Auprès de mon arbre,

Je vivais heureux,

J’aurais jamais dû m’éloigner d’ mon arbre…

Auprès de mon arbre,

Je vivais heureux,

J’aurais jamais dû le quitter des yeux…

Qui n’a pas fredonné ces paroles de la célèbre chanson de G. Brassens ? Ce refrain pourrait fort bien se transposer aux feuilles mortes en automne : si elles tombent au pied de « leur » arbre (ou tout au moins au pied d’un arbre de la même espèce), elles se décomposeraient plus vite qu’au pied d’un arbre d’une autre espèce ! Et comme chacun le sait, bien se décomposer, c’est le rêve de toute feuille morte … pour mieux nourrir le sol qui lui a permis de se développer sur son arbre l’espace d’une saison !

Pour revenir à des considérations moins poétiques et plus scientifiques, tournons-nous vers les spécialistes de l’écologie des sols qui nomment ce phénomène d’un terme anglo-saxon Home-Field Advantage (H.F.A.) qu’on pourrait traduire trivialement par « l’avantage du chez soi ».

Des sacs de litière et des couples d’arbres

Pour étudier la décomposition des feuilles mortes, le protocole type consiste à placer une quantité de feuilles mortes fraîchement tombées dans un sac à mailles fines qui laisse passer les acteurs de la décomposition réunis sous les termes généraux de « flore » du sol (bactéries, champignons, …) et de « faune du sol » (nématodes, lombrics, arthropodes, …). On enfouit ces sacs dans la litière en forêt et on mesure au bout d’un certain temps la perte de masse due à la décomposition.

Pour tester l’hypothèse de « l’avantage du chez soi », on procède à des transferts réciproques par couples d’espèces : on prend des feuilles mortes d’une espèce A et on les place sous un arbre de l’espèce B et réciproquement. Une étude menée par une équipe américaine a fait la synthèse de 35 expériences de ce type, conduites un peu partout dans le monde.

L’effet du « chez soi » est bien réel

Sur les 35 « couples » d’arbres ainsi testés, dans 77% des cas on note une stimulation de la décomposition (la masse de feuilles diminue plus vite) quand les feuilles mortes se trouvent sous l’espèce d’arbre qui les a produites. Le gain moyen de décomposition est de 8% avec des valeurs dépassant 10% dans 34% des couples. Dans les cas moins nombreux où au contraire la décomposition s’avère moins rapide sous « son » arbre, l’effet est moins fort et se situe toujours en dessous de 10%.

Il y a donc bien un « avantage au chez soi » pour la décomposition des feuilles mortes des arbres.

Pour expliquer ce phénomène, on peut invoquer une certaine spécialisation de la faune et de la flore des décomposeurs : la forme, la surface et la composition chimique des feuilles varient beaucoup d’une espèce d’arbre à l’autre ce qui suppose des capacités différentes de la part des décomposeurs pour digérer les feuilles. On peut donc supposer que pour chaque espèce d’arbre il existerait une communauté optimale de décomposeurs, résultat de la pression de sélection naturelle : une meilleure décomposition de la litière avantage en effet en retour l’arbre qui récupère une partie des nutriments minéraux libérés.

Ce constat soulève plusieurs questions annexes. Selon qu’un boisement sera fait d’une seule espèce (auquel cas, les feuilles mortes tombent systématiquement au pied de leur espèce) ou de nombreuses espèces différentes (et là la répartition des feuilles mortes devient beaucoup plus aléatoire), l’évolution du sol ne sera pas la même. Si on modifie le peuplement en favorisant une seule espèce, on va modifier la composition du sol ! Les trouées naturelles suite à des tempêtes par exemple doivent faciliter la dispersion des feuilles mortes par le vent et donc augmenter la probabilité qu’’elles se retrouvent en dehors de « leur » arbre ? Enfin, avec le réchauffement climatique, les communautés de décomposeurs du sol vont être affectées : l’effet « avantage du chez soi » serait annulé si les changements sont importants ? …. Autant de questions à méditer quand vous parcourrez la forêt en traînant les pieds dans les tapis de feuilles mortes pour profiter du bruissement !

feuilles-mortes-hetraie

Hêtraie pure de moyenne montagne : une seule espèce d’arbre donc un maximum de chances pour les feuilles mortes d’atterrir sous « leur » espèce.

BIBLIOGRAPHIE

Home-field advantage accelerates leaf litter decomposition in forests. 
Edward Ayres, Heidi Steltzer, Breana L. Simmons, Rodney T. Simpson, J. Megan Steinweg, Matthew D. Wallenstein, Nate Mellor, William J. Parton, John C. Moore, Diana H. Wall. Soil Biology & Biochemistry 41 (2009) 606–610

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