28/05/2020 Son nom à lui seul donne envie de faire connaissance avec cette petite plante assez commune y compris dans des milieux urbanisés mais très discrète du fait de son port couché et de ses minuscules fleurs pourtant fort mignonnes ! 

Mini gratteron 

Au premier regard (mais encore faut-il qu’il soit accroché !), la rubéole non fleurie évoque irrésistiblement une plante très commune et bien connue pour ses propriétés « accrochantes » (voir la chronique), le gaillet gratteron : comme lui, elle a des tiges à quatre angles qui portent des feuilles raides, étroites et allongées, terminées par un mucron, bordées de soies rudes et surtout regroupées par étages (verticillées) de 5 à 6 ; celles de la base des tiges sont plutôt par 4 mais se dessèchent assez vite. Cette ressemblance n’est pas fortuite car la rubéole appartient à la même famille que les gaillets, les Rubiacées, aux côtés (pour notre flore) des garances, des aspérules ou des crucianelles. Par contre, contrairement au gratteron, ses tiges qui portent des soies courtes et ont des bords rugueux n’ont pas de crochets qui les rendent « collantes ». D’autre part, sa stature n’a rien à voir : il s’agit certes aussi d’une plante annuelle mais très basse, en touffes étalées, ramifiées, couchées ou redressées : la gamme moyenne des tailles se situe entre 5 et 10cm, donc très près du sol ; dans certains sites très favorables elle peut atteindre au grand maximum 40cm : rien à voir donc avec les tiges exubérantes de plusieurs mètres du gratteron ! Elle émerge en hiver sous forme d’une plantule qui élabore une rosette étalée avant de se ramifier et de s’étaler. 

Fleurs de gaillet 

La floraison printanière (mars-juin) et qui se prolonge ou reprend en automne jusqu’en novembre apporte une nouvelle confirmation de la parenté avec les gaillets : des petites fleurs à corolle en entonnoir en long tube (mais caché dans l’involucre) terminée par quatre lobes étalés en croix ; quatre étamines sortent à la gorge du tube avec un style filiforme à deux branches inégales. Par rapport aux gaillets, tous à fleurs blanches ou jaunes, elles se différencient facilement par leur jolie teinte rose lilas clair très délicate ainsi que la présence sous la corolle d’un calice formé de plusieurs pointes velues (très peu visible).

On ne retrouve cette teinte dans la famille que chez certaines aspérules comme l’herbe à l’esquinancie avec des fleurs dotées d’un très long tube et plus blanches que rose (avec la gorge rose). 

Ces fleurs se regroupent plus ou moins au sommet des rameaux, sous-tendues par une sorte de collerette (involucre) formée d’une dizaine de feuilles transformées (bractées) rudes sur les bords et partiellement soudées à leur base. En fait, elles sont disposées en inflorescences dichotomiques mais très contractées ce qui donne l’apparence de bouquets serrés. Leur petite taille les rend peu attractives et elles ne sont guère visitées que par des mouches et moucherons. Par contre, une plante donnée peut en produire des centaines sur l’ensemble de ses tiges ramifiées et étalées. 

Mouche visitant des fleurs de rubéole

Au sein de la famille des Rubiacées, la rubéole ne s’apparente pas étroitement aux gaillets ni aux aspérules mais aux crucianelles dont une espèce asiatique très cultivée en plates-bandes, le « lilas de terre » (Phuopsis stylosa), une plante tapissante aux superbes inflorescences en pompons rouge vif et qui dégage une puissante odeur comparable à celle d’un renard ! 

La rubéole est la seule espèce de son genre ce qui souligne une certaine originalité. Son nom de genre Sherardia (parfois retranscrit en shérardie, … pas facile à dire !) lui a été attribué en mémoire de deux botanistes anglais du 17ème siècle : John et William Sherard, le second étant professeur émérite à l’université d’Oxford. 

Diakènes 

Les fleurs fécondées donnent des fruits secs typiques de la famille : ce sont des fruits simples réduits à une graine (akènes) groupés par deux en diakène comme chez le gratteron ; leur taille minuscule (moins de 4mm) les rend difficiles à observer surtout au milieu des involucres feuillés. Là encore, comme pour les feuilles, ils ne sont pas armés de crochets mais conservent autour d’eux le calice desséché qui s’allonge en une couronne de 3 dents persistantes. 

Fruits doubles avec le calice persistant à pointes, au coeur de l’involucre

Ce calice persistant (dit accrescent) doit jouer un rôle dans la dispersion en servant de dispositif d’accrochage sous les sabots du bétail ou les chaussures des humains (notamment dans les environnements urbains) ; dans les cultures qu’il fréquente, les travaux agricoles avec retournement du sol participent à sa dispersion. Les graines persistent longtemps dans la banque de graines du sol si bien que la plante peut réapparaître après une longue éclipse à la faveur de remaniements des sols. La dispersion semble assez efficace car d’une part génétiquement les populations souvent éparses et disjointes montrent des signes d’échanges entre elles et d’autre part, cette espèce modeste et non cultivée s’est propagée dans de nombreux pays hors de son aire originelle du bassin méditerranéen comme aux USA ; elle est devenue subcosmopolite. 

Ubiquiste 

La rubéole est présente dans toute la France jusqu’à 1200m d’altitude mais se montre plus rare et localisée dans le tiers nord. Ses exigences par rapport aux sols sont assez larges : indifférente à l’acidité des sols et à leur texture, elle préfère des sols secs bien drainés, souvent avec une composante sableuse (plante psammophile) et un certain niveau d’enrichissement en éléments nutritifs. Il lui faut des sites ouverts avec une végétation basse ou clairsemée et bien exposés ce qui traduit ses origines méditerranéennes. Elle reste assez commune mais toujours en petites populations très locales dans lesquelles elle peut être très abondante : disons que c’est une espèce que l’on croise régulièrement mais pas souvent sur une année donnée ! 

A partir de ce « cahier des charges écologiques », la rubéole peut coloniser des milieux très diversifiés, presque toujours perturbés à un certain degré par les activités humaines. On la trouve donc dans les friches basses, sur les remblais, les talus secs, les bords des chemins, les accotements ras, les allées des cimetières, les jachères, les bords des champs de céréales, les vignes, les prés très pâturés, … Avec l’intensification agricole, elle semble régresser dans les milieux directement impactés par celle-ci comme cela a été montré en Grande-Bretagne. Par contre, elle trouve de plus en plus refuge dans les gazons et pelouses mal entretenues (et c’est tant mieux !) jusqu’au cœur des villes où elle profite des tontes répétées pour s’étaler à souhait sans subir la concurrence des hautes herbes. Ainsi, de nombreux citadins ont du ou doivent sans le savoir s’allonger régulièrement sur des tapis de rubéoles dans les espaces verts des villes ! 

Ces liens assez étroits avec l’Homme laissent à penser qu’il doit s’agir d’une plante archéophyte, i.e. une espèce qui s’est adaptée aux environnements humains depuis l’époque préhistorique avec l’avènement de l’agriculture. Par contre, elle n’a que très peu attiré l’attention des hommes faute de propriétés médicinales significatives ; le seul usage qu’on lui connaisse concerne ses racines un peu charnues utilisées pour teindre les tissus en rouge. Cette propriété n’a rien d’étonnant quand on se rappelle que parmi ses proches cousines figurent les garances dont la célébrissime garance tinctoriale, l’une des trois plantes tinctoriales clés autrefois (avec le pastel et la gaude). Cependant, la couleur obtenue n’avait rien de comparable à celle obtenue avec la garance ce qui n’a rien de surprenant pour une plante annuelle de taille modeste. D’ailleurs, pour les anglo-saxons, la rubéole s’appelle la garance des champs (field madder).

Bibliographie

Flora Gallica ; Flora vegetativa ; Flore d’Ile-de-France ; Flore des champs cultivés ; Flore de la France méditerranéenne continentale ; Atlas de la flore d’Auvergne.