Juglandaceae

La famille des Juglandacées regroupe entre 50 et 60 espèces d’arbres réparties en neuf genres. On la subdivise en deux tribus dont une entièrement exotique (Amérique centrale et Asie orientale) et non cultivée sous nos latitudes ; par contre, la seconde tribu (Juglandoïdées) regroupe des genres dont une partie nous sont nettement plus familiers : les ptérocaryas (genre Pterocarya) plantés dans les parcs, les noyers (genre Juglans) avec bien sûr le noyer commun cultivé (J. regia), la seule espèce européenne de toute la famille, et les caryas (genre Carya) que les anglo-saxons nomment hickories avec notamment le célèbre pacanier qui donne les noix de pécan. Ces deux derniers genres représentent à eux seuls près de deux tiers des espèces de la famille. Nous allons donc explorer quelques originalités de cette famille en nous concentrant sur ces deux genres même s’ils ne représentent pas toute la diversité globale de la famille.

Une moelle bizarre

Les feuilles des Juglandacées se reconnaissent facilement par leur port composé de folioles en nombre impair : autrement dit, il y a une foliole terminale. Les bourgeons portent des écailles coriaces courbées au sommet. Le bois, très apprécié en ébénisterie au moins pour les noyers, plaît pour sa résistance et présente des cernes de croissance bien marqués.

Mais, le caractère le plus original se trouve caché dans les rameaux. Si vous voulez « épater » des amis, prélevez un rameau et fendez le en long avec un couteau en partant du sommet : et là, surprise, apparaît une structure inattendue au niveau de la moelle intérieure : des cloisons transversales qui séparent des chambres creuses et donnent un motif esthétique ! Ce caractère original n’est pourtant pas propre aux seules Juglandacées (et encore est-il limité au sein de la tribu des Juglandoïdées aux noyers et aux Ptérocaryas mais absent chez les Caryas) puisqu’on le retrouve chez le tulipier de Virginie (Liriodendron) ou dans les tiges non ligneuses du raisin d’Amérique (Phytolacca). Il existe aussi une autre variante chez d’autres plantes avec des cloisons renforcées mais séparant des espaces pleins (moelle diaphragmée). Cette structure renforce t’elle la solidité des rameaux tout en les allégeant ? Nous n’avons pas trouvé d’informations sur ce point.

La mauvaise réputation

Depuis l’Antiquité, le noyer commun traîne avec lui une aura sinistre d’arbre maudit, d’arbre du Diable, avec une série de croyances populaires bien ancrées : il ne faut pas dormir à l’ombre d’un noyer car sinon on attrape « un froid » mortel ; si les racines d’un noyer passent sous une maison ou sous une étable, il faut déménager vite les occupants qui vont dépérir. Ces croyances dérivent en fait de deux aspects de la chimie des noyers (et aussi des caryas) perceptibles à l’observation.

Les jardiniers savent que sous un noyer de nombreuses plantes poussent très mal ou meurent : c’est cette observation qui a sans doute généré les croyances mentionnées ci-dessus ! Les noyers produisent une substance chimique très particulière, la juglone ou le juglon (mot dérivé du nom de genre Juglans), une naphtoquinone (dérivé du naphtalène) présente aussi bien dans les feuilles, dans le bois et les racines que dans l’enveloppe des fruits (le brou). Ce composé organique toxique s’oxyde à l’air libre pour donner un colorant brun bien connu (utilisé comme colorant alimentaire) quand on récolte les noix fraîches qui tachent les mains. Cette substance agit avant tout sur de nombreuses plantes dont elle freine considérablement la croissance en bloquant certaines enzymes intervenant dans la respiration ; les plantes sensibles périclitent donc au pied des noyers et finissent par flétrir. Il s’agit donc d’un exemple d’allélopathie, d’une action d’une plante sur une autre. Le juglon est libéré au niveau des racines ou par les feuilles quand elles tombent au sol et se décomposent, « empoisonnant » le sol. Il agit aussi sur les insectes herbivores mais certains comme des pucerons peuvent détoxifier ce poison et vivre sur l’arbre.

D’autre part, quiconque reste sous un noyer sent rapidement une forte odeur aromatique se dégager et qui peut entêter ; elle provient de poils étoilés et de glandes sécrétrices disséminées sur les feuilles fraîches et qui répandent autour d’eux tout un arsenal de substances volatiles qui ont été analysées (1) autour de trois espèces de noyers et trois de caryas. L’étude révèle bien sûr des différences d’une espèce à l’autre et dresse une incroyable liste de substances avec en tête des sesquiterpènes dont le germacrène D. On trouve aussi des monoterpènes et du salicylate de méthyle (« l’essence de wintergreen »). Ils ont un rôle de biocide vis-à-vis des insectes susceptibles de s’attaquer aux arbres.

Des arbres à chatons

La majorité des Juglandacées ont des fleurs unisexuées (fleurs « mâles » à étamines et fleurs « femelles » à ovaire), assez réduites et transformées (fleurs « imparfaites ») séparées, mais réunies sur un même arbre ; on parle d’arbres monoïques.

Les fleurs mâles se trouvent regroupées en longs chatons pendants (rarement dressés chez quelques genres) qui rappellent beaucoup ceux des bouleaux ou des noisetiers. Cette ressemblance n’est pas fortuite car la famille des Juglandacées se range au sein de l’ordre des Fagales auprès d’autres familles comme les Bétulacées (bouleaux, charmes, noisetiers, aulnes) ou les Fagacées (châtaigniers, chênes et hêtres) qui possèdent aussi des chatons mâles.

La floraison des chatons a lieu en avril-mai un peu avant ou juste au début du débourrement des feuilles, situation typique des arbres dont le transport du pollen est assuré par le vent (anémophilie). Les chatons se forment sur le bois de deux ans, donc un peu en contrebas des extrémités des rameaux et n’affectent pas la croissance des pousses au printemps. Chaque chaton porte sur un axe des dizaines de fleurs élémentaires, sous-tendues chacune par une bractée sombre et arborant de nombreuses étamines sur des filets courts. Celles-ci se trouvent largement exposées du fait de la forte réduction des autres pièces florales, réduites à 4 sépales très petits.

Promesses de noix

Si les chatons frappent visuellement notamment au pic de maturité où ils ressemblent à de grosses chenilles jaunes, les fleurs femelles restent nettement plus discrètes tout en étant pourtant bien visibles pour qui prend la peine de s’approcher des rameaux. Il faut chercher au sommet des rameaux qui ont commencé à débourrer leurs feuilles. Chaque fleur femelle a l’aspect d’une outre verte velue glanduleuse qui correspond à l’ovaire formé en fait de deux parties soudées (les carpelles) ; au dessus se déploient deux grosses « antennes » charnues : les deux stigmates en forme de lame frangée et papilleuse ; ce sont les organes capteurs des grains de pollen. Collés à la base des styles qui portent les stigmates déployés, on distingue à peine quatre minuscules lobes qui représentent les sépales du calice ! Ces fleurs femelles sont groupées par deux ou par trois.

Elles apparaissent en moyenne deux semaines après la floraison des chatons mâles ce qui est une forme de « séparation des sexes dans le temps » (dichogamie). Ainsi, leur complète floraison a lieu quand le feuillage commence à bien s’étaler. Pourtant, les fleurs femelles sont auto-stériles : si du pollen issu du même arbre arrive sur le stigmate, il ne germe pas. Mais par contre, le pollen qui se dépose reste collé et limite ainsi les chances que du pollen extérieur vienne s’accrocher et puisse féconder les ovules. Une fois l’ovule fécondé, l’ovaire commence à grossir tandis que les stigmates se dessèchent et rapidement, on voit se dessiner la future noix qui va poursuivre son lent développement pendant tout l’été.

Les fruits seront abordés dans une autre chronique spécifique car ils présentent de nombreuses originalités et une certaine diversité au sein de la famille.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Headspace Analysis of Volatile Compounds in Leaves from the Juglandaceae (Walnut) Family. Mohamed A. Farag. Journal of Essential Oil Research/323. Vol. 20, 2008
  2. Botanique systématique. Une approche phylogénétique. Judd et al. Ed. De Boeck Université. 2002
  3. Guide to Flowering plant families. W.B. Zomlefer. The University of North Carolin Press. 1994

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le noyer commun
Page(s) : 196-197 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le noyer d'Amérique
Page(s) : 198-199 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le carya blanc
Page(s) : 200-201 Guide des fruits sauvages : Fruits secs