19/09/2021 Pour augmenter les chances d’accueillir un plus grand nombre d’espèces animales et végétales, i.e. la biodiversité, on peut, sur des sites gérés écologiquement, ajouter artificiellement des éléments semi-naturels servant d’abri, de refuge pour hiberner, de source de nourriture, de voie de dispersion ou d’installation pour la faune et la flore ; on les désigne sous le terme un peu technologique d’infrastructures écologiques. Ce peuvent être des arbres isolés, des haies, des mares, des espaces dénudés, des tas de branches, des bandes herbeuses, … Les murettes de pierre sèche entrent complètement dans cette catégorie car elles offrent des possibilités d’abri, de refuge, de lieu de vie pour de nombreuses espèces. 

Cette chronique relate la mise en place d’une murette de pierre sèche sur un site géré par la LPO Auvergne lors d’un chantier de formation d’une journée ; il ne s’agit pas de donner ici tous les détails techniques pour construire un tel ouvrage mais de montrer que c’est relativement facile et envisageable et donc d’inciter à faire de même là où c’est judicieux. C’est aussi une manière d’attirer l’attention sur ces murettes de pierre sèche partout où elles existent encore afin de susciter des opérations de sauvegarde, de restauration et de mise en valeur de ce patrimoine humain aux nombreuses qualités exceptionnelles au-delà de leur intérêt pour la biodiversité

Site témoin

Vue partielle du site de Sailles : pelouse basaltique sèche et fourrés buissonnants ; au fond, les buttes du pays des Couzes

Le site du chantier se situe sur la commune de Saint-Nectaire dans la région dite des Couzes, ces petites rivières semi-torrentielles venues du massif du Sancy qui rejoignent la plaine de Limagne en creusant des vallées encaissées (voir la chronique sur la couze d’Ardes). Il se trouve juste sur le rebord du plateau basaltique de Sailles-Treizanches qui surplombe la vallée de la couze Chambon. Sur un peu plus de deux hectares, ce site abrite une mosaïque de milieux typiques de cette petite région : des bois secs de chênes et de pins sylvestres, des friches buissonnantes épineuses de reconquête, de hautes pelouses à brachypode penné et des pelouses rocheuses basses sur le secteur le plus en pente exposé plein sud.

Extrait du carnet de bord du groupe LPO qui gère le site

Le groupe LPO local d’Issoire gère ce site depuis 2014 avec l’ambition d’en faire un site pilote pour l’accueil de public lors d’opérations de sensibilisation ou de formation des bénévoles de l’association. Outre des travaux de débroussaillage nécessaires avec la déprise agricole et d’installation de clôtures pour permettre le retour de troupeaux, le groupe local a d’ores et déjà créé plusieurs « infrastructures écologiques » (voir ci-dessus) afin d’enrichir le plus possible la biodiversité du site : deux mares et un abri à reptiles ont ainsi été créés. Les inventaires de biodiversité en cours ont d’ores et déjà recensé 73 espèces d’oiseaux dont 35nicheuses, … 110 d’insectes identifiés, 4 espèces de reptiles, 4 espèces de batraciens, 8 espèces de mammifères. Depuis ces premiers aménagements l’arrivée de nouvelles espèces et une augmentation sensible des populations présentes ont été constatées. Pour aller plus loin et développer les actions de sensibilisation, le groupe local d’Issoire a donc déposé l’an passé un dossier dans le cadre de l’appel à projets du Budget Eco-citoyen (BEC) initié par le conseil Général du Puy-de-Dôme ; ce projet intitulé SAILLES, UN SITE TEMOIN ou comment accueillir la biodiversité chez soi a été retenu parmi les 63 lauréats de cette opération et a bénéficié d’un soutien financier pour réaliser divers aménagements dont la création d’un abri en pierre sèche pour la biodiversité. 

Murette-pierrier

Le chantier de réalisation de cet abri en pierre sèche a donc eu lieu ce samedi 18 septembre et a été l’occasion de former la douzaine de participants à cette technique. Ce « stage » était encadré par un grand maître murailler, Christian Omeilhier (Charmensac, 15) qui nous a fait découvrir avec sa pédagogie bienveillante et son enthousiasme communicatif les arcanes due la construction d’une murette de pierre sèche. Nous relatons ci-dessous les grandes étapes de cette réalisation. 

Les matériaux. Une murette de pierre sèche écologique se doit d’être construite en pierre locale, au plus proche du site, sans aller piller non plus d’anciennes murettes ou pierriers voisines ce qui serait destructeur. Ici, nous sommes sur une ancienne coulée basaltique donc les pierres ne manquent pas dans et sur le sol ; mais il était hors de question de ramasser les pierres qui jonchent le site car chacune d’elles abrite sous elle son propre microcosme.

Le matériau de base sera donc ici des blocs de basalte et/ou de scories soudées (bombes volcaniques, blocs chaotiques de pouzzolane) de toutes tailles et de toutes formes, la plupart biscornus et souvent arrondis sauf quelques grandes et belles dalles issues du sommet de la coulée de lave. Deux idées reçues à oublier à cette occasion :  quelle que soit la roche utilisée, nul besoin de disposer forcément de « belles » pierres plates comme on les vend dans les jardineries et venues pour une part d’entre elles de … Chine ou du Brésil ; trier aussi de toutes petites pierres (des cailloux !) qui seront indispensables dans la construction. 

Choix du site : les responsables du groupe LPO avait choisi d’installer cet abri devant la grande mare artificielle alimentée par la récupération de l’eau du toit d’un petit local destiné à l’accueil du public et où pagaient les notonectes avec l’idée que la proximité de la mare entretiendrait une certaine humidité bienvenue sur ce site chaud et sec : la vallée de Saint-Nectaire reçoit annuellement moins de précipitations que la région de … Nice ! Il s’agit aussi d’en faire un abri d’hivernage privilégié pour les amphibiens qui commencent à coloniser ces mares dont les crapauds communs et des tritons ; les escargots, dont de nombreuses espèces habitent ce genre de milieu devraient aussi apprécier cette humidité relative. 

Après concertation collective orchestrée par Christian, le murailler, et la prise en compte d’un critère esthétique (faire un beau mur), il est décidé que la murette suivra une courbe partant d’un angle inférieur de la mare pour monter sur la berge et rejoindre l’autre angle. Il faut maintenant préparer sommairement l’assise sur laquelle sera installé l’abri : compte tenu de ses dimensions modestes en hauteur, nul besoin de creuser ou de préparer celle-ci : un simple nivellement rapide à la pioche pour enlever les grosses touffes de graminées suffira ici. 

Première rangée : la première rangée d’assise est déterminante pour la suite de l’ouvrage. Christian présente avec sa pédagogie très imagée la manière d’appréhender une « grosse » pierre ; belle occasion aussi d’apprendre le « parler pierre ». La plupart des blocs, sauf ceux vraiment ronds, présentent une dimension plus longue que l’autre ; on désigne par panneresse le côté en long et boutisse le côté « en travers » : les pierres seront donc orientées avec la boutisse en avant, visible sur le parement du mur (quand on le voit de face) et la panneresse s’enfonçant dans le muret. Cette disposition permet de donner plus de stabilité à l’ensemble qui s’ancre en longueur en quelque sorte. On fait tourner dans sa main la pierre de manière à repérer l’angle de la boutisse : une fois posée, la boutisse de la pierre doit s’incliner légèrement vers l’intérieur car tout le muret doit pencher vers l’intérieur au fur et à mesure qu’il monte vu qu’il n’y a pas ici de liant qui relie les pierres ; on appelle le fruit cet angle et sa valeur va dépendre de la hauteur du mur, de la stabilité de l’assise, ….

Imiter le « fruit » de la murette à venir !

Par une posture très parlante, la jambe de Christian décrit très bien ce principe crucial du muret de pierre sèche : il se stabilise par appui vers l’intérieur, passivement. Hors de question de monter à la verticale ! 

Autre point crucial : poser les pierres de la première rangée de manière à ce qu’ils n’y aient pas d’espace entre elles devant et qu’elles soient stables devant, côté extérieur quand on appuie dessus. L’arrière de la pierre, la « queue » qui s’enfonce dans le muret sera elle calée ensuite mais elle seule : on ne cale pas l’avant de la pierre au niveau du parement. 

Murette-pierrier : après concertation et prise en compte du volume et des tailles de pierres dont nous disposons, il est décidé de bâtir une structure mixte : deux murettes parallèles écartées d’un mètre cinquante environ entre lesquelles sera mis en place un pierrier informel, à la manière des pierriers d’épierrage que l’on trouve sur nombre de plateaux (les chaux) de la région. Les deux murettes montent donc en se penchant l’une vers l’autre comme indiqué ci-dessus et on les réunit aux deux extrémités par un arrondi. 

Immédiatement, avant de poursuivre, il faut entamer le travail de calage indispensable : sous et derrière chacune des pierres de base (puis de celles qui viendront par-dessus au fur et à mesure) on glisse des petites cales ; chacun dispose d’un seau rempli de cailloux de toute taille : des petits, des moyens et des gros pour pouvoir choisir à chaque fois la bonne taille. 

Entre les deux rangées, on commence à poser des pierres moyennes et des petits cailloux en les calant le plus possible entre eux. Le remplissage se fait ainsi mais en même temps on doit monter les deux murettes rang après rang. Chaque nouvelle pierre doit être posée sur deux de la rangée en dessous pour assurer la stabilité.

On arrive ainsi à ce moment magique où le futur muret se dessine vraiment et prend forme sous nos yeux ; à partir de là tout s’accélère même si le calage et la pose des rangs extérieurs demandent toujours autant d’attention.

Deux heures après le début, la murette-pierrier se dessine vraiment
Même le remplissage est calé ; noter les seaux pleins de cales

Comme il s’agit d’un abri à biodiversité et pas d’une murette destinée à arrêter le passage du bétail par exemple, la hauteur reste modeste, sans compter que les pierres se raréfient vite : le volume initial fond comme neige au soleil une fois bien rangé sur la murette ! 

 A une extrémité, nous décidons de coiffer la murette et son pierrier central avec quelques dalles énormes, manipulées par plusieurs gros bras (et dos robustes !). Deux dalles serviront de siège destiné à l’observation et à la contemplation face à la mare ! Le maitre murailler teste in situ l’ergonomie du siège en l’inaugurant !  

A l’autre extrémité, des gros blocs ronds seront installées en dôme plus tard et entre les deux il restera donc le pierrier de petits cailloux. Christian préconise l’installation d’iris d’Allemagne qui par leurs rhizomes puissants dotés de racines qui s’infiltrent entre les pierres aideront à stabiliser le tout et à empêcher que la terre ne pénètre dans la murette : sa présence déstabilise les pierres car la terre gonfle ou se rétracte au gré des épisodes de pluie/sécheresse et agit comme un coin interne. D’ailleurs, dans la région, on trouve régulièrement des colonies d’ris installées sur des murettes de soutènement de vignobles. 

Iris installés sur une murette basaltique dans le vignoble de Châteaugay (63)

La traditionnelle photo de fin chantier permet d’apprécier la qualité de l’œuvre réalisée en cinq heures au total par douze personnes. Alors, quand montez-vous une murette-abri à biodiversité dans votre jardin ou sur votre commune ? 

Il ne manque plus que la biodiversité : ça ne devrait pas tarder vu la qualité de l’ouvrage !

Bibliographie 

Pour en savoir plus sur le BEC et les projets retenus 

Le site de la LPO Auvergne

Le site des professionnels de la pierre sèche où vous trouverez de nombreuses informations pratiques 

Pierre sèche. P. Coste ; C. Cornu et al. Ed. le bec en l’air 2021 Superbe ouvrage sur les murs et ouvrages de pierre sèche à travers la France et l’Europe : à lire et regarder avec gourmandise