Parthenocissus tricuspidata

vierge-pano

La vigne vierge à trois becs (allusion à ses feuilles à trois pointes) est la vigne vierge classique des murs des maisons qui prend de si belles teintes vives en automne. Originaire d’Asie orientale (Japon, Chine et Corée), d’où son surnom de lierre japonais ou de vigne vierge japonaise, elle est largement cultivée depuis son introduction en Europe par J. Veitch en 1862 et est devenue en deux siècles incontournable et très populaire pour habiller les murs. Une des raisons de son succès, outre son élégance, c’est sa capacité à s’accrocher elle-même aux supports verticaux que sont les murs et à coloniser des façades jusqu’à dix mètres de haut. Cette faculté a attiré l’attention des botanistes depuis longtemps et fait l’objet de nombreuses observations ; un article récent d’une équipe de chercheurs allemands (1) fait le point sur ce dispositif d’accrochage en apportant de nouveaux éclairages.

Une pieuvre sur un mur

Pour s’accrocher aux parois verticales, la vigne vierge a recours à des vrilles ramifiées qui ne s’enroulent pas autour de supports comme par exemple celles de sa proche cousine, la vigne cultivée (Vitis vinifera) (elles appartiennent à la même famille des Vitacées), mais développent aux extrémités des ramifications des sortes de disques qui se collent au support.

Chaque vrille compte une dizaine de rameaux ainsi terminés par des disques adhésifs. Ils suffisent à rendre les immenses draperies murales de vigne vierge (qui au total doivent peser un certain poids !) résistantes aux tempêtes, coups de vent et orages. Donc, en fait de pieuvre, image qu’elle inspire par ses rameaux étalés, il faudrait plutôt la comparer à une moule et ses filaments fixateurs (le byssus) … mais cela parle nettement moins au premier abord !

Chacun de ces petits disques ne pèse que 0,0005grammes mais peut supporter le poids d’une tige, de ses feuilles, vrilles et rameaux représentant plus de 260 fois son propre poids ; ils peuvent résister à une force d’arrachement équivalente à 2 800 000 fois la force correspondant à leur propre poids ! On se trouve donc devant un dispositif adhésif très performant et peu répandu dans le monde végétal et qui soulève diverses questions quant à son fonctionnement, sa mise en place et sa sensibilité aux facteurs environnementaux dont la nature du support.

Assurer une prise

Le premier contact avec le support s’établit non pas avec les vrilles et leurs extrémités qui ne se développent que dans un second temps mais par l’extrémité recourbée des jeunes pousses qui croissent au printemps (la plante perd toutes ses feuilles en automne). Sur toute la surface de cette pousse courbée, on observe (avec une forte loupe comme sur les photos jointes) un revêtement de mini-crochets eux mêmes courbés en direction de la pointe de la pousse, d’une taille d’environ 50 micromètres ; chacun de ces petits crochets qui agrippent la moindre aspérité du support se trouve lui-même, tel une poupée russe, recouvert de micro-crochets de 2 micromètres de long. La pousse s’étale lentement à l’horizontale, balayant au plus près la surface à la vitesse d’environ 1cm par 24 heures et cherchant ainsi le moindre contact. On peut penser (mais cela reste à démontrer !) que ces crochets servent ne quelque sorte de mécanorécepteurs avec un mécanisme de reconnaissance des surfaces et de leur texture.

Les vrilles entrent en jeu

La première vrille se développe quelques centimètres en arrière de la jeune pousse à partir d’un bourgeon et déploie progressivement ses ramifications (5 à 10 en moyenne par vrille) terminées chacune par une boule verte ovale. Elle correspond au futur disque adhésif à son stade immature ;   aucun crochet n’est présent à leur surface parfaitement lisse mais d’aspect glanduleux à l’inverse de la jeune pousse. Qu’elles entrent ou pas en contact avec le support, ces boules vont entamer une différenciation progressive en trois étapes : elle devient ovale puis s’aplatit un peu en disque avant de prendre une forme de chapeau melon.

Si aucun contact n’est établi avec le support, la transformation s’arrête là ; la branche concernée s’entortille sur elle-même et sèche. Par contre, si le contact se fait, une quatrième étape va s’enclencher : le chapeau s’aplatit et s’étale en disque sur le support et l’adhésion va commencer à partir de la périphérie.

Super glu

Les cellules périphériques du disque aplati contiennent de nombreuses vacuoles chargées de secrétions tandis que celles de la partie centrale apparaissent non différenciées. Les premières se mettent à libérer leur sécrétion collante qui se répartit sur toute la surface du disque à l’aide des forces capillaires vu l’étroitesse du contact. Elle pénètre même dans les micro-cavités du support ce qui renforce la cohésion. Le liquide contient des polysaccharides pectiques et des pectines mucilagineuses qui durcissent et scellent le disque, tel une ventouse, sur le support. Ensuite, la surface de contact se durcit (elle se lignifie) et le dessèchement des cellules entraîne une certaine rétractation qui va accentuer la tension des branches fixées et augmenter l’accrochage des tiges. Ainsi, même si on détache les tiges, les « ventouses » peuvent rester accrochées au support un certain temps, comme fossilisées !

Le fait que les trois premières étapes aient lieu même en absence de stimulus incite à penser qu’il existe un déterminisme génétique mais que c’est le contact du bord sécréteur du disque en chapeau qui déclenche la dernière étape de fixation.

Des variations selon les supports

On a depuis longtemps remarqué que les disques de la vigne vierge ne se développaient pas sur tous les supports possibles ce qui indique une interférence au contact de ces derniers. La taille des disques varie au sein d’une même vrille le long de son axe principal : les plus proches de la base sont les plus grandes. Les expériences menées dans l’étude allemande (1) montrent que la taille moyenne des disques varie selon le support : elle passe de 2,7mm2 sur du liège (avec de nombreuses microcavités qui facilitent l’arrimage) à 3,6 mm2 sur l’écorce plus lisse d’un bouleau ; par contre, les valeurs extrêmes observées (entre 6,2 et 0,5 mm2) restent du même ordre dans les deux cas. Même sur un support donné, on constate de fortes variations dans la taille des disques d’un point à un autre ; on ne sait pas clairement quelle propriété de la surface déclenche ces variations et quelle est leur signification mécanique. On a simplement pu monter que la couleur du support, sa rugosité et sa rigidité ne semblent pas influer sur la taille des disques.

On pourra comparer ce dispositif avec les crampons collants du lierre abordés dans une autre chronique.

BIBLIOGRAPHIE

  1. STRUCTURAL DEVELOPMENT AND MORPHOLOGY OF THE ATTACHMENT SYSTEM OF PARTHENOCISSUS TRICUSPIDATA. T. Steinbrecher, G. Beuchle, B. Melzer, T. Speck, O. Kraft, and R. Schwaiger. Int. J. Plant Sci. 172(9):1120–1129. 2011.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la vigne vierge à trois becs
Page(s) : 70 Le guide de la nature en ville