Pavo cristatus

Il a fallu attendre des siècles pour que l’on commence à s’intéresser sérieusement à des pratiques thérapeutiques traditionnelles basées sur des médicaments obtenus à partir de plantes ou d’animaux. Longtemps associées à la charlatanerie, certaines de ces pratiques, effectivement a priori « incongrues » pour nous occidentaux rationalistes, analysées de manière scientifique rigoureuse, peuvent nous révéler de vraies bonnes surprises sidérantes : c’est le principe de l’ethnopharmacologie. Tel est le cas de l’utilisation très ancienne des plumes de paon dans la pharmacopée de la médecine ayurvédique ou chez certaines ethnies du Rajasthan indien qui a fait l’objet d’une étude pharmacologique pointue aux résultats surprenants.

La zoothérapeutique

Si l’ethnopharmacologie a connu effectivement un développement spectaculaire aux cours des dernières décades, la majorité des études se sont néanmoins portées sur les végétaux et leurs usages, sans doute à cause de nos propres cultures occidentales où la médecine populaire recourait essentiellement à ces produits. Mais, dans d’autres cultures ou ethnies, les produits issus d’animaux occupent une place bien plus importante dans la pharmacopée traditionnelle. Au Pakistan, 9% des substances médicinales sont d’origine animale ; dans l’état de Bahia au Brésil, une étude a dénombré l’usage de 180 espèces animales comme sources de médicaments. La médecine indienne entre largement dans cette logique : 15 à 20% de la médecine ayurvédique se base sur des produits animaux

Une étude a recensé et comparé les pratiques d’une tribu du Rajasthan, les Saharia, avec celles d’autres ethnies indiennes déjà étudiées. Cette ethnie essentiellement agricole compte près de 80 000 personnes, vivant dans une certaine autarcie et restant à l’écart de la civilisation moderne. 15 espèces animales ont été ainsi identifiées, entrant dans la composition de 19 préparations médicinales : cela va du lait de dromadaire, à de l’urine de chèvre ou humaine, des os brûlés, du sang frais de pigeon, des bois de cerfs, des coquilles de mollusques et …. des extraits de plumes de paon , sur lesquels nous allons nous attarder.

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La plume de paon : un guérit-tout ?

Les Saharia utilisent deux produits dérivés du paon : ils frottent des pattes avec de l’eau et l’eau recueillie est utilisée dans les infections des oreilles, pratique retrouvée dans d’autres tribus locales ; les ocelles des plumes de la traine du paon sont mélangées à du sucre brut non raffiné (gur) pour soigner l’infertilité féminine. Dans la tribu des Maharastra, c’est la cendre de plumes qui est utilisée contre la toux et les ocelles contre le hoquet chez les Tamilnadu. On retrouve les plumes de paon dans la médecine ayurvédique sous forme d’extraits aqueux avalés en cas de morsure par un serpent venimeux. Parmi les autres usages relevés en Inde citons : anti-spasmodique (relaxant), contre l’asthme, contre les vomissements et contre diverses affections liées aux poumons !

Comme ces différentes pratiques gravitent peu ou prou autour d’un certain pouvoir anti-inflammatoire, une équipe de biochimistes indiens et suisse a donc entrepris une analyse chimique des plumes de paon avec comme objectif de valider ou non leur action antivenimeuse.

L’effet en deux temps du venin de serpent

Pour comprendre les résultats obtenus par l’analyse des plumes de paon, il faut au préalable connaître le mode d’action des venins de serpents. L’injection du venin lors d’une morsure entraîne deux réactions qui se succèdent dans le corps :

– une réaction locale au point de morsure sous forme brutale et de type inflammatoire avec hémorragie et nécrose des tissus autour de la morsure ; les toxines du venin responsables de cet effet local immédiat sont des enzymes : une connue sous le nom de PLA2 (une phospholipase) (effet inflammatoire), des protéases (effet hémorragique et nécrosant) et une hyaluronidase : cette dernière joue un rôle clé car elle facilite la diffusion des autres toxines (voir ci-dessous) par la circulation sanguine

– une réaction retardée et souvent mortelle due à un cocktail de toxines spécifiques très diverses et qui varient selon les espèces de serpents agissant soit sur le système nerveux (neurotoxines), sur le cœur (cardiotoxines), sur les reins (néphrotoxines), sur le sang (anticoagulants ou provoquant l’agrégation des plaquettes.

La composition du premier lot de toxines se trouve être assez générale dans la majorité des venins indépendamment des espèces. Donc toute substance capable de neutraliser l’action des premières toxines locales (et notamment la hyaluronidase) freinera la propagation des autres toxines souvent mortelles et laissera un délai supplémentaire capital en cas d’urgence pour effectuer une injection antivenimeuse susceptible de neutraliser les toxines mortelles.

La plume de paon : un remède validé

A partir d’échantillons récupérés sur des marchés, les chercheurs ont pu montrer la présence de plusieurs composés bioactifs, potentiellement actifs contre les effets nécrosants des toxines locales (voir ci-dessus) des venins de deux espèces de serpents, la vipère de Russell et le naja. Les plumes ne renferment pas d’alcaloïdes (comme chez nombre de plantes bioactives) mais des caroténoïdes et des stéroïdes dont l’activité inhibitrice a été établie. Un extrait aqueux de plume broyée agit sur l’enzyme PLA2 responsable de la réaction inflammatoire et inhibe aussi les protéases responsables de la nécrose locale ; globalement, cet extrait s’avère agir comme un puissant anti-inflammatoire, susceptible donc de retarder la réaction locale et la diffusion des toxines mortelles.

Reste une question récurrente : comment les populations locales ont-elles découvert cette action spécifique ? On ne peut guère qu’invoquer des tâtonnements successifs au hasard et la transmission orale de certains résultats spectaculaires ; peut-être qu’initialement, l’image du paon et celle des ocelles comme des yeux ont inspiré l’équivalent d’une sorte de « théorie des signatures » qui a incité à l’utilisation de ce produit. L’usage de ces produits par des centaines de générations a forcément conduit progressivement à une sélection des plus performants à partir d’une grande part initiale de hasard.

BIBLIOGRAPHIE

Traditional knowledge on zootherapeutic uses by the Saharia tribe of Rajasthan, India. 
Madan Mohan Mahawar and DP Jaroli. Journal of Ethnobiology and Ethnomedicine 2007, 3:25.

Use of Pavo cristatus feather extract for the better management of snakebites: Neutralization of inflammatory reactions. Satish K. Murari , Felix J. Frey, Brigitte M. Frey ,There V. Gowda, Bannikuppe S. Vishwanath. Journal of Ethnopharmacology 99 (2005) 229–232