On sait que des destructions à grande échelle engendrées par des perturbations telles que inondations, incendies ou pâturage par des animaux stimulent souvent la repousse des arbres et arbustes pour compenser les pertes. Cette repousse rapide produit de jeunes tissus végétaux au contenu nutritionnel plus riche ce qui induit souvent une augmentation de l’abondance des insectes herbivores.

Certaines interventions humaines come l’étêtage et l’émondage pour transformer les arbres en trognes relèvent du même processus : une destruction brutale et massive d’une grande partie de la biomasse foliaire de l’arbre traité. Des chercheurs japonais ont choisi comme modèle d’étude des saules vivant en bordure de cours d’eau et ont exploré l’impact de ces interventions sur le feuillage des arbres émondés et la biodiversité animale associée.

N.B. Nous utiliserons l’expression peu académique mais tellement parlante de trognage pour désigner l’étêtage et l’émondage de ces arbres comme nous l’avons déjà fait dans la chronique sur les trognes de chênes méditerranéens.

Expérience grandeur nature

En situation naturelle, les saules ripariens, ceux qui vivent au bord des cours d’eau, peuvent subir différents types de destructions répétées à grande échelle. Ce peuvent être par exemple les castors qui abattent des arbres entiers presque au ras du sol ou des inondations de grande ampleur qui submergent les arbres et en détruisent une bonne partie. Mais ces arbres ou arbustes (selon les espèces) montrent une très forte résilience à ces aléas intégrés dans leur cycle de vie : ils rejettent vigoureusement depuis la souche ou une branche ou tronc cassé.

Les chercheurs japonais ont profité d’une intervention des services publics qui avaient entrepris de couper des troncs de saules à hauteur de 50cm le long d’une rivière, selon la pratique du trognage. Les deux espèces de saules ainsi « perturbées » sont très proches des espèces vivant sous nos latitudes et le climat général se rapproche beaucoup de celui de nos régions tempérées : on peut donc, considérer que les résultats obtenus lors de cette étude peuvent se transposer chez nous.

20% des saules de la zone concernée avaient été ainsi coupés avec à leurs côtés d’autres non coupés : ainsi, les chercheurs ont pu suivre l’évolution de paires de saules adjacents, l’un coupé et l’autre pas : une vraie situation expérimentale.

Réaction des saules

Les saules coupés ont réagi en produisant bien plus de pousses latérales que ceux non coupés ; en plus, le nombre de feuilles et la longueur totale des pousses sont significativement plus grandes sur les trognés. Cet effet s’amplifie en fin de printemps à l’approche de l’été.

En coupant les troncs à 50cm au-dessus du sol, on enlève l’essentiel de la biomasse végétale de l’arbre ainsi que la majorité des bourgeons apicaux, ceux qui assurent la croissance en longueur. Ainsi, le trognage rompt brutalement la dominance apicale exercée par ces bourgeons : le processus par lequel l’arbre contrôle sa croissance en hauteur en mettant en sommeil les bourgeons situés en contrebas des bourgeons apicaux. Cette rupture « réveille » les nombreux bourgeons dormants sous l’écorce du tronc qui entrent alors en activité et se mettent à élaborer des rejets qui s’allongent très vite en pousses feuillées.

Par contre, ces saules ont conservé toute leur biomasse racinaire souterraine intacte et redistribuent alors les ressources stockées dans l’appareil racinaire en direction de ces rejets en formation : sans cette aide, l’arbre ne pourrait rejeter de manière active, ayant perdu l’entièreté de son feuillage qui lui procurait ses ressources alimentaires.

Comme dans les autres cas de perturbation majeure destructrice de l’appareil végétatif et notamment des bourgeons apicaux, la croissance se trouve fortement stimulée. Pour les saules vivant dans des milieux ripariens soumis aux aléas destructeurs des inondations, la repousse vigoureuse constitue une réponse adaptative avantageuse pour la compétition avec les autres espèces recherchant comme eux lumière et espace. Dans ce contexte, la repousse des saules en réponse en plus aux attaques des herbivores ne serait donc qu’un effet collatéral de leur tolérance aux aléas liés aux rivières.

Feuillage changé

La qualité nutritive du feuillage change aussi quand on compare les feuilles supérieures des arbres coupés par rapport aux non coupés. Sur les premiers, les feuilles supérieures renferment 50% d’azote et 10% d’eau en plus ce qui les rend 60% moins « raides ». La proportion d’arbres subissant des attaques herbivores est significativement supérieure chez les coupés.

58 espèces d’arthropodes de 34 familles différentes ont été repérés sur ces saules. Les auteurs fournissent la liste de ces espèces. Du côté des herbivores, on y trouve des larves de tenthrèdes (Hyménoptères), des pucerons, des cicadelles, des chrysomèles (coléoptères spécialisés dans la consommation des feuillages), des charançons, des taupins, et diverses chenilles de papillons de nuit. Du côté des prédateurs, signalons des coccinelles, des chrysopes, des fourmis, des larves de syrphes, et au moins sept espèces d’araignées.

Par exemple, l’une des deux espèces de saule portait 53 espèces dont 77% trouvées sur les trognés, 2% seulement sur les non coupés et 21% sur les deux types. Globalement, les deux espèces de saules ont entre 8 et 4 fois plus de richesse en espèces que ceux non trognés. De même l’abondance relative de ces arthropodes était de 2,5 à 2,8 fois plus grande sur les trognés.

La composition de la communauté animale associée s’est aussi trouvée profondément changée. La richesse spécifique en herbivores et prédateurs est significativement plus grande sur les trognés tout comme l’abondance des deux groupes d’arthropodes. Cette étude confirme donc superbement les effets en cascades du trognage sur ces saules ripariens.

Susceptibilité aux herbivores

On ne manque pas d’exemples quant aux effets induits. On a montré par exemple que les bouleaux broutés par des élans produisent ensuite des nouvelles feuilles plus riches en azote. Ici, en juillet, les feuilles étaient bien plus tendres et plus riches sur les arbres trognés. Ceci s’explique facilement par le fait que l’arbre fabrique des nouveaux tissus frais. Les nouvelles pousses croissent jusqu’en juillet alors que les pousses des arbres non trognés cessent leur croissance en avril (au Japon).

Les résultats ci-dessus indiquent clairement un effet booster sur la consommation de feuilles par des arthropodes herbivores sur les saules trognés. Donc les dégâts physiques sur l’appareil végétatif accroissent la susceptibilité du feuillage aux herbivores via l’augmentation de la qualité nutritive et donc de la ressource offerte.

Si on savait que les repousses de ce type augmentent l’abondance des insectes herbivores, on a peu démontré les effets sur la diversité en espèces. Ici, l’abondance accrue des insectes broyeurs de feuilles (comme les chrysomèles par exemple) provient sans doute de la biomasse accrue en feuilles et de leur qualité améliorée. Pour les suceurs de sève (comme les pucerons), la plante peut compenser le trognage en augmentant sa photosynthèse et ainsi accroître l’assimilation et donc l’augmentation de la sève élaborée et de sa qualité nutritive.

De plus, ici, on observe de nouvelles espèces sur le feuillage de repousses : 9 et 15 espèces broyeuses de feuillage (pour les deux espèces de saules) et 8 et 4 espèces suceurs de sève de plus par rapport aux arbres non trognés.

Le nombre accru d’herbivores sur les saules trognés peut aussi provenir d’une baisse de la compétition inter-espèces à cause de la croissance accélérée qui fournit beaucoup de ressources et abaisse donc les possibilités de compétition. Par contre, sur les arbres trognés, on ne trouve pas de galles de tiges (diptères) car la coupe des troncs a eu lieu mi-avril après la ponte des adultes qui a donc été éliminée.

Effets en cascades

Les résultats confortent aussi fortement l’hypothèse que l’accroissement de l’abondance et de la diversité à un niveau trophique donné (ici, les herbivores) peut induire le même effet sur le niveau supérieur (les prédateurs de ces herbivores).

Il se peut que la complexification des ramifications des pousses lors de ces repousses rapides favorise la présence des araignées (voir les résultats) en augmentant les possibilités de tisser des toiles. L’augmentation du nombre de proies herbivores élargit la gamme de l’offre vis-à-vis des prédateurs spécialistes. Ainsi les larves d’une petite coccinelle du genre Scymnus ou celles de larves de Syrphes se sont agrégées autour des colonies de certains pucerons fraîchement arrivés. Deux espèces spécialisées sur la chrysomèle versicolore du saule (qui existe en Europe), une coccinelle et un ichneumon parasitoïde, n’ont été trouvés que sur les trognés car leur proie y était abondante versus rare sur les non coupés. 3 ou 4 espèces prédatrices spécialisées de plus ont été ainsi trouvées sur les trognes.

L’augmentation du nombre d’espèces d’araignées et de fourmis, des prédateurs généralistes, résulte sans doute de l’abondance accrue d’herbivores sur les trognés : 11 et 6 espèces de prédateurs généralistes de plus sur les trognés. Par contre, en dépit de ces effets en cascade, on n’a pas observé ici de véritable régulation des populations d’herbivores sans doute parce que celles-ci se renouvellent très vite grâce à la pléthore de nourriture et de couvert.

Finalement, on voit que, au moins pour des saules, et au moins la première année qui suit l’intervention humaine, le trognage induit des effets en cascade montante (herbivores /prédateurs) sur les communautés d’arthropodes associées à ces arbres. Des effets qu’on peut qualifier de bénéfiques pour la biodiversité globale car, même si cela n’a pas étudié ici, on peut imaginer sans se tromper que bien d’autres prédateurs non arthropodes ont doivent bénéficier de cette manne nutritive qui se développe en plus en pleine saison de reproduction jusqu’au début de l’été.

Bibliographie

Trunk cutting initiates bottom-up cascades in a tri-trophic system: sprouting increases biodiversity of herbivorous and predaceous arthropods on willows. Masahiro Nakamura, Hideki Kagata and Takayuki Ohgushi. OIKOS 113: 259/268, 2006