Pour un contrôle biologique efficace des bioagresseurs des vergers de pommiers gérés en bio, il faut chercher toutes les solutions permettant de favoriser leurs ennemis naturels, des prédateurs et des parasitoïdes. Une possibilité consiste à introduire des fleurs fournissant nectar et pollen comme ressource alimentaire supplémentaire pour les ennemis naturels qui les exploitent au moins au cours d’une partie de leur cycle. Cette méthode a été testée expérimentalement dans des vergers de pommiers avec un modèle à trois acteurs : une plante annuelle à fleurs semée, un puceron lanigère comme bioagresseur et des syrphes comme ennemis naturels des précédents et butineurs des fleurs semées. Les résultats de cette étude conduite dans le nord-ouest des U.S.A. peuvent être extrapolés dans notre contexte car ces vergers cadres de l’expérimentation y sont sous un climat tempéré et les acteurs se retrouvent peu ou prou (espèces très proches) chez nous. 

Précédents 

Les hypothèses à l’origine de cette étude s’appuient sur un ensemble de résultats déjà publiés autour de ce thème. L’idée centrale est que prédateurs et parasitoïdes des bioagresseurs des vergers bénéficient de la présence de fleurs dans l’environnement immédiat quand ils exploitent le nectar/pollen  comme ressource alimentaire complémentaire. Ainsi, on sait que même les coccinelles adultes d’espèces prédatrices actives des pucerons (voir la chronique sur les régimes des coccinelles) utilisent le pollen des fleurs comme ressource d’appoint dans les champs de luzerne. De même, on sait que les femelles des guêpes parasitoïdes augmentent fortement leur durée de vie (et donc leur potentiel de fécondité) quand elles ont accès aux fleurs. D’où le principe d’ajouter une ressource florale à la culture comme moyen de contrôle biologique des bioagresseurs en installant des bandes fleuries le long des parcelles ou à l’intérieur comme dans les vergers.  

Cette méthode a donné déjà des résultats positifs mais elle ne fonctionne pas systématiquement, loin s’en faut, et ce, pour au moins trois grandes raisons. +Les fleurs introduites doivent apporter des ressources nouvelles non disponibles : par exemple, si les bioagresseurs sont des pucerons producteurs de miellat (voir la chronique sur ce sujet) sucré, cette ressource va être largement exploitée par divers prédateurs et parasitoïdes ; dans ce cas, les fleurs n’apporteront rien de plus. Ensuite, il faut bien choisir les espèces de fleurs permettant de fournir une ressource pollen/nectar facile d’accès (fleurs « généralistes » ouvertes)  aux ennemis naturels des bioagresseurs mais sans non plus être des plantes ressources pour d’autres bioagresseurs (comme les adultes du carpocapse du pommier dont les chenilles rongent les pommes) ou pour des ennemis des ennemis (superparasitoïdes ou prédateurs de rang supérieur). Enfin, les ennemis naturels attirés par ces fleurs ne doivent pas s’y agréger et y rester : s’ils ne font pas des allers retours entre les arbres fruitiers et les bandes fleuries, c’est peine perdue ! 

Choix 

Syrphes adultes butinant un capitule de pissenlit au printemps

D’où l’importance du choix des fleurs appâts ! Ceci a donc été la première étape dans cette étude américaine. Les chercheurs ont retenu comme bioagresseur-test, le puceron lanigère du pommier, une espèce qui cause des dégâts dans les vergers de pommiers et connaît aux USA  des pullulations importantes.

Au vu de la littérature déjà publiée, ils ont par ailleurs retenu a priori comme groupe-test d’ennemis naturels de ces pucerons, les syrphes : leurs larves sont des prédateurs très actifs de pucerons tandis que les adultes butinent les fleurs pour récolter le nectar et le pollen. 

Concernant le choix des fleurs, ils ont opté pour la solution « une seule espèce annuelle » pour des raisons pratiques : les arboriculteurs locaux sont plus réceptifs à des méthodes simples et annuelles. La période test retenue a été l’automne car cela correspond à un des pics de densité de ces pucerons lanigères. 

Restait à choisir « la » bonne espèce de fleur répondant au critère d’attraction envers les syrphes. Ils ont donc préalablement testé six espèces classiquement citées pour cet usage : le souci officinal, le sarrasin, le cosmos soufré, la moutarde brune, un zinnia et la lobulaire maritime. Sur des bandes fleuries test installées non loin des vergers, ils ont suivi le taux de visites de syrphes adultes et identifié les espèces visiteuses. Au final, une espèce s’est nettement détachée du lot : la lobulaire maritime ou alysson maritime. Cette brassicacée (ou crucifère) annuelle, originaire des sables côtiers du bassin méditerranéen, est très connue comme ornementale et utilisée massivement dans les espaces verts urbains pour sa facilité de culture et l’abondance de sa floraison. Elle tend même à se naturaliser hors des jardins. Son odeur sucrée et puissante traduit bien son caractère mellifère avéré ; ses petites fleurs blanches ouvertes la rendent accessibles à une large gamme de butineurs généralistes dont les syrphes. En plus, elle peut fleurir presque toute l’année tant qu’il fait doux si on la ressème. 

Effet immédiat 

Profusion de fleurs odorantes riches en nectar

Donc, l’expérimentation est mise en place avec l’alysson maritime semé en bandes au pied de pommiers en pots infestés de pucerons lanigères en quantité contrôlée (2 colonies de 500 pucerons par arbre soit une densité basse) à deux reprises, une fois en septembre et une autre en octobre ; d’autres pommiers sont placés auprès d’herbe tondue sans fleurs, situation classique dans les vergers conventionnels. 

Dans les vergers conventionnels, l’herbe est maintenue rase, le pied des arbres dénudé et il y a peu de place pour la flore spontanée avec l’usage des pesticides.

Dans les deux séries d’expériences (septembre et octobre), les densités de pucerons lanigères ont très rapidement baissé sur les pommiers placés auprès des bandes fleuries d’alyssons et leurs populations sont restées très basses. Le suivi régulier montre que cette baisse quasi immédiate était due à la prédation directe et non pas aux parasitoïdes car l’espèce de guêpe spécifique de ce puceron,  Aphelinus mali, était quasiment absente. Les syrphes adultes étaient bien présentes sur les alyssons avec sept espèces observées et des analyses de tube digestif montrent qu’elles consomment effectivement du pollen de cette plante. 

Pour autant, l’immédiateté de l’effet alysson pose problème : les syrphes adultes ne consomment pas de pucerons ; il faut qu’elles s’installent après avoir été attirées par la floraison des alyssons, qu’elles s’accouplent, pondent et que leurs larves éclosent pour commencer à dévorer des pucerons ; autrement dit, si l’effet venait réellement des syrphes, il devrait y avoir un décalage de plusieurs semaines ; or, ici, en moins de sept jours, la densité des pucerons a fortement baissé ! Par contre, le piégeage sur les pommiers révèle la présence d’une communauté très diversifiée de prédateurs (voir ci-dessous) associée aux bandes fleuries d’alyssons (par rapport aux bandes herbeuses tondues sans fleurs). Ces prédateurs généralistes, très actifs, essentiellement nocturnes, passent facilement inaperçus. Lors de la première expérience en septembre, la densité des pucerons fut fortement abaissée dès la première semaine grâce à cette « armada » de prédateurs ; lors de la seconde en octobre, sous une météo plus fraîche, l’effet fut étalé sur cinq semaines car si les prédateurs dépendent fortement de températures douces pour leur activité, les pucerons lanigères résistent bien mieux et leur développement ne s’en trouve que peu affecté.  Ceci expliquerait les explosions de pucerons en fin de saison dans les vergers de cette région des USA. 

Va-et-vient 

Pour s’assurer que les ennemis naturels effectuent bien des allers retours entre les bandes fleuries et les arbres, les chercheurs ont utilisé un stratagème ingénieux : ils ont aspergé les bandes fleuries avec une solution diluée à base de blanc d’œuf dont on détecte ensuite la présence sur les ennemis naturels capturés sur les arbres ! Ainsi, 33 à 100% des prédateurs trouvés sur les arbres infestés portaient des traces suffisantes de blanc d’œuf pour être considérés comme ayant auparavant visité les fleurs d’alyssons marquées. Les ennemis naturels les plus capturés étaient des araignées nombreuses et très diverses, des punaises prédatrices variées (anthocorides, nabidés, géocoridés, …), des syrphes, des chrysopes, des coccinelles et des perce-oreilles. Des pièges disposés à des distances plus ou moins grandes des bandes fleuries traitées au blanc d’œuf montrent que des syrphes peuvent s’éloigner à plus de 200m des fleurs sur lesquelles elles butinent pour visiter les arbres et y déposer leurs œufs au plus près des pucerons. 

Donc, non seulement les bandes fleuries attirent une riche communauté diversifiée de prédateurs qui viennent y chercher des compléments alimentaires mais par ailleurs ces derniers visitent les arbres pour y chasser activement les pucerons ; et, en plus, cet effet va-et-vient se manifeste à une échelle de plusieurs centaines de mètres et pas seulement juste autour des bandes fleuries. 

Si l’on revient sur les hypothèses initiales des chercheurs de cette étude, on se rend compte que le pari sur les syrphes comme agents clés ne tient pas en dépit de l’attractivité des alyssons pour ces mouches. Au cours des investigations, non seulement la rapidité de réaction les a exclues comme déterminantes, mais même à moyen terme, très peu de larves furent observées s’attaquant aux pucerons. Ceci ne signifie pas que les syrphes n’interviennent pas mais plutôt peu à cette saison tardive. 

Généralisation ?

Les chercheurs pointent eux-mêmes les limites de leur étude. Elle ne concerne qu’une période limitée de deux mois avec en plus le mois octobre à la météo peu favorable aux ennemis naturels. Peut-on généraliser cet effet sur l’ensemble de la saison de développement des pommiers ? Ensuite, les effets sont avant tout marqués aux abords immédiats des bandes fleuries et ne peuvent donc être extrapolées à l’ensemble d’un verger ; mais l’ampleur insoupçonnée des mouvements des ennemis naturels (voir les syrphes ci-dessus) laisse à penser que le bénéfice pourrait jouer à plus grande échelle. Par contre, la démonstration de l’intervention d’une riche communauté diversifiée est une excellente nouvelle : qui dit diversité, dit moindre sensibilité aux aléas divers et plus large gamme de bioagresseurs contrôlée . Dans cette étude, les parasitoïdes ne sont pas intervenus : or, leur rôle peut être capital. Il ne faut pas exclure des effets négatifs indirects : peut-être que les fleurs attirent des prédateurs des ennemis naturels ce qui en limiterait l’impact ? On sait aussi que certains bioagresseurs tels que les thrips profitent aussi de l’exploitation des fleurs même si leur action se limite à la période de floraison des pommiers.

Une seule espèce de fleur, annuelle de surcroît, a été testée même si elle avait été sélectionnée après des tests. Une diversité florale ne serait-elle pas plus efficace ? Nous avons vu que les chercheurs avaient choisi cette solution pour mieux répondre aux attentes des cultivateurs. Cette remarque me conduit à proposer (mais sans garantie scientifique !) une autre voie. Je pense tout particulièrement aux arboriculteurs bio, plus ouverts a priori à des protocoles plus « naturels » : ne pourrait-on pas s’appuyer à cet égard sur la flore naturelle qui se développe justement mieux dans les vergers conduits en bio, selon le principe des services écosystémiques. Cette flore diversifiée, avec des floraisons échelonnées sur l’ensemble de la saison, a bien plus de chances de « rencontrer » des espèces locales d’ennemis naturels qui ont coévolué dans cet environnement. Cela éviterait de plus d’introduire des espèces non indigènes (même si elles sont bénéfiques dans le verger) qui risquent de se naturaliser et de devenir invasives ; on sait aussi que des floraisons massives d’une espèce introduite peuvent perturber les réseaux de pollinisation. Cela limiterait aussi les travaux ; il faudrait peut-être chercher à favoriser certaines espèces présentes qui seraient particulièrement favorables par des pratiques culturales à trouver.  Une voie à creuser mais qui a peut-être déjà fait l’objet de recherches ? 

Si vous voulez découvrir concrètement ce qui se passe dans un verger bio, vous pouvez consulter les chroniques courtes consacrées à un exemple, le verger de l’Etoile en Limagne auvergnate.

Bibliographie

Flowers promote aphid suppression in apple orchards.  Lessando M. Gontijo, Elizabeth H. Beers, William E. Snyder Biological Control 66 (2013) 8–15