Lissotriton helveticus

On tend un peu à oublier les espèces aquatiques quant à l’impact du réchauffement climatique global en cours avec l’idée, bien humaine, que dans l’eau on se rafraîchit. Mais la température moyenne de l’eau elle aussi se trouve impactée et modifie de facto les conditions de vie des êtres entièrement aquatiques. Les amphibiens constituent de bons indicateurs par rapport à l’étude de cet impact du fait d’une part de leur taille moyenne relativement petite et surtout du fait de leur caractère ectotherme (animaux à « sang froid »), i.e. leur incapacité à produire de la chaleur interne pour maintenir une température interne compatible avec une activité physique. Ils sont directement dépendants de la température ambiante pour leurs activités et notamment pour mener à bien leur reproduction et hibernent dès que les températures deviennent basses de manière permanente. Une étude expérimentale a été conduite sur des tritons palmés, une des espèces de tritons les plus communes en France, afin de mesurer l’impact du réchauffement moyen de l’eau sur leur reproduction en termes de fécondité et de production de larves nouvelles.

Reproduction aquatique

 

Mâle nuptial

Le triton palmé est une petite espèce (5 à 10cm de long) caractérisée par sa queue aplatie, mince et brusquement tronquée au bout où elle se prolonge par un filament court. De teinte assez uniforme variant du jaune au brun, il présente une gorge claire de couleur chair. L’adjectif palmé ne concerne que les mâles en période de reproduction chez qui on observe des palmures complètes aux orteils plus un filament caudal allongé et noirâtre.

Cette espèce se reproduit dans toutes sortes de milieux aquatiques aux eaux calmes stagnantes. En dehors de la période de reproduction, jeunes et adultes mènent souvent une vie terrestre et ils hibernent à terre, non loin du point d’eau où se déroule la reproduction. Celle-ci commence très tôt dès janvier-février selon les régions et dure jusqu’en juin-juillet. Les mâles plus colorés que les femelles (et donc palmés) entreprennent des parades complexes avec des mouvements du corps et de la queue face à la femelle. Si cette dernière est consentante, le mâle dépose devant elle un paquet de sperme au sommet d’une masse gélatineuse (un spermatophore). La parade du mâle incite la femelle à venir se positionner au-dessus de ce paquet et de le récupérer avec son cloaque ouvert où il reste collé un temps. La fécondation a lieu ensuite dans les voies génitales de la femelle. Ensuite, les femelles pondent les œufs fécondés en les déposant un par un sur des feuilles de plantes aquatiques qu’elles replient ensuite le plus souvent. La ponte dure plusieurs jours. Le développement embryonnaire se déroule dans l’œuf qui éclot et donne une larve ressemblant à l’adulte mais pourvue de branchies externes. Elle grandit et se métamorphose en adulte, perdant alors les branchies externes.

Protocole

 

Pour tester l’impact du réchauffement de l’eau sur la reproduction, l’équipe de chercheurs a mis en place une expérimentation visant à comparer la reproduction de tritons sauvages à trois températures différentes. 120 mâles et autant de femelles ont été pêchés dans une mare du Causse du Larzac (et remis dans leur mare à la fin de l’expérience !) en février avant le début des parades et répartis dans trois lots de deux aquariums : l’un à 14,5°C, le second à 18°C et le 3ème à 22°C. Ces températures s’inscrivent dans les valeurs observées au cours de la période de reproduction (février à juillet) qui varient de 6,5°C à 23,5°C ; d’autre part, les projections climatiques annoncent un réchauffement possible de 4°C d’ici 2010 pour cette région. Pour la suite on reconstitue dans les trois lots en parallèle les étapes de la reproduction, toujours à la même température retenue pour chaque lot.

On isole mâles et femelles par couples isolés dans un petit aquarium (à la t° du lot) et quand la fécondation a eu lieu (un spermatophore collé sur le cloaque de la femelle), on récupère cette dernière pour la mettre dans un autre aquarium où l’on va suivre en détail sa ponte (nombre d’œufs pondus, durée de la période de ponte) et le devenir des œufs (temps entre la ponte d’un œuf et son éclosion ; pourcentage d’œufs éclos). Ainsi la comparaison statistique de ces différents paramètres va permettre d’apprécier l’effet de l’augmentation de la température de l’eau selon ce gradient entre 14,5°C (proche de la valeur moyenne de 16°C sur la période dans la mare originelle) et 22°C (proche des maximas observés).

Impacts

Au moment de la ponte, toutes les femelles, quelque soit la température, avaient une moyenne de poids identique. Par contre, le nombre d’œufs pondus par femelle dépend clairement de la température puisque les femelles élevées à 22°C pondent deux fois moins d’œufs que celles à 14,5 ou 18°. De même la période sur laquelle s’étale la ponte est impactée : elle est nettement plus longue aux températures basses qu’à 22°C. Mais la suite de la reproduction se trouve elle aussi impactée : le nombre de jeunes éclos à partir des œufs est 3 fois plus élevé à 14,5°C qu’à 22°C ; la durée de la latence qui sépare la ponte d’un œuf et son éclosion diminue nettement avec l’augmentation de température : à 14,5°C les œufs éclosent en moyenne 11 jours plus tard qu’à 18°C et 17 jours plus tard qu’à 22°C.

Donc le réchauffement significatif de l’eau pendant la période de reproduction réduit notablement le taux de reproduction de ½ à 1/3. Or, dans la nature, la survie réelle des œufs est vint fois moindre qu’en aquarium ! Autrement dit, cette baisse peut impacter l’évolution d’une population locale dans une mare donnée. Cependant, dans le cas de populations très denses (comme celle utilisée), il se peut que cet effet soit tamponné par le nombre de reproducteurs.

Deux pistes physiologiques permettraient d’expliquer cette influence négative : le coût énergétique de la ponte qui impose aux femelles une consommation accrue d’oxygène qui tend à diminuer avec la chaleur ; chez les tritons, les hormones associées à la reproduction (dont la prolactine) dépendent de la température ce qui pourrait indirectement affecter la reproduction.

Indicateurs biologiques

Jeune triton hors de l’eau

On a pu montrer chez divers reptiles (dont le lézard vivipare) terrestres que le réchauffement entraînait une augmentation de la taille du corps et de celle des pontes ou des portées (pour les espèces vivipares). Même si cet effet touche les tritons, il se trouve contrebalancé fortement par les effets négatifs signalés ci-dessus. A 22°C les femelles pondent moins d’œufs : on pourrait penser qu’ils sont de ce fait plus gros et ont un meilleur succès à l’éclosion. Or, les observations réalisées dans cette étude montrent que les larves naissent avec une taille moindre car l’accélération du développement les fait éclore à un stade plus avancé ; d’autres part, il a été noté de fréquentes anomalies (queue tordue par exemple) liées encore à ce développement trop rapide à cette température. On sait aussi que le réchauffement impacte le démarrage de la saison de reproduction en le décalant vers janvier voire décembre mais les individus adultes ont alors une taille moindre et le succès reproductif s’en ressent ; mais cet effet semble varier selon les espèces : certaines se reproduisent effectivement plus tôt et d’autres pas.

Au final, cette étude attire l’attention sur un effet collatéral inquiétant du réchauffement climatique : diminuer le succès reproductif des tritons (et sans doute de nombreux autres amphibiens) et modifier ainsi le fonctionnement de ces écosystèmes aquatiques/terrestres que sont les mares. Il reste à déterminer quel serait l’impact à moyen terme d’un tel réchauffement sur la dynamique des populations car d’autres facteurs pourraient intervenir et interférer comme la qualité et la quantité de nourriture (qui pourrait être favorisée) ou la croissance des végétaux aquatiques : rien n’est simple en la matière !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Les amphibiens de France, Belgique et Luxembourg. ACEMAV. Parthénope collection. 2003. Ed. Biotope
  2. Detrimental effect of temperature increase on the fitness of an amphibian. Galloy V. & Denoël M. Acta Oecol. 36 : 179-183. 2010.