Welwitschia mirabilis

Photo Roland Guillot

En 1859, F. Welwitsch (1806-1872) parti prospecter en Angola à la recherche de plantes nouvelles pour les collections du Jardin Botanique de Lisbonne, y découvre une plante nouvelle, nommée ultérieurement Welwitschia mirabilis en son honneur (mirabilis signifiant merveilleuse). A partir de 1861, J.D. Hooker, célébrissime botaniste, entreprend l’étude détaillée et la description de cette plante hors du commun. Il va échanger une série de lettres avec les grandes autorités scientifiques de l’époque où il s’épanche à propos de cette plante qui l’intrigue au plus haut niveau. Dès la fin1861, C. Darwin répond à un de ses courriers : « Votre plante africaine semble être un ornithorynque végétal et beaucoup plus que cela ».  En 1862, s’adressant à T. H. Huxley, J.D. Hooker écrit : «  Elle est sans aucun doute la plante la plus merveilleuse jamais rapportée dans notre pays et la plus laide aussi ! » ; s’adressant la même année à C. Darwin, il écrit encore :  « je suis sidéré par la complexité de Welwitschia ».

Alors, quand un de mes frères, de retour d’un voyage en Afrique du sud, m’a rapporté des clichés de cette plante extraordinaire, j’ai entrepris une recherche approfondie dans l’esprit de Zoom-nature car, sur le net, on trouve certes beaucoup d’infos sur cette plante ultra médiatisée mais avec bon nombre d’erreurs ou d’interprétations erronées !

Namib

Désert du Namib (Photo Roland Guillot)

Cette plante possède une aire de répartition très restreinte sur une large bande le long de la côte Ouest de l’Afrique du sud depuis le sud de l’Angola jusqu’au sud de la Namibie. Dans ce dernier pays, elle occupe trois grandes zones disjointes. Elle s’y trouve sous forme de populations isolées allant de quelques individus à plus d’un millier pour les plus fournies dans des régions désertiques mais aussi dans des zones de savane tropicale plus à l’Est.

Elle est la plante emblématique du petit désert du Namib (mais aussi du Nama Karoo), célèbre pour son climat très particulier. Si la chaleur y est intense en été et la pluviométrie annuelle très limitée (quelques dizaines de mm par an), avec de rares épisodes de pluies fournies, il connaît par contre, sur  sa frange côtière, un phénomène climatique particulier : du fait de la remontée d’un courant très froid venu du sud le long de cette côte, près de 300 jours par an, la nuit, se forme une épaisse ceinture de brouillard parfois poussé vers l’intérieur par les vents d’ouest et qui se disperse en matinée. Les gouttelettes de condensation générées par cette humidité permettent à toute une flore et une faune hyper spécialisées (dont des coléoptères aux pattes démesurées) de se développer en exploitant cette eau providentielle parcimonieuse mais régulière. C’est ainsi que les rochers de cette région côtière se trouvent couverts de lichens colorés alors qu’au Sahara vous ne voyez pratiquement aucun lichen. Cependant, Welwistschia vit dans une zone qui va bien au delà de la ceinture des brouillards limitée à la proximité de la côte.

Monstrueusement belle !

Welwitschia (c’est son nom commun officiel !) offre un aspect plus que singulier ; chaque pied se présente sous  la forme d’un court tronc dressé (50cm en moyenne mais parfois plus), couvert d’une sorte d’écorce liégeuse, en forme de cône renversé, tronqué au sommet occupé par une dépression entourée d’une collerette verte depuis laquelle partent de chaque côté deux énormes et immenses feuilles coriaces, épaisses, aux nervures parallèles, pouvant atteindre plus de deux mètres de long. Elles adoptent un port torsadé ondulé, couché sur le sol sableux ou caillouteux, et tendent à se dilacérer naturellement en lanières parallèles depuis leurs extrémités plus ou moins grillées et usées. D’aucuns ont comparé cette plante à une pieuvre échouée en plein désert !

Cette morphologie unique en son genre se met en place dans les deux premières années de la vie de la jeune plante. La plantule issue de la germination d’une graine possède classiquement deux feuilles primaires ou cotylédons, rouges à l’émergence, qui verdissent et assurent la photosynthèse pour nourrir la plantule en croissance. Première (et pas la dernière !) bizarrerie : ils vont persister deux à trois ans tandis qu’une seconde paire de feuilles se forme juste au-dessus et s’écartent à angle droit à l’horizontale : ce sont les deux et uniques feuilles « adultes ». Après l’initiation de cette seconde paire, le méristème (le « bourgeon apical ») cesse de fonctionner vers le haut et son activité de division cellulaire va diffuser sur les côtés pour donner cette couronne verte au sommet du tronc. Une paire de crêtes surbaissées va encore être élaborée, interprétée comme une ultime troisième paire de feuilles mais qui restera embryonnaire ici. La plante s’auto-décapite littéralement et opte pour l’étalement sur deux feuilles !

Nous traitons en détail, dans la chronique « Une plante hautement paradoxale », de l’anatomie interne de cette plante et de son fonctionnement physiologique dans son environnement désertique si particulier avec là encore son lot de bizarreries.

Vénérable

Les deux feuilles vont grandir mais leur croissance se fait depuis leur base, via le méristème périphérique comme un tapis roulant. L’extrémité des feuilles est donc plus nettement plus ancienne que la base et se nécrose au fil du temps. Comme le méristème basal tend à se fragmenter en îlots au fil du temps, cela aboutit à la formation de lanières parallèles donnant l’apparence de plusieurs feuilles. Par ailleurs, les extrémités tendent de leur côté à se dilacérer selon les nervures sous l’effet des vents violents et des agressions du sable soufflé.

Cette plante vivace et sempervirente pousse continuellement ; la croissance moyenne mesurée in situ tourne autour de 0,3-0,4mm/jour. Mais cette moyenne cache d’énormes disparités : le taux mensuel de croissance peut varier d’un ordre de 22 fois selon les saisons et les années et le taux moyen annuel de 11 fois. La croissance se ralentit pendant la saison « froide » et augmente en début d’été mais elle dépend aussi de l’humidité ambiante. En un à deux ans, une feuille s’accroît donc d’environ une dizaine de centimètres.

Une croissance aussi lente s’inscrit dans une stratégie de longévité en lien avec un environnement très contraignant. Des plantes suivies sur photo à 90 ans d’écart montrent peu de changements ! Les Welwitschia  vient très longtemps, consacrant une bonne part de leurs ressources à se maintenir et à survivre en attendant des périodes plus favorables (épisodes pluvieux rares). Des mesures au Carbone14 montrent que les « petites » plantes ont un âge de 30 à 40 ans, les moyennes de l’ordre de 500 à 600 ans ; quant aux plus grandes (dont certaines sont des attractions touristiques avec un petit nom), on estime l’âge à 1500-2000 ans ; des valeurs allant jusqu’à 3000 ans ont été avancées mais demandent confirmation. En tout cas, respect !

Cônes

Cônes femelles. Photo Roland Guillot

Contre toute attente, compte tenu de leur « lenteur » et de leur longévité, ces plantes se reproduisent assez régulièrement. La floraison se manifeste à partir de bourgeons qui se forment dans la partie externe de la couronne au sommet du tronc : des tiges dressées se ramifient de manière dichotomique et élaborent à leurs extrémités des strobiles dont l’aspect rappelle très fort celui des cônes des conifères. Il y a des pieds mâles et des pieds femelles séparés (plante dioïque).

Les cônes mâles plus petits et oblongs offrent des « fleurs » avec des étamines productrices de pollen qui entourent un ovule non fonctionnel (pseudo-hermaphrodite). Celui-ci élabore une sorte de tube dressé (tube micropylaire) émettant une gouttelette de liquide sucré et attractif pour des insectes tels que des mouches. Les cônes femelles, plus gros et rétrécis au bout, portent des ovules fonctionnels qui émettent eux aussi une gouttelette sucrée (riche en fructose).

La pollinisation, i.e. la captation des grains de pollen par les tubes des ovules, se déroule pendant l’hiver et aboutit à la formation de graines. Le déroulement de cette fécondation est très particulier à plusieurs titres et pose la question de la place de cette plante et de ses plus proches parents (ordre des Gnétales) dans le monde des plantes à graines (Spermatophytes) : cet aspect fera l’objet d’une chronique à venir. Une fois de plus, Welwitschia s’y distingue complètement par des particularités uniques en son genre !

A la peine

Une plante femelle de taille moyenne peut ainsi produire de dix à vingt milles graines ailées dispersées par le  vent après la désarticulation des cônes femelles mûrs. Néanmoins, on a récemment découvert que très peu (moins de 20% souvent) étaient en fait viables à cause notamment de l’infection par des champignons du genre Aspergillus, favorisés par le climat chaud et les gouttes de liquide sucré sur lesquelles ils s’installent. Des punaises (famille des gendarmes ou Pyrrhocoridés) fréquentes sur les Welwitschia véhiculent les spores de ces champignons qui affectent aussi les jeunes plantules. La survie de ces dernières est par ailleurs très problématique en l’absence de pluies suffisantes : les graines ont besoin au minimum de 12mm de pluie pour être assez imbibées et pouvoir germer.

Justement sur le terrain, on observe très peu de plantules ou de très jeunes plantes ; la majorité des populations se composent de plantes d’un certain âge identique ou presque, signes qu’elles ont germé à peu près toutes en même temps lors d’un des rares épisodes de pluies plus intenses. Certes, ces plantes survivent très longtemps une fois en place mais cela pose la question de leur avenir dans un contexte de détérioration de leur environnement : surpâturage local ; collecte locale ; fragmentation des habitats ; … et puis, évidemment vient la question lancinante du changement climatique en cours. En Namibie, à partir d’une modélisation de sa niche écologique et en partant de sa répartition actuelle, on a testé l’effet des  prévisions de changement climatique sur les trois grands noyaux de populations  du pays. Le noyau le plus au nord, du fait de ses spécificités écologiques et climatiques, serait le plus impacté par la hausse des températures attendue.

Ombrelle du désert

Pied femelle fructifié : chaque pied recouvre à lui seul de manière permanente un espace de sable autrement brûlé par le soleil. Photo Roland Guillot

Or, au delà se sa propre survie, le Welwitschia constitue une plante-clé de voûte dans l’écosystème désertique local. De par son volume considérable, ses populations souvent fournies et denses, son caractère sempervirent avec de larges feuilles, elle apporte un microenvironnement spécifique favorable à la biodiversité. Sous ces plantes, alors que le sol surchauffé peut atteindre des températures pouvant atteindre 70°C, règne un microclimat tamponné à 40°C ; même vers les extrémités pourtant abimées des feuilles, les températures baissent de 15°C par rapport à l’extérieur. On détecte même des variations sensibles d’effet pour une plante donnée entre la feuille côté ouest et celle côté est ! De plus l’accumulation de litière (débris de feuilles) entretient une humidité au pied de la plante. Ainsi, chaque plante génère sous elle une mosaïque de microhabitats propice à toute une faune très diversifiée : oiseaux, lézards (dont caméléons), serpents, petits mammifères, scorpions, arachnides.

Les Welwitschia fournissent de plus une ressource alimentaire non négligeable pour une bonne partie de ces arthropodes ; certains comme des pucerons lanigères ne vivent que sous les feuilles géantes. La pérennité du feuillage épais en fait aussi une ressource pour les grands herbivores tels que oryx, rhinocéros ou zèbres ; mais la consistance coriace et la richesse des feuilles en fibres et en cristaux d’oxalate de calcium  (voir l’autre chronique sur l’anatomie des feuilles) les rendent peu appétentes !

L’oryx gemsbok, antilope adaptée au désert, broute à l’occasion des feuilles de Welwitschia. Photo Roland Guillot

BIBLIOGRAPHIE

  1. DEVELOPMENT AND EVOLUTION OF THE FEMALE GAMETOPHYTE AND FERTILIZATION PROCESS IN WELWITSCHIA MIRABILIS (WELWITSCHIACEAE). WILLIAM E. FRIEDMAN American Journal of Botany 102(2): 312–324, 2015
  2. Growth and Reproductive Phenology of Welwitschia mirabilisHook. F.M. Di Salvatore, A. M. Carafa and G. Carratù The Open Plant Science Journal, 2013, 7, 39-46
  3. Infection of the cones and seeds of Welwitschia mirabilisby Aspergillus nigervar. phoenicisin the Namib-Naukluft Park.C. Whitaker, N.W. Pammenter, P. Berjak
 South African Journal of Botany 74 (2008) 41–50
  4. Long-term growth patterns of Welwitschia mirabilis, a long-lived plant of the Namib Desert (including a bibliography).Joh R. Henschel & Mary K. Seely Plant Ecology 150: 7–26, 2000.
  5. The microenvironment associated with Welwitschia mirabilis in the Namib Desert. Marsh, B. A., 1990. In: Seely, M. K., ed., Namib ecology: 25 years of Namib research, pp. 149-153. Transvaal Museum Monograph No.7, Transvaal Museum, Pretoria.
  6. Potential impacts of climate change on Welwitschia mirabilispopulations in the Namib Desert, southern Africa.Pierluigi BOMBI Journal of arid land