui ont besoin de près de deux heures de vol plané avant de retrouver leur rythme cardiaque de départ ! De plus, dans les quelques secondes qui précèdent le décollage, les vautours réussissent à accélérer leur cœur en passant de 40-50 batt/min à 80-100 comme pour se préparer à cet effort considérable et risqué. De même, le rythme réaugmente deux minutes avant l’atterrissage, vu la difficulté de cette manœuvre ; ceci explique pourquoi les vautours ne se posent près d’un cadavre que lorsqu’ils sont sûrs que le jeu en vaut la chandelle !

Par temps nuageux, contre toute attente, le rythme cardiaque des vautours fauves conserve les mêmes valeurs que par temps ensoleillé alors que la portance de l’air est moindre ; ceci en dit long sur leur capacité à s’adapter aux conditions changeantes de la météorologie quotidienne dont ils sont entièrement dépendants pour leurs déplacements. Au final, les chercheurs estiment que les vautours dépensent à peine plus d’énergie à voler qu’à … rester perchés : efficacité maximale !

C’est en planant qu’on devient …

Dans le désert du Néguev (3), des chercheurs israéliens ont étudié les déplacements de jeunes vautours fauves inexpérimentés. En situation de vent latéral léger (situation facile à gérer) , les jeunes se montrent capables de choisir les bons thermiques au même titre que des adultes ayant des milliers d’heures de vol au compteur. Dès que l’on passe à des vents latéraux plus forts et plus problématiques, ils montrent des difficultés à se positionner correctement au centre des thermiques (étape 2) car ces derniers dérivent sous l’effet des vents latéraux. Ils montrent alors une aptitude à monter puis à glisser moindre que celle des adultes, battent plus souvent des ailes et forcément dépensent plus d’énergie. La supériorité des adultes tient surtout à leur meilleure gestion du centrage sur les thermiques en décrivant des orbes plus larges que celles des jeunes : ainsi, ils montent plus vite.

Sur le long terme, les jeunes partent en erratisme lointain (forme de dispersion et de recherche de nouveaux sites de reproduction). Dans ce contexte, ils subissent une forte pression de sélection avec une forte mortalité : les individus les plus aptes à adopter un vol plané-glissé efficace et économe en énergie se trouvent favorisés dans leur survie, sans oublier l’apprentissage de la recherche de nourriture et de la navigation en environnement inconnu. Ainsi se forgent des générations de planeurs efficaces et capables d’ajuster leur comportement selon les circonstances.

NB : un grand merci à J. Lombardy pour ses photos de vautours prises dans les gorges du Verdon.

Vautour fauve dans les gorges du Verdon (photo J. Lombardy)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Decision-making by a soaring bird: time, energy and risk considerations at different spatio-temporal scales. Phil. Trans. R. Soc. B 371: 20150397. Harel R et al. 2016.
  2. How Cheap Is Soaring Flight in Raptors? A Preliminary Investigation in Freely-Flying Vultures. Duriez O, Kato A, Tromp C, Dell’Omo G, Vyssotski AL, et al. (2014) PLoS ONE 9(1): e84887.
  3. Adult vultures outperform juveniles in challenging thermal soaring conditions. Roi Harel, Nir Horvitz & Ran Nathan. Scientific RepoRts 2016

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le vautour fauve
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