Jaborosa integrifolia

Les fleurs de la jaborosa, plante ornementale assez rarement cultivée en Europe, ne manquent pas d’attrait avec leur corolle blanche formée d’un long tube (5 à 6cm de long) terminé par 5 lobes étalés en soucoupe et leur parfum qui se répand à la nuit tombée. Dans son aire d’origine, les zones marécageuses et argileuses des bassins des fleuves Paraná et Uruguay dans le sud-est de l’Amérique du sud (Uruguay, Paraguay, sud Brésil et nord Argentine), les fleurs de la jaborosa reçoivent la visite de grands sphinx nocturnes dont la longue trompe leur permet d’accéder au nectar tout au fond du tube floral tout en restant en vol stationnaire au-dessus de la fleur.

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La jaborosa se distingue par ses superbes fleurs blanches qui rappellent celles du Datura, un autre membre de la famille des Solanacées.

Pourtant, en dépit de cette apparente attractivité, cette plante ne produit que très rarement des fruits (baies noires).

Une morphologie interne variable

Dans le détail, on observe que la position relative des anthères des étamines et du stigmate à deux à cinq lobes perché au bout du long style varie selon les fleurs du fait de la variation de longueur de ce dernier ; les anthères, elles, occupent toujours la même position, tout en haut du tube, près de l’entrée de la gorge. Parfois, le stigmate se trouve à la même hauteur que les anthères, ne dépassant donc pas de la corolle ; mais, dans la majorité des cas, le stigmate se trouve décalé par rapport aux anthères, la situation la plus courante (75% des fleurs) étant le stigmate au-dessus des anthères. On parle d’herkogamie variable pour désigner une telle disposition qui, de facto, limite considérablement la probabilité que du pollen des anthères entre en contact avec le stigmate de la même fleur. Tout ceci indique qu’il doit s’agir d’une plante à pollinisation croisée obligatoire, auto-incompatible ; ceci est confirmé par les résultats de pollinisations croisées manuelles qui donnent ders fruits contenant le plus de graines, celles-ci étant nettement viables.

Il faut donc rechercher les causes possibles de ce déficit de production de fruits soit du côté du pollen lui-même et de sa qualité, soit du côté de l’efficacité de la pollinisation.

Pas de problème pour le pollen

Deux chercheurs italien et argentin ont testé la germination de grains de pollen soit sur les stigmates de la fleur d’origine, soit sur celui d’une une autre fleur : dans les deux cas, les grains de pollen présentent la même capacité à germer et à atteindre l’ovaire en élaborant un tube pollinique avec une vitesse de croissance de ce dernier élevée. Donc, le pollen ne semble pas poser de problème même en situation (artificielle) d’autopollinisation qui aurait pu expliquer la rareté des fruits.

Une fleur généreuse en nectar

Le nectar est produit par un disque à la base de l’ovaire, de manière continue pendant toute la durée de vie de la fleur avec cependant un maximum de sécrétion lors des premières 24 heures après l’éclosion. Ce nectar contient à parts égales du glucose et du fructose mais pas de sucrose, ce qui correspond bien au type recherché par les sphinx.

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Les grands sphinx (ici un sphinx indigène, le sphinx du troène) recherchent ce type de fleurs à long tube ; leur très longue trompe leur permet d’accéder au nectar en restant en vol stationnaire devant la fleur.

Même après une visite de sphinx, la sécrétion reprend alors que chez nombre d’autres espèces elle cesse ; le nectar ne subit pas non plus de réabsorption dans la seconde moitié de la durée de vie de la fleur. Tout ceci indique que la production du nectar n’est pas un problème dans cette espèce, tout au contraire et que, de ce point de vue, la fleur a tout pour attirer des « clients ».

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Le nectar est produit au fond du long tube de la corolle, là où se trouve l’ovaire.

Une plante chiche en fleurs

En fait, sur une plante donnée, on n’observe souvent une seule fleur ouverte à la fois et sur une saison de reproduction (d’octobre à mai dans son aire naturelle) elle ne produit au total que quelques fleurs ; cette rareté des fleurs pourrait expliquer a priori la rareté des fruits. En plus, quand ces derniers réussissent à se former, ils subissent souvent les attaques de larves d’insectes herbivores dont des chenilles de papillons. Une prédation excessive pourrait donc être un facteur aggravant.

Cela dit, la plante réussit néanmoins à bien se maintenir dans son milieu par ses rhizomes minces qui s’enracinent aux nœuds et lui permettent de faire des colonies étalées prospères. D’ailleurs, en culture, si elle a des conditions d’humidité relative du sol favorables, la jaborosa peut s’avérer envahissante. Elle a donc peut-être une répartition des ressources alimentaires plus en faveur de la reproduction végétative qu’en faveur de la reproduction sexuée via la production de fruits.

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Grâce à ses rhizomes, la jaborosa tend à s’étaler au sol et à former des colonies persistantes.

BIBLIOGRAPHIE

The reproductive biology of Jaborosa integrifolia (Solanaceae): Why its fruits are so rare? J. L. Vesprini, L. Galetto. Plant Systematics and Evolution. March 2000, Volume 225, Issue 1, pp 15-28 ;

A retrouver dans nos ouvrages

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