Upupa epops

Et en plus, elle est très belle !

23/01/2022 Quiconque a entendu au moins une fois le chant de la huppe ne pourra plus l’oublier tellement il est à la fois simple mais singulier avec une sonorité étrange et envoutante. On peut le retranscrire par l’onomatopée houp-houp-houp dans sa version la plus fréquente et on l’entend au début du printemps partout où niche cet oiseau. Ce chant fait partie des repères sonores de nos campagnes au même titre que le chant du coucou, du merle noir ou de l’alouette des champs ou le babil des hirondelles rustiques. Comme tous les chants d’oiseaux, il intervient comme signal de communication en période de reproduction. Une équipe de chercheurs espagnols a longuement étudié la structure de ce chant, ses variations et surtout son rôle déterminant dans la vie sexuelle de ces oiseaux. 

Onomatopées 

Gravure du 16ème avec divers noms

Ce chant est tellement particulier et impossible à confondre qu’il a attiré l’attention de l’Homme dès l’Antiquité (et sans doute bien avant !) et a orienté le choix des noms vernaculaires, scientifiques et populaires de cet oiseau. Commençons par le nom latin Upupa epops créé par Linné en 1758. Upupa a un double sens : il signifie d’une part huppe, le nom français de l’oiseau, qui renvoie à la présence effective sur la tête de l’oiseau d’une huppe mais il correspond en même temps à l’onomatopée du chant car il se prononce oupoupa. Qui plus est l’épithète accolé, epops, avait été proposé par Aristote et serait lui aussi une onomatopée du chant, se prononçant épopoï en grec. Cette prééminence de l’onomatopée du chant se retrouve dans une partie des surnoms populaires de la huppe : boubouboutboutpupule ou pupute (avec en plus là une connotation de puante liée à l’odeur forte des poussins au nid). Dans de nombreux autres pays, on retrouve la même chose : hoopoe en anglais, hop en hollandais ; puput en catalan, poupa en portugais, … 

La huppe se dresse et se déploie quand l’oiseau est inquiet

La huppe n’est pas un passereau comme pourrait le laisser penser sa taille relativement modeste (30cm). Elle se classe au sein de l’ordre des Bucérotiformes (ou dans l’ordre des Piciformes élargi) dans la petite famille des Upupidés (4 espèces très proches), elle-même apparentée aux deux familles qui englobent les Calaos. Les huppes possèdent divers caractères originaux dont la huppe de plumes érectiles sur la tête ou le long bec courbé et fin. 

En France, la huppe fasciée est répandue dans les trois-quarts sud du pays. Elle habite une large gamme de milieux ouverts à semi-ouverts avec des étendues herbacées basses où elle cherche sa nourriture au sol (grillons, sauterelles, courtilières, bousiers, chenilles, …) : bocages, vergers, vignobles, milieux agricoles extensifs, coupes et lisières forestières, prairies bocagères, … Présente de mars à septembre, elle tend de plus en plus à hiverner dans le tiers sud du pays avec le réchauffement global. Elle niche dans des trous d’arbres ou des cavités dans des murs et adopte volontiers les nichoirs adaptés à sa taille. Chaque couple occupe un grand territoire si bien que la densité reste toujours assez faible et cette espèce connaît un net déclin du fait notamment de l’intensification agricole et des transformations radicales des paysages. 

Elle chasse les petits arthropodes au sol dans la végétation herbacée ; ici, dans une pelouse d’un lotissement

Strophe 

Comme chez la majorité des oiseaux chanteurs, seuls les mâles chantent. En termes de structure, le chant de la huppe reste d’une grande simplicité. Un épisode de chant consiste en une longue série (pouvant durer jusqu’à vingt minutes d’affilée) de strophes séparées par des silences. Chaque strophe se compose de deux à six éléments identiques répétés : houp houp houp … Difficile à localiser par son timbre doux, ce chant n’en porte pas moins assez loin à l’oreille humaine. Le ton des éléments qui composent la strophe ne varie entre strophes d’un mâle donné ce qui donne une impression lancinante très régulière. 

Vous pouvez écouter des dizaines d’enregistrements différents de huppes sur le site Xeno-canto : suivre ce lien. 

La durée des strophes successives d’un mâle varie peu. Par contre, on observe des variations dans le nombre d’éléments (les houp) de la strophe pour un mâle donné et d’un mâle à l’autre ; autrement dit, la longueur de la strophe varie. La majorité des mâles utilisent des strophes incluant deux à trois éléments (strophes courtes) mais pour certains ce nombre passe à trois à quatre, voire jusqu’à six (strophes longues). Un mâle donné, sur une saison de reproduction, n’utilise que deux longueurs précises de strophes. 

Certains mâles diminuent la longueur moyenne de leurs strophes après par exemple un échec de la reproduction ou, pour les mâles non appariés, après avoir passé plusieurs jours à chanter intensément. Donc, la longueur des strophes n’est pas figée pour un individu et peut évoluer selon les circonstances ; d’autre part, cela montre que chanter impose une certaine dépense d’énergie et qu’émettre des strophes longues est plus coûteux à cet égard que de faire des strophes courtes. Une autre observation confirme ce dernier point : quand un mâle chante avec des strophes longues, les pauses entre chants sont plus longues que lorsqu’il chante « court ». Il semble donc que la longueur des strophes reflète l’état physique et physiologique général du mâle chanteur ; autrement dit, il s’agit d’un signal porteur d’une information permettant aux autres huppes d’apprécier l’état général du chanteur, sous réserve qu’elles soient capables de faire la distinction entre strophes courtes et longues. Or, le chant est intimement lié à la reproduction en servant de signal de communication sexuelle (au même titre que les couleurs du plumage ou les comportements de parades par exemple) adressé soit aux femelles (signal intersexuel), soit aux autres mâles (signal intrasexuel). Le chant des mâles, à ce titre, va donc subir de fortes contraintes de sélection en étant directement associé au succès reproductif déterminant pour le maintien de l’espèce : il s’inscrit donc dans le processus bien connu dit de la sélection sexuelle, une variante particulière de la sélection naturelle, moteur de l’évolution des espèces. La simplicité du chant de la huppe en fait une espèce modèle pour étudier les effets de la sélection sexuelle sur ce signal sonore. 

Pass sexuel 

On peut installer des nichoirs à huppe ; site LPO (voir bibliographie)

La question centrale dans ce contexte est donc : comment un même signal simple, ne variant que par le nombre d’éléments de la strophe, réussit-il à être efficace à la fois dans les interactions entre mâles (intrasexuelles) et dans celles avec les femelles (intersexuelles) ? Les investigations des chercheurs espagnols se sont appuyées sur deux techniques d’études classiques en ornithologie. D’une part, ils ont posé des bagues de couleurs sur des jeunes huppes au nid ce qui permet ensuite de suivre individuellement ces oiseaux, chacun d’eux étant porteur d’un jeu de couleurs différent ; un outil décisif dans le contexte reproductif qui permet entre autres d’associer un chant donné à un mâle « fiché ». D’autre part, outre l’écoute et l’enregistrement des chants spontanés des mâles, ils utilisent la technique de la repasse qui consiste à enregistrer des chants ou à en mixer plusieurs de manière à composer des strophes de longueur inhabituelle et à diffuser ces chants enregistrés via un haut-parleur à proximité d’individus bagués dont on connaît donc le statut reproductif et de voir leurs réactions. Ainsi, on peut interpréter l’effet des différentes longueurs de strophes et expérimenter en situation naturelle, sur les territoires des oiseaux nicheurs. On veille à utiliser des enregistrements de huppes d’un autre secteur pour éviter les effets de reconnaissance individuelle éventuels. 

Diverses observations avec ce protocole précisent ainsi le rôle du chant. On constate que les mâles appariés réduisent très fortement leurs chants spontanés et leurs réactions à la repasse (voir ci-dessus) dès lors que les femelles commencent à pondre et passent donc un certain temps dans la cavité du nid. 

Quand un mâle chante près du site de nid, quand la femelle arrive, il cesse de chanter. Donc, le chant ne sert pas au mâle à garder sa femelle vu qu’il arrête presque de chanter alors que la femelle est encore fertile puisque la ponte n’est pas terminée. Comme il nourrit la femelle au nid en allant chercher souvent assez loin de grosses proies, il ne peut assurer cette garde ; au retour, par contre, il sollicite souvent un accouplement. La forte intensité de chant avant la ponte par contre indique clairement qu’il s’agit d’un signal intersexuel fort destiné à attirer les femelles ; d’ailleurs, parfois, les mâles appariés ayant perdu de vue un instant leur femelle se mettent à chanter. 

Deux notes de plus et …

La huppe habite aussi les zones périurbaines si elle y trouve des pelouses riches en insectes

Les mâles cantonnés en début de printemps peuvent être classés en deux catégories : ceux qui émettent des chants avec des strophes longues de 3-4 éléments (que nous appellerons trivialement mâles « longs ») et ceux qui émettent des chants à strophes courtes de 2-3 éléments (mâles « courts »). Grâce à la reconnaissance individuelle avec les bagues colorées et au suivi détaillé des nichées, les chercheurs ont ainsi pu comparer le succès reproductif de ces deux catégories de mâles ; on se situe donc là dans le domaine intersexuel.

Les femelles appariées avec des mâles « longs » pondent plus tôt, produisent des pontes plus importantes et effectuent une seconde ponte après la première réussie bien plus souvent statistiquement que les femelles avec des mâles « courts ». Les mâles « longs » produisent plus de jeunes à l’envol sur l’ensemble d’une saison : cet effet surprenant à première vue résulte en fait d’un plus fort investissement de ces mâles dans le nourrissage des jeunes dans la seconde phase de leur élevage quand ils nécessitent plus de proies plus grosses plus difficiles à récolter. Les femelles appariées avec de tels mâles tirent donc des bénéfices directs de leur choix dans la mesure où elles ont un meilleur succès reproductif. Ces résultats soutiennent donc largement l’hypothèse que la longueur de la strophe constitue un signal sexuel qui indique la qualité globale du mâle à assurer un succès reproductif optimal. On parle de signal honnête, i.e. ne pouvant faire l’objet de tricherie dans la mesure où pour émettre des chants longs, il faut être en très bonne condition physique vu le surcoût énergétique requis. Cet effet ne dépend pas de l’âge des mâles : ce n’est pas une histoire d’expérience accumulée (comme chez certains grands rapaces) mais uniquement une histoire de condition générale. 

Pour tester le pouvoir attractif des chants sur les femelles, l’usage de la repasse avec des chants artificiellement rallongés permet de démontrer que les femelles sont plus attirées par les chants longs. Ainsi, dans des expériences de diffusion simultanée par deux haut-parleurs espacés de cent mètres, l’un diffusant un chant long et l’autre un chant court, sur les quinze femelles ayant réagi, une majorité significative se rapproche du haut-parleur émetteur de chants longs. 

Les chercheurs ont poussé très loin l’étude des conséquences des longueurs différentes de chants en s’intéressant à la paternité réelle des jeunes produits au sein d’un couple. En effet, de nombreux mâles n’ayant pas réussi à former un couple, (des non-nicheurs) cherchent à solliciter des accouplements auprès de femelles appariées en cours de ponte. Par des analyses ADN à partir de prélèvements sanguins des jeunes des nichées suivies (et dont le père potentiel était connu), ils ont montré que 1 couvée sur 10 renferme des jeunes issus d’un père biologique extérieur au couple ; ceci touche 7,7% des poussins. Les mâles non-nicheurs vont jusqu’à « aider » la femelle à nourrir ses jeunes et à les défendre contre des prédateurs pour solliciter des accouplements. Or, les mâles « longs » ne sont jamais touchés par ces « débordements extra-conjugaux » alors que 25% des mâles « courts » le sont ; mais les chercheurs tempèrent ce résultat car ils l’ont obtenu sur quelques cas seulement. Par contre, la longueur des strophes est bien corrélée positivement avec le nombre de jeunes à l’envol par saison et issus des gènes du père. Là encore, la moindre condition physique des mâles « courts » peut expliquer qu’ils ne réussissent pas à surveiller suffisamment leur territoire et impressionnent peut-être moins ces non-nicheurs.  

Entre mâles 

Il reste maintenant à explorer comment ça se passe dans le domaine intrasexuel, i.e. dans les interactions entre mâles. On peut penser que le signal « longueur de la strophe » permet aussi d’informer les mâles rivaux de la condition physique de l’émetteur ou de sa motivation, voire à le reconnaitre individuellement. Là encore, l’utilisation de la repasse au magnétophone a permis d’explorer si la longueur de la strophe émise par un mâle reflète ses capacités de compétition avec les autres mâles au moment de la délimitation des territoires et de la constitution des couples. Les chercheurs ont suivi des mâles bagués au printemps et mesuré la longueur moyenne de leurs chants spontanés : ainsi, ils ont pu sélectionner des mâles « longs » et des mâles « courts ». Après la ponte du premier œuf par la femelle de chaque mâle, ils les soumettent à « l’épreuve de la repasse » : quand le couple est occupé à se nourrir au sol ou se tient non loin du nid, on diffuse avec un haut-parleur à 50-80m de distance un chant artificiel long et on observe si le mâle réagit en s’approchant du haut-parleur et s’il se met à chanter (alors que nous sommes maintenant dans une phase où ils ne chantent presque plus). 

Les mâles « courts » chantent mais ne s’approchent pas alors que les mâles « longs » s’approchent fortement du haut-parleur « pour en découdre » et chantent. Ceci correspond, en situation naturelle, à un prélude à un affrontement direct à risque car souvent cela dégénère en combat en vol à coups de bec ; des oiseaux éborgnés ont ainsi été observés suite à de telles rixes ! Donc, là encore, les mâles « longs » forts de leur meilleure condition physique, se risquent à attaquer l’intrus ; il se peut qu’ils aient un taux moyen d’hormones sexuelles plus élevé ? Les mâles qui s’approchent ainsi sont ceux dont la longueur des strophes se rapproche le plus de celle émise ou lui est supérieure : ceci suggère qu’ils sont capables de percevoir cette longueur et d’estimer la probabilité de gagner le combat et donc de prendre ce risque. 

Au final, on voit donc que la longueur de la strophe est un signal sexuel honnête à fonction duelle chez la huppe : l’évolution de ce caractère résulte des pressions de sélection tant du côté du choix des femelles que de la compétition entre mâles. Ce signal informe les mâles rivaux sur la force physique et/ou l’agressivité de l’émetteur et les femelles détectent ainsi les mâles en bonne condition physique, susceptibles de leur assurer un meilleur succès reproductif. Parions que désormais, quand vous écouterez de nouveau le chant de la huppe, vous ne pourrez pas vous empêcher de compter le nombre de houp par strophe et de vous dire « ah, tiens un mâle long ! Une manière de devenir un peu huppe ! Et n’oubliez pas de fermer les yeux pour vous imprégner de l’effet apaisant de ce chant si particulier. 

Huppe sur son poste de chant : un cerisier mort

Bibliographie 

Strophe Length in Spontaneous Songs Predicts Male Response to Playback in the Hoopoe Upupa epopsManuel Martin-Vivaldi, Jose J. Palomino & Manuel Soler. Ethology 110, 351—362 (2004) 

Extrapair paternity in the Hoopoe Upupa epops: an exploration of the influence of interactions between breeding pairs, non-pair males and strophe length MANUEL MARTÍN-VIVALDI et al.  Ibis (2002), 144, 236–247 

Attraction of hoopoe (Upupa epops) females and males by mean of song playback. Influence of strophe length. MartinVivaldi, M., Palomino, J.J.&Soler,M.2000. J. Avian Biol. 31, 351—359. 

Song strophe length and reproductive success in the Hoopoe (Upupa epops). Martin-Vivaldi, M., Palomino, J. J., Soler, M. & Martinez, J. G. 1999 Ibis 141, 670—679.

Function of song in the Hoopoe (Upupa epops). Martin-Vivaldi, M., Palomino, J. J. & Soler, M. 1999 Bird Study 46, 104—111.   

Song structure in the Hoopoe (Upupa epops) – Strophe length reflects male condition. Martin-Vivaldi, M., Palomino, J. J. & Soler, M. 1998 J. Ornithol. 139, 287—296.

Site Xeno-canto

Site LPO : catalogue en ligne