La sécheresse remarquable de cette année 2019 qui n’aura bientôt plus rien d’exceptionnel a provoqué de gros dégâts dans les cultures intensives irriguées notamment. Et immédiatement, on a vu surgir dans les médias « la » solution imparable à ce genre de problème : créer des bassins de retenue d’eau que l’on remplirait en hiver car, comme le claironnent si bien certains représentants du monde agricole, aussitôt relayés par le Ministère de l’Agriculture : « l’eau qui tombe en hiver part dans les rivières et est de toutes façons perdue ». Ah bon ! Perdue pour qui ? Sûrement pas pour l’environnement et notamment les nappes souterraines alimentées indirectement par les cours d’eau et quid des surfaces stérilisées pour en faire des bassins et du coût énergétique de ces structures ? Bref, avant même d’avoir réfléchi à moyen terme, on se rue sur une solution qui consiste à continuer comme avant, tête baissée : gaspiller l’eau à outrance et surtout ne rien changer dans les pratiques de culture. Or, il existe de nombreuses alternatives efficaces à la collecte et au stockage d’eau en agissant de manière raisonnée sur le trio indissociable infiltration/ruissellement /sol : au lieu de courir après l’eau, tout faire pour que celle qui tombe soit efficace et exploitable pour les cultures. Ces alternatives existent depuis longtemps dans les pays semi-arides mais peuvent s’appliquer tout à fait dans notre nouveau contexte de crise climatique. Evidemment, cela suppose quelques changements dans les mentalités et dans les choix des espèces cultivées et surtout d’arrêter a minima les pratiques destructrices qui se poursuivent sans vergogne. Dans cette première chronique, nous allons détailler les processus de l’infiltration et du ruissellement en lien avec la problématique de la sécheresse ; dans une chronique à venir, nous traiterons de l’application de ces connaissances pour proposer des modes de gestion durables permettant d’affronter la sécheresse. 

Eau/sol 

Dans le monde, les hommes consomment directement pour leurs besoins quotidiens 7% de l’eau des rivières, lacs ou nappes souterraines exploitées, l’industrie 24% … et l’agriculture 69% ! Rien d’étonnant puisque l’eau reste le besoin principal des végétaux cultivés et aussi des animaux d’élevage. On voit donc d’emblée l’enjeu considérable à l’échelle planétaire de tout mettre en œuvre pour exploiter au maximum directement les précipitations même si elles sont irrégulières et parcimonieuses. Face à ce challenge démesuré, il faut donc utiliser le peu de pluie disponible le plus efficacement possible ; deux options se présentent et qui ne s’excluent pas mutuellement : soit récolter le ruissellement et le stocker ou le canaliser vers les parcelles cultivées, soit stimuler l’infiltration de l’eau dans les sols cultivés et optimiser sa rétention pour qu’elle puisse être prélevée par les cultures en croissance. Nous allons donc ici évoquer la seconde piste car la première ne se justifie, pour l’instant, guère que dans des zones semi-arides et suppose la mise en place d’infrastructures coûteuses financièrement et envers l’environnement. 

L’eau de pluie interagit très étroitement avec le sol : celui-ci a la capacité, plus ou moins étendue selon les types de sols (voir ci-dessous) d’absorber de l’eau de pluie via le processus d’infiltration. La pluie non absorbée s’écoule sur le sol : c’est le ruissellement qui dépend à la fois de la quantité absorbée et de la quantité qui tombe.  Ce duo ruissellement/infiltration constitue donc la clé de la gestion de l’eau dans les sols cultivés. 

Hyper complexe 

Comprendre ce qui se passe avec l’eau suppose une bonne connaissance du sol et de sa structure très complexe. Ce point capital contraste avec la manière générale dont on traite les sols : de simples supports inertes pour « porter » les plantes et les nourrir. Or, il s’agit de milieux avec une architecture mouvante, qui évolue dans le temps, qui dépend d’une multitude de facteurs et, surtout, qui constitue un écosystème, un milieu de vie avec une incroyable biodiversité. Si on ne s’imprègne pas de cette idée et que l’on ne change pas de regard sur le sol, on a tout faux et on va forcément engendrer des mécanismes destructeurs pour l’environnement mais aussi pour les cultures ! 

Un sol se compose d’une certaine quantité de matière organique et d’une « ossature » de particules minérales de trois grands types : des grosses particules de sable, des particules moyennes de limons et des particules très fines d’argiles. Selon la dominance relative de l’un de ces trois types de particules, on parle donc de sol à texture sableuse ou à texture limoneuse ou enfin argileuse. Ces particules peuvent être associées en agrégats plus ou moins grands et stables qui définissent la structure du sol. Ainsi, les argiles humidifiées tendent à se regrouper en agrégats volumineux ce qui donne une structure grossière alors que les grains de sable restent libres. 

Ces diverses particules ou agrégats ménagent des espaces libres, les pores du sol, qui peuvent se remplir d’air ou d’eau. Les pores ronds et continus au dessus d’un diamètre de 0,08mm sont des macropores souvent orientés dans le sens vertical et entretenus entre autres par l’activité de la faune du sol (dont les vers de terre) : ils ont le potentiel de conduire rapidement de l’eau qui s‘infiltre. Plus en profondeur, on trouve des micropores non orientés et qui ont un rôle capital pour la rétention de l’eau infiltrée. La stabilité des agrégats garantit le maintien d’une forte porosité car ils laissent entre eux plus d’espaces ; les gouttes de pluie peuvent les démolir en surface par leur impact direct et induire la formation d’une couche superficielle presque étanche qui obture les pores : on parle de battance ou de colmatage, très marquée sur les sols limoneux ou argileux ; l’eau de pluie va alors couler sur cette couche sans s’infiltrer. Même en profondeur, les agrégats secs qui s’humidifient rapidement lors d’une forte pluie tendent à se désintégrer sous l’effet de la compression de l’air qu’ils emprisonnent. La matière organique du sol joue aussi là un rôle crucial dans l’association des particules entre elles. 

Quand tous les interstices d’une couche de sol se trouvent remplis d’eau, elle atteint la saturation en eau ; au-dessus, la zone aux espaces vides encore libres est dite d’aération. On considère qu’un sol « idéal » pour la culture a 35% de ses pores remplis d’air (important pour la respiration des racines et la vie de la faune du sol) et 65% d’eau. 

Infiltration 

Sol argileux

L’infiltration correspond à l’entrée de l’eau dans le sol depuis la surface : elle descend par gravité et prépare ainsi le stockage dans la nappe aquifère souterraine et la rétention par les couches superficielles, là où se trouvent les racines des plantes. Cette pénétration se fait par simple diffusion à travers les pores du sol (voir ci-dessus) et va donc circuler plus ou moins vite et facilement selon leur taille et leur agencement. On peut mesurer la vitesse à laquelle l’eau de pluie pénètre dans le sol en mm/heure : le taux d’infiltration. Pour cela, on utilise un infiltromètre : un cylindre de longueur standardisée ouvert aux deux bouts que l’on enfonce dans le sol et on verse dedans 500ml d’eau, soit l’équivalent de 27mm de pluie et on mesure le temps mis pour que toute cette eau s’infiltre. Ce taux d’infiltration est maximal dans des sols sableux (plus de 30mm/h) et décroît pour des sols limoneux (10-30 mm/h) et devient minimal pour des sols argileux (1-5mm/h) (voir ci-dessus). 

Le processus se passe souvent en deux temps : l’eau de pluie commence par imbiber les quelques centimètres des couche supérieures du sol ; mais elle peut y rester « bloquée » temporairement, retenue par les forces de capillarité. Si la pluie est suffisante, la capacité de retenir ainsi l’eau « perchée » se trouve dépassée et elle s’infiltre plus en profondeur par gravité et imbibe les couches inférieures du sol. Finalement, elle atteint la nappe souterraine ce qui peut demander des mois selon la profondeur de celle-ci et le degré de fracturation et de fissuration du sous-sol. On estime que 300mm d’eau infiltrée alimentent ainsi les nappes chaque année.

Sous l’effet des pressions, une partie de l’eau infiltrée circule aussi presque horizontalement à grande échelle ; le relief local joue un rôle majeur en orientant le sens de cette lente circulation invisible en surface ; on parle de percolation. Si la pente est assez forte, une partie de l’eau infiltrée peut ainsi ressortir en bas de pente comme une résurgence (exfiltration). 

Ruissellement 

Le ruissellement entraîne les particules le plus fines dont les sables qui aident à maintenir des sols poreux

Si la quantité de pluie tombée excède la capacité du sol à l’absorber et à permettre son infiltration, la partie supérieure devient saturée en eau : l’eau de pluie ne pénètre plus et commence à s’accumuler avant de s’écouler : c’est le processus du ruissellement, observable directement. Cet écoulement se fait d’abord en filets ou en nappes avant de se regrouper en rigoles et chenaux et emporte avec lui des particules du sol, amorce d’un processus d’érosion du sol qui s’ajoute à celui engendré par les impacts des gouttes de pluie qui se comportent comme des micrométéorites ! On évalue sur une saison de croissance le pourcentage de pluie tombée qui ne s’est pas infiltrée et qui a donc ruisselée ; par exemple si 30% de l’eau tombée a ruisselé, on aura un coefficient de ruissellement de 0,30. 

Avec la forte tendance à faire des céréales d’hiver, les chaumes hivernaux qui protègent un peu les sols se font de plus en plus rares ; de plus, leur absence impacte la biodiversité (oiseaux granivores notamment).

On comprend intuitivement que le couvert végétal du sol va avoir une importance majeure par rapport à ce ruissellement comme l’indique ce tableau joint des valeurs du coefficient de ruissellement selon les environnements cultivés. La végétation agit à différents niveaux : par le frein qu’elle oppose à l’écoulement mais aussi par ses racines qui guident l’eau verticalement et par l’eau qu’elle prélève dans le sol. De la même manière, on pressent vite que la pente du terrain va déterminer l’intensité du ruissellement ce que confirment les données.

Un sol non saturé en eau peut aussi « refuser » l’infiltration d’eau si une croûte de battance (voir ci-dessus) s’est formée en surface ou si sa structure a été abimée par les travaux (par exemple compaction par le passage des engins agricoles) ; dans ce cas, le ruissellement sera encore plus intense pour une même quantité de pluie car il n’y aura même pas l’absorption initiale. A l’inverse, sur un sol sec mais ayant une structure poreuse, l’eau se trouve comme « aspirée » par un processus physique (succion matricielle !) ce qui facilite l’infiltration. Ceci explique qu’en hiver, les sols souvent humides absorbent peu l’eau ce qui augmente alors le ruissellement. 

En tout cas, il ressort nettement que le ruissellement dépend avant tout de la capacité d’infiltration du sol et donc de la gestion de ce dernier. Cette eau ruisselée va rejoindre les fossés, les ruisseaux et donc les cours d’eau et ne participera ni au remplissage de la nappe souterraine ni à l’alimentation de la culture. Bien avant donc de réclamer des bassins de retenue face aux problèmes de sécheresse, il faut actionner et développer deux leviers majeurs : améliorer ou faciliter l’infiltration et limiter au maximum le ruissellement. Dans une future chronique nous présenterons des exemples de méthodes de gestion adéquates allant dans ce sens.

Rétention 

Mais il reste un troisième levier-clé en aval de l’infiltration : la persistance de l’eau infiltrée dans le sol le plus longtemps possible. La capacité d’un sol à retenir l’eau infiltrée (taux de rétention exprimé en mm d’eau/mètre de sol) dépend de la porosité (taille et nombre de pores), de sa profondeur et des types de minéraux du sol (argiles, sables, limons) comme le montre le tableau ci-joint.  

Ces différents paramètres agissent souvent en direction opposée : un sol limoneux capable de retenir 120mm d’eau par mètre de profondeur perdra de son efficacité s’il est peu profond. Pour un sol profond, encore faut-il que les plantes cultivées aient un système racinaire lui-même profond et non pas superficiel ! Ainsi les haricots et les oignons ont un enracinement entre 30 et 70cm alors que le tournesol descend jusqu’à 1,50m. Même dans un sol d’apparence très sec, il peut rester de l’eau sous forme d’une microscopique pellicule adhérente aux grains ; les particules argileuses par exemple, du fait notamment de leur structure et de leurs charges électriques, retiennent ainsi une forte quantité d’eau « invisible ». 

Cet aspect nous amène tout droit vers le problème du choix des cultures car l’une des sources premières d’assèchement du sol provient de l’eau prélevée par les plantes pour leur nutrition et rejetée en grande partie par leurs feuilles sous forme de vapeur d’eau (évapotranspiration). Or, ce besoin en eau pour la croissance et la fructification dépend très fortement des espèces cultivées en fonction de leur origine ; le maïs par exemple consomme beaucoup d’eau et, surtout, se montre très sensible à la sécheresse, demandant un apport d’eau continu, du fait de ses origines tropicales humides. Donc, des choix s’imposent si l’on se trouve dans une région sujette à des épisodes de sécheresse répétés ; en tout cas, augmenter les surfaces cultivées de maïs dans des régions plutôt sèches ou en train de le devenir est irresponsable et mène à une impasse ou une escalade absurde dans la construction d’infrastructures d’irrigation. 

Enfin,  à peine infiltrée dans un mouvement descendant, l’eau subit un mouvement ascendant et des pertes sous l’effet de processus physiques : la remontée par capillarité et l’évaporation sous l’effet du réchauffement de la couche superficielle, ce qui produit un appel d’eau vers le haut ; là encore, le couvert végétal présent ou absent va être déterminant pour l’intensité de ces pertes naturelles inéluctables. 

Comment un sol avec une telle culture peut-il retenir un minimum d’eau avec un sol nu sur une pente ?

Finalement, et bien que n’ayant exposé ici que l’essentiel des connaissances sur le système eau/sol, on réalise l’extraordinaire complexité de ce système et sa sensibilité à de nombreux facteurs qui interfèrent entre eux. Ceci signifie qu’il faut des gestions très précises et surtout adaptées à chaque situation locale à une échelle très fine. On est là loin, très loin, de la gestion uniforme, globalisée, à très grande échelle, de l’agriculture intensive qui traite le sol comme support physique inerte pour les plantes. 

Arroser les maïs en plein jour ou comment gaspiller encore plus la précieuse ressource en eau !

Bibliographie

Processes of Soil Infiltration and Water Retention and Strategies to Increase Their Capacity. Renan Pan, Alexandra da Silva Martinez, Tauane Santos Brito and Edleusa Pereira Seidel. Journal of Experimental Agriculture International. 20(2): 1-14, 2018

Collecter l’eau et conserver l’humidité du sol.Série Agrodok No. 13 Fondation Agromisa, Wageningen, 2004.