L’essentiel des déchets plastiques arrivant dans les océans a été majoritairement utilisé et étalé à la surface de la terre, dans les écosystèmes terrestres, avant de rejoindre les rivières et de finir dans les océans (1). L’ensemble des plastiques forme la litière plastique environnementale ; elle subit avec le temps une désagrégation et une fragmentation sous les effets de processus biologiques, chimiques et physiques ; même les plastiques vantés comme biodégradables qui semblent effectivement disparaître se désintègrent en fait en particules tellement infimes qu’on ne les voit plus : beau tour de passe-passe ! Ils génèrent ainsi des particules de moins de 5mm appelés microplastiques qui peuvent aussi provenir de l’usure ou abrasion de surfaces ou de revêtements plastiques. Eux-mêmes continuent de se fragmenter en particules invisibles, inférieures au dixième de micron, les nanoplastiques. Cette pollution, quasi invisible à l’œil nu, a pris des dimensions planétaires considérables et s’inscrit désormais complètement dans le changement global qui affecte tous les écosystèmes. Les effets nocifs directs et indirects de ces micropolluants sont déjà bien documentés en milieu aquatique et on commence à appréhender leur ampleur et leur impact dans les écosystèmes terrestres (dont les sols) et sur la santé humaine. Les terres cultivées semblent bien être une source importante de ces microplastiques via notamment l’épandage des boues des stations d’épuration des villes avec un transfert de la pollution urbaine à la campagne. 

« Compost » à base de boues de station d’épuration et utilisé comme engrais agricole.

NB. Pour illustrer cette chronique, j’ai utilisé des photographies prises sur un tas de boues compostées dans la plaine agricole près de chez moi et dans un champ de blé voisin où elles ont été épandues. Les plastiques qu’on y voit ne sont pas des microplastiques (il faudrait des photos au microscope après traitement), infiniment plus abondants, mais des macro-fragments de plastiques (peut-être introduits avec les déchets végétaux utilisés pour le compostage ?). Ils témoignent néanmoins du degré de contamination générale de ces « composts » vantés comme écologiques ! 

Effluents chargés ! 

Le rôle des stations d’épuration dans la libération massive de microplastiques dans l’environnement a d’abord été pressenti à partir d’analyses d’effluents issus de ces stations, donc après traitement des eaux usées, et rejetés classiquement dans les cours d’eau. Dans une étude (2) conduite sur 17 stations d’épuration municipales américaines, on a prélevé 90 échantillons d’effluents et analysé leur contenu en microplastiques. En moyenne, on a trouvé 5 microparticules de plastiques pour 100 litres d’eau rejetée. On pourrait donc se dire que ce rejet reste minime. Sauf que l’on oublie que ces stations, même celles de petite taille,  traitent des millions de litres par jour : le déversement quotidien de microplastiques dans les effluents d’une station se situe donc dans une fourchette allant de 50 000 à 15 millions de particules, avec une moyenne se situant autour de 4 millions quotidiens pour les 17 stations testées ! On change tout de suite d’échelle ! 

Les particules les plus communes sont des fibres (59%) issues du lavage des tissus et vêtements ; une part mal connue de celles-ci serait néanmoins non plastique (cellulose) mais plusieurs autres études avancent un pourcentage de 75% de fibres plastiques. Puis viennent les « fragments » (33%) plutôt de très petite taille (0,1 à 0,4mm) : une bonne part provient notamment des « microbilles » utilisées dans les cosmétiques et produits de soin personnels. Les quantités rejetées varient considérablement mais il a été démontré que les stations traitant les eaux usées de populations humaines denses rejettent des effluents plus concentrés en ces particules. Même les traitements dits tertiaires pour améliorer l’épuration ne changent que très peu ces concentrations. On estime donc au final que entre 3 et 23 milliards de particules microplastiques sont rejetées chaque jour aux USA dans les effluents des stations d’épuration. Tour ceci confirme donc bel et bien que les stations d’épuration sont des sources majeures de microplastiques. Dès lors que l’on va utiliser les effluents comme source d’engrais pour les terres agricoles, on va transférer toute cette pollution de microplastiques vers les sols agricoles. 

Vers les champs 

Source : site France3/régions

Dans de nombreux pays européens, dont la France, depuis des décennies, on a entrepris de « valoriser » soit les effluents (liquides) sortant des stations d’épuration pour l’irrigation par exemple, soit les boues résiduelles. Celles ci sont utilisées dans les champs cultivés comme engrais soit sous forme liquide, soit sous forme solidifiée après séchage, pasteurisation et souvent compostage avec des déchets végétaux (dont du bois). On voit donc fleurir dans les paysages agricoles intensifs ces grands tas de « faux-compost » noir épandus généreusement dans les cultures. Il s’agit d’un système économiquement très avantageux car cela diminue considérablement le coût d’élimination de ces boues qui, autrement, doivent être incinérées. En europe et aux USA, 50% des boues d’épuration sont récupérées pour un usage agricole.

Boues résiduelles dans une station d’épuration

Or, même avec des traitements de filtration de type tertiaire, 90% des microplastiques sont retenus dans les boues résiduelles : l’efficacité de rétention des microplastiques dépend de la taille et de la densité des particules (plus elles sont lourdes, mieux elles vont sédimenter dès le  premières phases de traitement) ; les particules les plus petites et les plus légères (et les plus nocives !) ressortent quant à elles sans avoir été piégées.  On épand sur les sols des cultures un concentré de microplastiques issus des milieux urbains. Dans les régions économiquement développées, les stations d’épuration collectent les eaux usées des habitants (voir ci-dessus) mais aussi des effluents industriels et même le ruissellement urbain diffus. On y retrouve donc de nombreux microplastiques issus des routes via l’usure des pneus des véhicules, des poussières ménagères et des eaux de lessive (dont des fibres), de traitements industriels des plastiques (grenaillage et ébarbage) et des résidus d’usure des surfaces faites ou enrobées de plastiques comme les gazons artificiels ou les peintures polymérisées. Tout ce beau petit monde invisible se retrouve donc étalé sur les sols des champs cultivés ; leur taille infime leur permet même « d’entrer » dans les plantes et de les contaminer ou dans les vers de terre qui se trouvent aux premières loges et sont impactés directement au niveau de leur reproduction. Déjà que la vie du sol subit les assauts incessants des pesticides … ! 

Sympathique d’apparence, n’est-ce pas ?

Vertige  

Sur un tas de « compost » agricole

Ainsi, des tapis de bombes à microplastiques (bombes à fragmentation) pleuvent depuis des années sur nos cultures et personne ou presque n’en parle ni ne s’en soucie. Des lois imposent des contrôles (efficaces ?) sur le contenu en métaux lourds et en certaines substances de ces boues mais aucune réglementation européenne ne mentionne les microplastiques. Ainsi, tout va bien : comme on ne les cherche pas vraiment, on fait comme si il n’y en avait pas ! Et pourtant Les évaluations chiffrées de ces apports sur les terres agricoles faites en 2017 (3) donnent le vertige et aussi beaucoup d’angoisse.

En Europe, on estime qu’entre 1270 et 2130 tonnes de microplastiques/million d’habitants sont libérées annuellement au niveau des environnements urbains et pour une bonne part canalisés dans les eaux usées vers les stations d’épuration. Compte-tenu des taux de rétention évoqués ci-dessus, entre 250 et 1700 tonnes/ million d’habitants se retrouvent donc dans les boues résiduelles. Une partie d’entre elles vont donc être orientées vers les terres agricoles et même vers les jardins des particuliers puisque désormais les stations organisent des distributions gratuites de ce « bon terreau écologique » !!! Inconscience et irresponsabilité ! Il semblerait même que l’on ait le droit de l’utiliser en agriculture biologique ? De quoi vous laisser pantois ! 

Une extrapolation grossière à l’échelle européenne donne une entrée annuelle de 63 000 à 430 000 tonnes de mciroplastiques annuelles sur les terres agricoles ce qui dépasse largement la charge totale accumulée par les eaux de surface des océans estimée entre 93 000 et 236 000 tonnes. La pollution plastique des sols (quasi invisible et « enterrée ») dépasse donc très nettement la pollution plastique des océans très visible et médiatisée. 

Les statistiques quant à l’usage agricole varient beaucoup d’un pays à l’autre : ainsi, en France, le taux d’application moyen serait de 20 à 30 kg de boues/hectare et par an ; pour une fois, nous ne sommes pas les champions puisqu’au Royaume-Uni, ce taux atteint … 70 kg/ha/an. 

Sols textiles ! 

Parmi ces microplastiques innombrables et très variés, les fibres majoritairement issues des textiles, sont désormais utilisées comme marqueurs ou indicateurs d’épandages de boues d’épuration. Nous avons vu que ces fibres infimes abondent dans les effluents (premier paragraphe) et on les retrouve donc tout naturellement (!!) dans les analyses des carottages de sols agricoles. On les extrait avec l’eau et on les examine et on les compte en utilisant des microscopes à lumière polarisée. Des études conduites en 2005 montrent que cinq ans après l’épandage de boues (liquides ou solides), on détecte des fibres dans les sols et elles ont conservé entièrement les caractéristiques qu’elles avaient lors de l’épandage. Même quinze ans après, elles restent détectables et toujours inchangées. Autrement dit, nous faisons là un formidable legs aux générations futures (et à la nôtre pour les pas trop vieux !). A cette occasion, on a aussi noté que les concentrations de ces fibres suivaient le gradient de concentrations des métaux lourds résiduels introduits aussi avec les boues. Ah, la solidarité des polluants ! Ces fibres se concentrent au sein des parcelles là où il y a des écoulements et/ou dans des couches de sol (horizons) situées nettement en dessous de la couche de surface mélangée par le travail agricole. Ceci indiquerait donc une certaine translocation de ces microplastiques en profondeur. Un beau marqueur futur de l’Anthropocène au niveau des sols.

Notons que tous ces microplastiques, fibres ou autres, s’ajoutent aux fragments issus par ailleurs des plastiques abandonnés lors des activités agricoles directes (déchets du type sacs d’engrais, bâches, plastiques de paillage, ..) qui finissent par se fragmenter et se pulvériser en macro-fragments avant de devenir eux aussi des microplastiques. 

Pollution globale 

Reste la question finale qui intéresse les humains (tant pis pour la biodiversité ?) : est-ce grave, docteur ? L’évaluation des risques potentiels pour la santé humaine reste très difficile tant ce problème a été ignoré jusqu’à très récemment. Cependant, on sait que ces microplastiques peuvent potentiellement impacter les sols, les cultures et le bétail soit directement soit via les substances toxiques ajoutés lors de la fabrication des plastiques : ce sont par exemple des paraffines chlorées à chaînes courtes à moyennes ou des agents plastifiants pouvant représenter jusqu’à 70% du poids des plastiques. Parmi elles figurent les sinistres perturbateurs endocriniens comme les bisphénols ou des produits bromés qui servent de retardants au feu et peuvent représenter jusqu’à 3% du poids des plastiques. De plus, les plastiques polymérisés eux-mêmes, du fait de leur structure chimique en chaînes longues, tendent à fixer et accumuler d’autres polluants dangereux persistant dans l’environnement tels que PCBs, dioxine, DDT et PAH. 

Il est frappant de voir que ces transferts de microplastiques à très grande échelle des eaux usées urbaines vers les terres agricoles n’ont pas été considérés auparavant ni par les législateurs ni même par les scientifiques. On ne dispose de pratiquement aucune étude sur l’échelle de contamination des sols mais d’ores et déjà tout indique que les terres agricoles pourraient être l’un des réservoirs majeurs de microplastiques sur terre. 

Bibliographie

Microplastics as an emerging threat to terrestrial ecosystems. Anderson Abel de Souza Machado et al. Glob Chang Biol. 2018 April ; 24(4): 1405–1416. 

Microplastic pollution is widely detected in US municipal wastewater treatment plant effluent. Sherri A. Mason et al. Environmental Pollution (2016) 1-10 

Are Agricultural Soils Dumps for Microplastics of Urban Origin? Luca Nizzetto, Martyn Futter, and Sindre Langaas Environ. Sci. Technol. 2016, 50, 10777−10779 

Synthetic fibers as an indicator of land application of sludge. Kimberly Ann V. Zubris, Brian K. Richards Environmental Pollution 138 (2005) 201-211