Tanacetum balsamita

Touffe de menthe-coq en début d’été

08/05/2021 Un jardin ne doit pas être qu’un lieu de production mais aussi un lieu de plaisir où l’on renoue des contacts sensoriels étroits avec le monde végétal. Trop souvent, nous nous limitons aux seules couleurs pour apprécier et nous intéresser aux plantes qui nous entourent : normal, nous sommes des « visuels » avant tout. Mais les végétaux échangent aussi avec nous une foule d’autres signaux sensoriels dont les odeurs : la palette de celles émises par les plantes est infinie et pleine de subtilités qu’il faut apprendre à savourer sans modération pour le simple plaisir des sens. Nous allons ici découvrir un simple, une vieille plante médicinale, très cultivée autrefois dans les jardins de curé et tombée dans l’oubli : la menthe-coq ; son nom intriguant nous interpelle déjà, promesse de secrets enfouis dans son histoire ancienne avec l’homme mais il n’est rien à côté de son parfum, étonnamment « moderne » par sa note dominante très originale. Ce parfum servira de fil conducteur pour faire sa connaissance. 

Inflorescence de menthe-coq

Fausse menthe

Levons tout de suite un secret de polichinelle : la menthe-coq n’est pas une menthe ! Pire, elle n’appartient pas du tout à la famille des menthes, les labiées ou lamiacées : donc, point de tiges carrées, ni de feuilles opposées, ni de fleurs individuelles regroupées en étages à l’aisselle des feuilles, … Non, la menthe-coq se classe en fait dans l’immense famille des composées ou astéracées, la famille des pissenlits, tournesols, chardons, marguerites, … caractérisées toutes par des fleurs assez petites (fleurons) densément serrées en têtes florales ou capitules sous-tendus par une collerette de petites feuilles (involucre de bractées).

La menthe-coq forme des touffes étalées de tiges dressées atteignant plus d’un mètre de hauteur qui sèchent en hiver et repartent au printemps depuis la souche dure persistante ; ces tiges assez fortes sont nettement sillonnées en long mais de section cylindrique. La plante feuillée frappe par sa teinte générale d’un vert nettement bleuté blanchâtre, très doux à la vue ; les feuilles, alternes, simples, ovales, ont des bords crénelés dentés régulièrement ; sous une forte loupe, on peut deviner des ponctuations transparentes, des glandes à essence : le parfum particulier vient de là ! Les feuilles supérieures embrassent la tige via deux oreillettes allongées, comme deux petites folioles alors que les inférieures se raccordent aux tiges via un pétiole sans oreillettes. Le dessous des feuilles tout particulièrement porte un fin revêtement de poils blanchâtres. 

La floraison a lieu en fin d’été début d’automne : les inflorescences dressées et ramifiées s’épanouissent au sommet des tiges ; l’ensemble forme une fausse ombelle (un corymbe) car les pédoncules porteurs sont de longueur très inégale mais placent les capitules peu ou prou au même niveau.

Les capitules (les groupes de fleurons donc) sont très nombreux par tige fleurie. Il en existe deux « versions » que l’on considère soit comme des races, soit comme des sous-espèces : le plus souvent, les capitules sont constitués uniquement de fleurons en forme de tube tous jaunes et ressemblent à de mini-pompons jaunes comme ceux par exemple des immortelles d’Italie ; plus rarement, un cercle externe de languettes blanches (des ligules) complète le capitule de fleurons jaunes : on se rapproche alors du type « marguerite ». Les fleurons fécondés donnent chacun un fruit sec à une graine, un akène comme chez le pissenlit bien connu mais sans aigrette au sommet. 

Cousines odorantes 

Les botanistes classent la menthe-coq dans le genre Tanacetum qui regroupe près de 160 espèces dans le monde. Ce nom scientifique vient du latin tanazita qui désignait la tanaisie, orthographiée tanezie au 12èmesiècle, une plante sauvage mais aussi cultivée dans les jardins sous diverses formes horticoles (dont une « frisée » connue sous le surnom de « chartreuse ») : une plante à laquelle il nous faudrait consacrer une chronique car elle vaut elle aussi le détour ! Pour les botanistes, la tanaisie s’appelle Tanacetum vulgare. Effectivement elle partage avec la menthe-coq d’avoir des capitules de fleurons tubulaires en forme de petits pompons jaunes ; elle répand de plus une odeur spéciale et pénétrante, camphrée (rappelant celle de l’absinthe), quand on froisse son feuillage. 

Ce caractère fortement odorant associé à la présence de glandes à essence renfermant une huile essentielle se retrouve de manière quasi-constante chez d’autres espèces du genre. Ainsi, la grande camomille ou bouton d’argent (Tanacetum parthenium), un simple très cultivé dans les jardins comme décorative, répand elle aussi une forte odeur camphrée de camomille. Terminons avec une espèce horticole très en vogue dans les jardins, le pyrèthre de Dalmatie (Tanacetum cinerariifolium), originaire du sud-est de l’Europe, aux feuilles finement découpées et aux capitules avec des ligules blanches (comme des pâquerettes). Pyrèthre : ce nom évoque pour beaucoup un produit chimique bien connu, un insecticide « naturel », extrait des fleurs de cette plante ; on obtient les composants actifs (pyréthrines) à partir des capitules séchés sous forme d’une poudre : ils présentent l’avantage par rapport aux insecticides de synthèse d’être biodégradables et non rémanents mais n’en sont pas moins des poisons toxiques pour de nombreux insectes. Ce dernier cousin de la menthe-coq apporte un éclairage sur la signification de ces substances chimiques stockées par ces plantes : elles ont avant tout un rôle défensif contre les attaques des « prédateurs » herbivores ; les plantes qui n’ont pas l’équivalent de notre système excréteur (reins et urine) conservent tous leurs déchets métaboliques et les transforment pour les stocker en molécule complexes dont certaines s’avèrent être répulsives ou toxiques et les protègent donc indirectement.  

Odeur de …

Venons-en donc au cas particulier de la menthe-coq. Pour « sentir » une plante, il ne suffit pas le plus souvent de se pencher dessus pour humer : ceci ne fonctionne que si la plante émet spontanément des substances volatiles comme c’est le cas le plus souvent pour les fleurs qui en les libérant attirent les insectes pollinisateurs. Mais quand les odeurs proviennent des feuilles ou des tiges sous forme de glandes à essence, elles ne s’expriment le plus souvent que si la feuille ou tige est attaquée par les dents ou les pièces buccales d’un herbivore (un rongeur, une chenille, un scarabée, …) ; donc, pour les sentir, il faut au préalable « abimer » une feuille ou tige ce qui détruit les glandes à essence qui libèrent alors leur contenu qui se répand dans l’atmosphère. Concrètement, il y a une technique toute simple mais à bien mettre en œuvre : on prélève un morceau de feuille et, tout en le portant sous les narines, on l’écrase entre les doigts et on inspire bien fort ; dans la recette, le « tout en » est capital car souvent les non-initiés soit frottent la feuille sur la plante puis s’en approchent mais si la substance odorante est peu abondante ou en faible quantité, on ne la sent pas. Ou bien, on tient la feuille sous le nez mais sans la presser entre les doigts ! 

Et alors, que donne ce test avec la menthe-coq ?  La sensation est plus qu’agréable : sur un fond de mélange de citronnelle et de menthe (à peine) éclate un parfum incroyable de … chewing-gum mentholé très rafraichissant, suave et pénétrant. Vraiment très agréable et, en général, on en redemande ! Succès assuré avec les enfants qui adorent ! Pr contre, au goût (mâcher une feuille entre les dents), la saveur est amère et bien moins agréable ! 

L’analyse chimique de l’huile essentielle extraite des feuilles révèle la prédominance (entre 40 et 60% selon les plantes) d’un composé, la carvone, à odeur de menthe verte ; on y trouve aussi des dérivés de cette substance et, en quantités non négligeables (10 à 12%), de la béta-thuyone, une substance très toxique que l’on retrouve notamment dans l’absinthe. Ceci explique entre autres que la menthe-coq, elle aussi, présente des propriétés insecticides (voir ci-dessous dans les usages). 

Coq et Baume 

On comprend donc l’origine du mot menthe dans le nom de cette plante : simple analogie d’odeur. Il se retrouve dans d’autres surnoms moins répandus : menthe romaine ; menthe sarrasine ; … 

Mais quid du « coq » ? Plusieurs autres noms populaires utilisent ce mot : baume-coq ; grand coq ; coq de jardin ; … Curieux, non ? En fait, coq était originellement écrit coque, lequel venait lui-même de la déformation de costum ou costus (coste), nom qui dans l’Antiquité désignait une plante très parfumée.  originaire d’Asie, une autre composée, le costus indien, Saussurea costus, dont le nom sanscrit kushtha aurait donné costus ! Mais il y avait aussi une autre plante tropicale nommé coste amère (Costus amarus) de la famille du gingembre ! Cette dérive sémantique apparaît plus clairement en anglais avec ses noms populaires de costalecost (usage pour la bière) ou costmary

Le troisième mot qui revient dans ses noms populaires a été évoqué ci-dessus : baume (décliné en baume seul ou baume-coq ou grand baume) ou via l’adjectif dérivé balsamique qui se retrouve dans le nom scientifique d’espèce (T. balsamita) ou le surnom de balsamite. Au 12ème siècle, le mot baume désignait un onguent propre à guérir des blessures ; au 13ème, il s’est étendu aux plantes odoriférantes médicinales ; en parallèle et sous des formes pluriel (baumes ou basmes), il a désigné une substance résineuse et odorante qui coule de certains végétaux. Au 17ème, on l’a aussi appliqué à des menthes (des vraies cette fois !) et pour parler de ce qui calme, adoucit les peines. L’adjectif balsamique, devenu très tendance avec les vinaigres, traduit des substances odorantes agréables, ayant des propriétés analogues au baume ! C’est vrai que la menthe-coq mérite fort bien ce surnom de baume au moins pour son contact odorant si rafraichissant et peut-être, tout compte fait, qu’il vaudrait mieux retenir le surnom de baume-coq encore plus délicieux à prononcer par son côté ancien. 

NB : Baume, dans ce sens, est masculin ; mais le même mot au féminin (sous la forme ancienne balme) désigne tout autre chose : une grotte ! C’est l’origine de la Sainte-Baume en Provence.

Dans la série des dérives, revenons sur le nom anglais ce costmary cité ci-dessus ; tout porte à penser que mary ajouté est une erreur ou une déformation d’un autre mot. Néanmoins, cela a suffi pour en faire une plante « religieuse » associée au culte de la Vierge Marie (Notre Dame) ; ainsi cet usage est passé en français dans les surnoms tels qu’herbe Sainte-Marie, menthe de Notre-Dame ou feuille de Saint-Pierre. 

Usages odorants 

Ces noms populaires renvoient tous aux propriétés médicinales de la menthe-coq. Probablement originaire du sud-ouest asiatique, elle a été introduite et cultivée dès l’Antiquité dans le bassin méditerranéen. Au Moyen-âge, elle était déjà répandue et très cultivée ; on préparait une huile de baume par macération des feuilles et sommités fleuries dans de l’huile. A cette époque, on lui attribuait moult propriétés médicinales qui en faisaient presque une panacée, une « guérit-tout » avec, comme souvent des usages ou affirmations un peu rocambolesques ; on devait être très impressionné par son parfum si spécial (même si on ne connaissait pas encore le chewing-gum !) qui, il est vrai, inspire « confiance » ! ainsi en 1850 dans un Essai de Botanique, J. Babinet prétend que ses racines « … attaquent et digèrent complètement les chairs et les os des animaux enveloppés dans leur chevelu » ! Depuis, la menthe-coq a beaucoup perdu de son aura et pratiquement disparu de l’herboristerie sauf pour des usages digestifs (gastrite ou aérophagie) et comme antiseptique ou stimulante. 

Nous allons plutôt nous concentrer sur ses nombreux usages domestiques ou paramédicaux liés à son parfum. Les feuilles séchées servaient dans des pots-pourris ; au 19ème, on plaçait des bouquets de feuilles dans les piles de linge dans les armoires à la manière des sachets de lavande. Autrefois, on l’a aussi employée comme « herbe au sol », ces plantes sèches que l’on étalait sur la terre battue des pièces à vivre ou dans les toilettes ou sur les étagères autant pour désinfecter que pour chasser les « miasmes » malodorants ! Les feuilles séchées servaient de marque-pages odorants dans les bibles d’où son beau surnom anglais de bibleleaf (feuille de bible). On préparait une eau distillée des feuilles comme cosmétique pour les soins de peau ou en shampoings ou pour parfumer l’eau des bains. 

En dépit de leur faible toxicité évoquée ci-dessus, les feuilles peuvent se consommer de diverses manières. On peut les ajouter crues pour aromatiser des soupes ou hachées dans des salades ; néanmoins, il faut l’utiliser avec modération car son parfum (et son amertume au goût) l’emporte très vite. On peut aussi disposer des feuilles au fond d’un moule à cake pour parfumer le gâteau. Les feuilles séchées donnent, paraît-il, un thé délicieux ? Autrefois, l’usage le plus répandu concernait la bière (en complément du houblon) d’où son surnom anglais déjà mentionné de alecost.

Si vous ne la connaissiez pas déjà, vous aurez compris que la menthe-coq a tout du « must » dans votre jardin ne serait-ce que pour ce plaisir magique de la humer : on ne s’en lasse pas ; pourquoi ne pas vous fabriquer des marque-pages parfumés avec ses feuilles ? En plus, c’est une plante très rustique ne demandant aucun soin particulier, sauf le besoin de chaleur et de soleil. En pratique (normalement ?), elle ne se reproduit pas par graines chez nous et ne peut se multiplier que par voie végétative : on éclate les souches vivaces qui, au fil du temps, tendent à s’étaler rapidement. D’ailleurs, la menthe-coq peut s’échapper des jardins et se naturalise dans des friches mais uniquement à partir de fragments de souches ! 

La belle fraîcheur odorante d’une colonie de menthe-coq au printemps dans mon jardin …

Cette chronique a été conçue en partenariat avec le site « le potager permacole » sur lequel on trouve : des ressources sur la permaculture et le jardinage naturel, une formation gratuite sur la conception d’un potager permacole et la première revue numérique sur la permaculture à prix libre. Cette chronique paraîtra donc sous une mise en forme différente dans le numéro de juillet-août de cette revue en ligne. 

Bibliographie 

Plantes médicinales. P. Fournier. SNHF 1999

Dictionnary of plant lore. DC Watts. Ed. Elsevier 2007