Rhodophyta

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Sur cette photo, il y a trois espèces d’algues rouges ; si, si !

Dans cette chronique, nous allons parler plus particulièrement des macroalgues comme disent les scientifiques, celles visibles à l’œil nu et qui ont une allure de végétal. La majorité des gens n’en connaissent que deux types : les algues brunes avec les spectaculaires laminaires géantes ou les tapis de fucus et, plus encore, les algues vertes devenues tristement célèbres sous la forme des marées vertes en bord de mer. Qui connaît le troisième groupe, celui qui contient et de loin le plus d’espèces des trois, les algues rouges ? Il faut dire que déjà une bonne partie d’entre elles ne sont même pas rouges ou tout au moins s’il y a du rouge, il est mélangé à d’autres teintes dominantes. Et pourtant, ce groupe des algues rouges révèle de sacrées surprises au niveau biologie et présente une batterie de particularités uniques qui en font des êtres vraiment à part. Qui sont ces algues rouges et cette lignée verte évoquée dans le titre ?

La lignée verte

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Arbre de parentés hyper simplifié montrant les grandes lignées à la base de l’arbre ; toutes les branches (loin s’en faut !!!) ne sont pas représentées et leurs innombrables ramifications non plus !

Si on remonte l’arbre du vivant aux origines du vivant, il y a plus de 3,5 milliards d’années. A partir d’un ancêtre commun (LUCA le dernier ancêtre commun unique), trois grandes lignées se détachent : les Bactéries et les Archées, des microroganismes dits procaryotes, i.e. dépourvus de noyau, le matériel génétique étant libre dans la cellule et la lignée dite des eucaryotes, les organismes dotés de cellules avec un noyau individualisé. De cette dernière lignée, vont émerger deux nouvelles branches, une (Unicontes) donnera plus tard les Métazoaires (les animaux dont l’Homme) et les Champignons entre autres et une autre (Bicontes) qui va considérablement se diversifier en au moins quatre grandes lignées divergentes au sein desquelles, à plusieurs reprises, vont apparaître des groupes capables de faire la photosynthèse. L’une de ces branches a été nommée la lignée verte car elle a ensuite donné les plantes vertes terrestres.

Un rapt qui finit bien

Cette lignée verte (Archaeplastida pour les puristes !) s’est individualisée il y a largement plus d’un milliard d’années avec l’acquisition d’un nouvel organite cellulaire, le chloroplaste qui contient de la chlorophylle a. On propose désormais avec moult arguments à l’appui (dont la présence d’ADN et d’une double membrane pour le chloroplaste) le scénario consensuel dit de « l’endosymbiose primaire ». L’ancêtre commun de cette lignée verte (lignée qui donc n’existait pas encore !) a incorporé, sans le digérer, un autre organisme procaryote : une cyanobactérie capable de faire la photosynthèse ; ces dernières appartiennent à la lignée des bactéries et étaient présentes sur Terre depuis plus de 3 milliards d’années. Une relation symbiotique a pu s’établir entre cette cyanobactérie et l’ancêtre commun de la lignée verte donnant naissance à un nouvel organisme composite désormais capable de faire la photosynthèse. On comprend donc mieux le sens du mot endosymbiose : la cyanobactérie, devenue un chloroplaste, vit en symbiose avec la cellule dans laquelle elle a trouvé abri.

Elles arrivent

La lignée verte, à partir donc de cet ancêtre commun « hybride », a ensuite évolué en donnant deux lignées principales. L’une d’elles restera peu représentée (ou tout au moins a laissé peu de traces) : ce sont les Glaucophytes, des organismes unicellulaires aquatiques dont le chloroplaste ressemble le plus à une cyanobactérie (on le surnomme d’ailleurs cyanelle) et qui contient des pigments bleu-vert particuliers, les phycobilines. Dans l’autre, bien plus tard, des organismes pluricellulaires vont commencer à se différencier. Deux branches divergentes se forment : d’un côté les algues rouges ou Rhodophytes (de rhodo pour rose) et de l’autre, les « êtres verts » (Chlorobiontes) qui vont connaître une formidable diversification donnant les algues vertes (Ulvophytes) et, entre autres, toutes les plantes vertes terrestres (mousses, fougères, plantes à graines, ..).

Le plus ancien fossile avéré d’algue rouge remonterait à près de 1,2 milliard d’années (au Canada) ce qui en fait un des plus anciens fossiles d’eucaryote connu. Les algues rouges représentent donc une lignée extrêmement ancienne, une des premières lignées d’êtres pluricellulaires sur Terre. Elle reste néanmoins très florissante avec plus de 7000 espèces actuelles dont 95% en milieu marin et le reste en eau douce.

Au début de leur histoire, à plusieurs reprises, alors qu’elles étaient encore unicellulaires, certaines d’entre elles ont été à leur tour incorporées dans les cellules d’organismes issus d’autres lignées, transmettant ainsi leur caractère photosynthétique sous forme d’une endosymbiose secondaire (avec un niveau supplémentaire) ; il y a donc du génome d’algue rouge qui « traîne » çà et là dans les autres lignées des Bicontes !

Une forte divergence

L’ancienneté de la divergence a laissé des traces profondes qui transpirent dans la longue liste des caractères uniques propres aux algues rouges et que l’on ne retrouve pas ni chez les algues vertes ni chez les plantes vertes.

Au niveau cellulaire, les algues rouges se distinguent par l’absence totale dans aucun des stades du développement ni de cils ni de flagelles ; ainsi, les cellules sexuelles mâles ou spermaties n’ont pas de flagelle locomoteur comme les spermatozoïdes ou les anthérozoïdes (végétaux) et ne peuvent se déplacer qu’avec les courants marins ou en en se laissant glisser à la surface. Elles n’ont pas non plus de centrioles, ces organites qui donnent le fuseau de tubules permettant la division cellulaire. D’ailleurs cette dernière est très particulière puisque les deux cellules filles issues de la séparation d’une cellule (par mitose) ne se séparent pas complètement : elles restent reliées par un pore de communication obturé par un bouchon de protéines. Comme la croissance se fait par les extrémités (apicale) la majorité des cellules se retrouvent ainsi avec deux pores diamétralement opposés.

L’architecture de ces organismes pluricellulaires a de quoi aussi déconcerter ; on y trouve toutes sortes de formes depuis celles rappelant furieusement des feuilles de plantes terrestres à des formes ramifiées plumeuses, ou filiformes, ou articulées ou à des formes méconnaissables dites encroûtantes : les cellules s’entourent d’une carapace de carbonate de calcium donnant ces croûtes vivement colorées typiques des flaques d’eau des côtes rocheuses à marée basse. Elles résultent de l’activité de tout un vaste groupe d’algues rouges, les Corallinales. Il y a même des formes complètement libres, non fixées comme le célèbre maërl, terme informel qui recouvre plusieurs algues rouges encroûtantes ramifiées et juste posées sur le fond comme autant de brindilles.

Une chimie foisonnante

Tout aussi étonnante s’avère leur capacité à synthétiser des substances chimiques originales. Comme les végétaux verts, elles stockent les produits fabriqués lors de la photosynthèse sous une forme de réserve qui est l’amidon. Mais leur amidon est très différent, moins ramifié : on parle de rhodamylon ou amidon floridéen. De plus, cet amidon ne s’accumule pas à l’intérieur des chloroplastes mais en dehors dans le cytoplasme des cellules. Elles fabriquent par ailleurs une autre molécule de stockage unique : le floridoside, molécule très originale qui ensuite sera reconvertie en molécules nécessaires au fonctionnement.

Encore plus originales sont les molécules chimiques des parois des cellules : outre la couche de fibrilles de cellulose classique on y trouve une seconde couche de glucides à longue chaîne contenant du soufre et ayant une consistance gélatineuse qui donne un caractère glissant et flexible. En faisant bouillir des algues rouges, on peut isoler cette seconde couche : on obtient ainsi des produits omniprésents dans notre alimentation : l’agar-agar et le carraghénane, des épaississants et des stabilisants.

Nombre d’algues rouges sont d’ailleurs comestibles et font même l’objet de cultures intensives comme les porphyres au Japon (nori) ; la chimie des algues rouges est un sujet d’étude qui fait l’objet de centaines de publications tant le répertoire chimique de ces organismes est original et immense.

Trois couleurs : rouge !

En plus de la chlorophylle, verte (mais uniquement la forme a et jamais ni la b ni la c), des xanthophylles et caroténoïdes jaunes ou bruns que l’on retrouve chez les végétaux verts, les algues rouges possèdent des pigments dédiés à la photosynthèse originaux : les phycobilines (déjà mentionnés ci-dessus à propos des glaucophytes, leurs plus proches parents actuels). Parmi celles-ci, on trouve de la phycocyanine et l’allophycocaynine bleues et un pigment rouge, la phycoérythrine. Ce dernier réfléchit les radiations lumineuses dans le rouge (d’où la couleur perçue à l’œil) et capte les radiations bleues. Comme ces dernières pénètrent plus en profondeur sous l’eau que les autres, ceci explique comment nombre d’algues rouges arrivent à vivre et photosynthétiser à des profondeurs atteignant 250m ! Mais plus elles sont proches de la surface et moins, en général, elles contiennent de ce pigment rouge : ce qui explique que la plupart des algues rouges ne sont pas … rouges mais dans des tons de bruns voire de verts !

Un cycle en 3G.

Non, les algues rouges n’ont pas inventé la 3G ! G. signifie génération ! Ces végétaux possèdent un cycle de vie extraordinairement complexe avec le plus souvent trois générations différentes, autrement dit, trois vies en une. Une génération est dédiée à la production de cellules sexuelles, une autre porte les cellules femelles dans des carpogones et sont le siège de la fécondation et une dernière va subir la division réductrice (méïose) qui donnera les spores. Ces trois générations peuvent êtres très différentes d’aspect même si le plus souvent la première et la seconde sont identiques ; parfois, on ne connaît même pas l’ensemble du cycle tant certaines formes sont microscopiques ou difficiles à déceler. Autant dire que si vous décidez de vous plonger dans les algues rouges, préparez vous à devoir assimiler tout un vocabulaire ultra spécifique du genre gamétophyte, carposporophyte ou tétrasporophyte rien que pour désigner les 3G.

Des organismes ingénieurs

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Algues corallines ramifiées et encroûtantes formant des mini-buissons de pierre du plus bel effet !

D’aucuns pourraient penser que compte tenu de leur ancienneté et de leur aspect général, ils ‘agit d’organismes primitifs sans importance. Or, au moins à deux niveaux, les algues rouges présentent tous les traits d’organismes capables de transformer leur environnement à grande échelle et notamment le groupe déjà évoqué des encroûtantes ou Corallinales.

Les tapis de maërl (voir ci-dessus) qui couvrent de grandes surfaces au fond des océans (quand ils ne sont pas exploités à outrance de manière honteuse comme source d’amendement agricole) (3) produisent, par leur métabolisme, un gaz soufré, au nom barbare, le diméthylsulfide (DMS) qui en s’échappant dans l’air participe à la formation d’aérosols qui favorisent la formation de gouttes d’eau dans les nuages. Les algues rouges peuvent donc agir sur le climat indirectement !

D’autre part, leur capacité à fixer le carbonate de calcium de l’eau pour former les croûtes protectrices en fait des organismes bâtisseurs de récifs d’une importance considérable sous les tropiques, dépassant souvent en la matière l’activité des coraux. Elles participent à la stabilisation des récifs coralliens et donnent naissance à des masses minérales considérables et ce depuis des millions d’années.

Enfin, il se pourrait que dans un avenir proche, les algues rouges ne deviennent une ressource alimentaire vitale pour l’humanité en croissance perpétuelle tout comme une source de médicaments (ainsi le calcaire fabriqué par les corallinales peut servir en chirurgie réparatrice osseuse !).

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Classification phylogénétique du vivant. Tome I (voir ci-dessous)
  2. Guide des algues des mers d’Europe. Delachaux et niestlé. 2006
  3. DEFINING THE MAJOR LINEAGES OF RED ALGAE (RHODOPHYTA). H. Su Yoon et al. J. Phycol. 42, 482–492 (2006)
  4. Red coralline algae as a source of marine biogenic dimethylsulphoniopropionate. Nicholas A. Kamenos et al. Mar Ecol Prog Ser 372: 61–66, 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les algues rouges
Page(s) : 205-206 Classification phylogénétique du vivant Tome 1 – 4ème édition revue et complétée