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La cynoglosse officinale est connue depuis l’Antiquité comme plante médicinale ; sa tendance à fréquenter par ailleurs les sites perturbés et enrichis par les activités humaines tout comme son aspect singulier en ont fait une plante populaire dont on retrouve la trace dans de nombreux folklores régionaux ou nationaux.

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Chiens et souris

Ce nom étrange au premier abord de cynoglosse (du genre féminin contrairement à ce qui est souvent pratiqué)  remonte au 15ème siècle où il a été emprunté au latin cynoglossus, lui-même pris du grec kunos pour chien et glossos pour langue : allusion aux feuilles grisâtres douces et veloutées, allongées ovales, simulant soi-disant une langue de chien. Cette appellation se retrouve déformée dans de nombreux patois ou dialectes locaux mais aussi dans d’autres langues européennes : hound’s tongue ou dog ‘s tongue en anglais ; hundzunge en allemand, cinoglossa en espagnol, …. Remarquons que cette forme et cet aspect se retrouvent chez diverses autres plantes de la même famille, les boraginacées, et que celles-ci ont aussi reçu des noms populaires associés à langue : langue d’oie pour la vipérine ; langue de bœuf pour la bourrache ou la buglosse ; langue de vache pour la consoude. Alors le choix du chien comme repère relève peut-être d’une autre logique que la simple ressemblance  de forme (voir ci-dessous les fruits) ? D’ailleurs, dans certaines provinces, on trouve des surnoms de la cynoglosse du genre langue de brebis, langue de chat, langue de serpent !

Cette association a évidemment suscité des liens a posteriori avec l’animal (à moins que ce ne soit l’inverse : difficile à savoir !) ; ainsi une tradition populaire disait qu’un bouquet de cynoglosses mis devant la fenêtre de la maison où résidait une fille indiquait qu’elle avait « une mauvaise langue » car la langue du chien symbolise l’envie !

La théorie des signatures s’en est aussi emparée : on prescrivait donc cette plante dans les cas de morsures de chien ; on trouve une appellation en flamand qui signifie « fleurs de chien enragé ». On préconisait aussi de glisser une feuille sous le talon dans la chaussure pour décourager les attaques des chiens. Ce dernier usage renvoie peut-être à l’odeur particulière que dégagent les feuilles froissées, qualifiée d’odeur d’urine de souris et qui serait liée à la présence d’une substance appelée acétamide. D’autres disent qu’elle sent la cacahuète grillée ! En tout cas, je dirais qu’elle a au minimum une odeur désagréable !

A la campagne, on pensait que sa présence éloignait justement les rats et les souris ; un des surnoms anglais est d’ailleurs …. rats and mice ! Peut-être aussi que cette croyance provenait de l’observation du fait que, dans la nature, la cynoglosse fréquente souvent les abords des terriers des lapins ou des renards (fruits transportés par leur pelage et terre remuée enrichie par excréments très favorables !) qui ne touchent pas aux feuilles (voir chronique sur la toxicité et les défenses).

Fleurs et fruits

La cynoglosse ne passe pas inaperçue avec ses fleurs, certes de taille modeste, mais d’une couleur rare ; d’abord violacée au stade jeune, elle vire rapidement à un rouge vineux qualifié par les aquarellistes de rouge chaudron. Ce terme utilisé à propos de la coloration des étoffes, renvoie à une couleur rougeâtre (que les anglais qualifient de vieux cuivre) des vieux chaudrons. En tout cas, il s’agit d’une couleur florale assez unique dans notre flore ; un auteur anglais du 17ème, J . Pechey, l’a même qualifié de rouge sordide ; il est vrai que cette couleur semble « triste et sinistre » tout en étant élégante ! Cela explique peut-être certains de ses surnoms comme herbe au diable ou herbe de malines.

Ses faux-fruits, des akènes (fruits secs à une seule graine) groupés par quatre et hérissés d’aiguillons courts très accrocheurs (qui assurent la dispersion par transport sur les vêtements ou la fourrure des animaux) ont reçu des surnoms spécifiques évocateurs : gloutterons (comme ceux des bardanes : voir la chronique consacrée à leurs fruits) ou boustonnée à cause de la forme suggestive de gros bouton. D’ailleurs, j’aurais une suggestion (mais sans aucun fondement scientifique) : est-ce que la liaison avec le chien et sa langue ne vient pas autant de la surface très râpeuse de ces jeunes fruits analogue à celle d’une langue de chien ?

Guérit-tout ?

Sa longue histoire de plante médicinale lui a conféré une liste impressionnante de propriétés et d’usages divers et variés ; nous les présentons ici « en vrac », sans aucune hiérarchie et surtout sans aucune validation de la réalité de ces actions supposées. On a surtout utilisé la racine séchée et coupée en morceaux ou les fruits secs. Selon les régions, pays et périodes, on l’a donc utilisé comme :

– astringente (qui « resserre les tissus ») : comme anti diarrhéique en interne ; en usage externe comme cicatrisante ; le jus frotté sur des démangeaisons ; en cataplasme de feuilles chaudes sur les brûlures et les gerçures ; ou encore sur les hémorroïdes

– analgésique et anti-inflammatoire : comme calmante de la toux sèche et comme calmante sédative ; cette dernière propriété étant reprise en homéopathie contre les insomnies.

Ce pouvoir calmant a peut-être suscité l’étrange nom d’herbe d’Antal (qui, en fait, s’applique surtout à une espèce proche, la cynoglosse d’Allemagne localisée dans l’Est de la France) parfois écrit avec une minuscule ce qui suggère alors un rapprochement avec antalgique ? Mais on le trouve aussi souvent écrit avec une majuscule : Antal dériverait de Antoine et localement, la cynoglosse était connue comme herbe de Saint Antoine, ce dernier étant censé faire retrouver la santé.

Dès la Renaissance, on utilisait une préparation connue alors sous le nom de « pilules de cynoglosse » contenant des extraits de racines mais aussi …. de l’opium, du safran, de la myrrhe, de la jusquiame, …. Bref, difficile de dire dans ce joyeux cocktail « qui faisait quoi » ! En Irlande, on la surnommait « l’herbe du docteur » pour soigner des … cancers externes et internes !

Voici ce qu’en disait Olivier de Serres (1539-1619), célèbre agronome, dans son Théâtre d’agriculture et mesnage des champs publié en 1599 :

« Langue de chien désire la terre sablonneuse et légère et se contente de peu de culture sans se soucier de beaucoup d’arrosement. Est de grande efficace pour la guérison des hémorroïdes, des brûlures, des feux volages, vieilles plaies, appliquant cette herbe avec son jus sur lieux dolens ; comme aussi apaise les douleurs et inflammations des membres. »

Attention danger !

Si nous nous refusons à valider la moindre propriété médicinale, c’est aussi parce que dans la littérature de vulgarisation associée, il y a beaucoup de « copier-coller » de textes anciens repris comme argent comptant sans aucune vérification. Ainsi, dans la flore des plantes médicinales de P. Fournier, ouvrage très intéressant et souvent pris comme référence mais qui date de 1947, il est dit que la plante contient des alcaloïdes toxiques mais uniquement dans les fruits et les racines et que ces substances ne présentent pratiquement pas de danger pour les mammifères et l’homme.

L’analyse chimique récente a confirmé la présence d’un cocktail de pas moins de 14 alcaloïdes pyrrolizidines (voir la chronique sur l’aspect toxique) dont la viridiflorine, l’échinatine et des héliotridines dans les fruits mais aussi dans les feuilles et notamment dans les jeunes feuilles où leur concentration peut atteindre 190 fois le niveau de celle des feuilles plus âgées ! Plusieurs cas documentés montrent que ces alcaloïdes peuvent tuer des mammifères tels que des chevaux, des vaches ou des porcs. Leur consommation (à fortes doses) provoque entre autres des graves atteintes du foie.

On ne peut donc que regretter que sur certains sites ou ouvrages on continue à donner des recettes d’utilisation des racines de cynoglosse pour calmer la toux sans même mentionner ces risques en cas d’utilisation prolongée !

Gérard GUILLOT. Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. EXTREME DIFFERENCES IN PYRROLIZIDINE ALKALOID LEVELS BETWEEN LEAVES OF CYNOGLOSSUM OFFICINALE. Nicole M. van Dam, Robert Verpoorte and Ed van der Meijden. Phytochemistry, Vol. 37, No. 4, pp. 1013-1016, 1994
  2. Plantes médicinales. P. Fournier. Tomes I, II et III. Connaissance et Mémoire européennes. 1999

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 408-409 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 65 Guide des Fleurs des Fôrets