Streptopelia decaocto

La tourterelle turque a en moins d’un siècle colonisé une grande partie de l’Europe, grâce entre autres à une capacité de reproduction élevée dans ses nouveaux milieux occupés, urbains ou ruraux. La Grande-Bretagne a été colonisée plus tardivement (à partir de 1955) puisque la vague de colonisation est partie du sud-est européen.

Une étude menée sur trois ans dans la campagne agricole autour d’Oxford (1) en Angleterre apporte un éclairage intéressant sur les modalités de reproduction de cette espèce et permet de mieux comprendre son succès, même si son expansion semble quelque peu se ralentir au cours des dernières décennies.

Une saison de reproduction très longue

Dans cette étude, les dates de ponte du premier œuf s’échelonnent entre le 14 février et le 4 octobre, soit neuf mois pleins. Cette longueur de la saison de reproduction se retrouve ailleurs dans le reste de l’Europe colonisée mais par contre en Angleterre la saison commence presque un mois plus tard et se termine de même un mois plus tard ; autrement dit, la saison de reproduction se trouve décalée mais non réduite, ce qui aurait pu être le cas du fait d’une position géographique plus au nord. Plus on va vers le nord, plus le printemps commence tard si bien que la disponibilité de la principale ressource alimentaire, les grains de céréales, se trouve décalée.

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Nid de tourterelle turque installé sous la charpente d’un hangar agricole dans la campagne auvergnate.

La comparaison avec les pays d’origine indique clairement un allongement considérable de cette période puisqu’en Irak par exemple la saison s’étale sur quatre mois au cours desquels trois pontes en moyenne sont produites.

Cette modification profonde de la reproduction permet donc à la tourterelle turque d’avoir une démographie plus importante comme le montrent les résultats sur les taux de reproduction.

Des chiffres étonnants

90% des pontes comptent deux œufs, les autres un seul. Les pontes avec un seul œuf concernent surtout le début de la saison et dans une moindre mesure la fin de saison. La plupart des couples produisent 3 à 5 pontes par saison avec un record à 9 pontes (soit 15 œufs pondus) et certains couples réussissent à avoir cinq pontes couronnées de succès (envol des jeunes) sur une seule saison. Les deux œufs sont pondus à un jour d’écart et l’adulte commence à les couver immédiatement. Or, la durée d’incubation du premier œuf est de 15 jours « contre » 14,5 jours pour le second (différence hautement significative d’après les données de l’étude) ; donc, le premier œuf pondu éclot une demi-journée plus tôt que le second ce qui n’empêche pas ce dernier de s’envoler en même temps ; le temps de séjour moyen au nid est de un peu plus de 18 jours.

Pour comprendre comment cette espèce réussit de tels « exploits », il faut observer l’enchaînement des nichées. Si une ponte ou une nichée échoue, le couple entreprend très rapidement une nouvelle ponte, six jours plus tard en moyenne. Par contre, si une nichée réussit (jeunes à l’envol), la suivante peut avoir lieu encore plus tôt, le couple commençant régulièrement à refaire un nouveau nid et une nouvelle ponte alors que les jeunes précédents sont encore au nid et qu’ils vont être nourris pendant une semaine après l’envol. 65% des pontes ont lieu moins de six jours après l’envol des jeunes de la nichée précédente. Le secret de cette productivité effrénée tient donc dans cette capacité à enchaîner sans discontinuer les pontes !

Il y a quand même des pertes

Pour avoir une image complète de la démographie de l’espèce en milieu rural, il faut évidemment prendre en compte la mortalité et les échecs de reproduction.49% des nids produisent au moins un jeune à l’envol et ce, surtout entre juin et octobre, le début de saison étant souvent plus difficile du fait de la prédation sur les poussins ou les adultes ; dans ce cas, les principaux prédateurs étaient les choucas des tours, l’épervier d’Europe ou la chevêche d’Athéna ; le parasitisme excessif par les acariens peut aussi provoquer une mort des poussins qui ne sont alors plus couvés par les parents. Les causes d’échec des pontes concernent surtout des dérangements par l’homme ou des œufs échappés des nids lors des relèves des parents, le nid étant souvent sommaire. Ce taux de succès de presque 50% reste bien en deçà de celui observé dans ses pays d’origine où à cause essentiellement de la prédation il descend à 40 voire 30%.

La ressource alimentaire (grains de céréales) restant disponible une bonne partie de l’année via le stockage ou l’alimentation du bétail, la survie des jeunes envolés et des adultes en hiver reste bonne

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A la campagne, la tourterelle turque trouve une ressource alimentaire quasi permanente sous la forme de divers grains de céréales ou autres.

Cette étude permet donc de dégager les grandes lignes de la stratégie « gagnante » de la tourterelle turque : une longue saison de reproduction permise par une ressource alimentaire permanente avec des séries de pontes à un ou deux œufs seulement mais avec un taux d’envol élevé des jeunes et une bonne survie ultérieure.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Breeding of collared doves Streptopelia decaocto in rural Oxfordshire, England. H.A. Robertson. Bird Study (1990) 37, 73-83.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la Tourterelle turque
Page(s) : 287 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la Tourterelle turque
Page(s) : 246 Le guide de la nature en ville