Parietaria judaica

S’il on ne devait citer qu’une plante emblématique des vieux murs, je choisirais la pariétaire omniprésente au plus près de l’Homme sur les vieux murs, les tas de pierres, les berges enrochées, les talus rocheux créés par l’Homme, … Elle pénètre jusqu’au cœur des grandes villes comme dans Paris où elle se montre aussi à l’aise au pied des murs que suspendue en des lieux improbables à la faveur d’une fissure. Elle est tellement associée à l’homme qu’on ne la trouve que très rarement dans des milieux rocheux « naturels » dans toute sa vaste aire de répartition originelle qui couvre l’Europe occidentale, méridionale (son bastion principal) et centrale, l’Asie du sud-ouest et l’Afrique du nord ; elle reste confinée à basse altitude et ne dépasse pas (pour l’instant !) 700m en altitude. Cette plante compagne a tissé avec l’homme des liens très anciens de plante médicinale mais aussi de plante disons domestique et industrielle (laissons un peu de surprise !). Mais au cours des dernières décennies, en lien avec le réchauffement global notamment, elle a connu une forte expansion dans la région méditerranéenne et pose de sérieux problèmes de pollinoses (allergies liées au pollen) qui la rapprochent à ce niveau de la célèbre ambroisie. Découvrons donc ces deux facettes de la pariétaire, souvent méconnue à cause de sa floraison peu voyante.

Urticacée

En fait, ici, nous allons parler d’une des trois espèces de pariétaires que l’on peut rencontrer dans notre pays, la pariétaire de Judée, celle qui vit accrochée aux murs ou à leurs pieds. Cette plante vivace forme des touffes ancrées dans une fissure par une souche robuste, et avec de nombreuses tiges qui ne dépassent guère 50cm de long ; rougeâtres et ramifiées, velues, plus ou moins pendantes à redressées au bout, elles portent des feuilles alternes, entières, ovales avec 2 à 3 nervures bien visibles, longues de un à trois centimètres en moyenne et pointues au bout. Par en dessous, elles arborent des poils accrochants que l’on sent au toucher.

La floraison, très étalée dans le temps notamment en région méditerranéenne culmine au printemps mais aussi en automne, hors des périodes chaudes et sèches. C’est alors qu’on réalise qu’elle s’apparente aux orties (famille des Urticacées) avec ses minuscules fleurs disposées en glomérules axillaires composés de trois types de fleurs : des hermaphrodites, des femelles uniquement (pistil) et des mâles (étamines et pollen) ; chaque mini-fleur (il faut une loupe !) se trouve entourée de 3 à 4 pièces courtes qui restent accrochées même après la floraison. Les fleurs femelles donnent des graines noires luisantes de 1mm de long !

Deux autres espèces vivent en France : la pariétaire portugaise (P. lusitanica) du Midi aux tiges très fines fragiles et non velue et la pariétaire officinale (P. officinalis) qui vit çà et là dans toute la France au sol souvent dans des friches ou le long des cours d’eau ; c’est une plante dressée avec de longues feuilles.

Saxicole

La moindre fissure lui suffit pour s’implanter avec une préférence pour les murs ombragés

La pariétaire fait partie des plantes saxicoles poussant sur les parois rocheuses même si elle est aussi capable de croître à même le sol au pied des murs. Parietaria, le nom latin créé par le naturaliste romain Pline dérive de paries pour paroi et renvoie donc directement à ce mode de vie. Au Moyen-âge, on trouve d’autres variantes de ce nom comme paritaire, paritoire, ou aparitoyre ! On trouve aussi les surnoms de murale, herbe des murailles, de perce-muraille ou de casse-pierre. Ceci fait peut-être allusion à la faculté des racines de la souche d’attaquer la roche ou le substrat minéral à l’aide d’exsudats phénoliques libérés par celles-ci. Elle se comporte comme une plante indifférente poussant aussi bien sur des parois ou murs au pH acide que très alcalin ce qui traduit asa grande plasticité. Elle affectionne le calcaire (ou les murs avec du ciment calcaire) qui présentent pourtant un très fort déficit en fer du fait de leur composition (1) ; pour compenser ce manque de fer, la plante bascule son métabolisme vers une autre voie de synthèse de composés phénoliques exsudés par la racines et qui réussissent à mobiliser le fer inorganique dans la roche.

Le surnom d’épinard de murailles rejoint la comestibilité de la pariétaire (proche de l’ortie rappelons-le) ; on peut la consommer cuite ou crue en salade (les jeunes pousses) mais il faut se méfier des plantes en ville qui concentrent la pollution de l’air dont les métaux lourds sur leurs feuilles !

Les anglais la nomment pellitory-of-the-wall ; or, le mot pellitory désigne par ailleurs certaines plantes composées médicinales dont la camomille marocaine (Anacylus pyrethrum) mais aussi la grande camomille (Tanacetum parthenium) ; or, dans les vieux jardins avec des murettes ou des murs de briques, cette dernière y pousse souvent elle aussi ; y a t’il eu amalgame entre ces simples ou bien, comme le suggèrent certains auteurs, s’agit-il simplement d’une déformation de parietary ?

Récurant

Plusieurs noms populaires établissent un lien avec le verre ou les vitres : herbe au verre ; herbe à verres ; vitriole ; vitréole ou la version allemande glaskraut. C’est que la pariétaire avec son feuillage riche en éléments minéraux et en poils accrocheurs s’avère être une excellent plante à … récurer  et polir le verre ! Le tampon à récurer de la campagne : il suffisait de sortir dans la rue ou le jardin et de cueillir une poignée de pariétaire pour frotter et nettoyer la vaisselle mais aussi les surfaces vitrées ! On retrouve des mentions de cet usage ancien dans des textes arabes et hébreux du Moyen-Age (2) : le lexicographe syrien Bar Bahlul du 10ème siècle écrivait « la plante Xine (son nom local) est l’herbe au verre et sert à polir le verre ». On trouve dans ces textes des détails sur le mode d’emploi : placer une poignée de plante fraîche dans l’ustensile sale en verre, mettre à tremper dans l’eau et ensuite secouer le récipient jusqu’à ce que la saleté parte. On l’utilisait aussi pour nettoyer les miroirs qui, à l’époque, étaient souvent des plaques de cuivre polies : donc, elle peut aussi polir le cuivre.

De Judée ?

Son épithète latin judaica repris dans le nom commun (Pariétaire de Judée) intrigue mais ces mêmes textes (2) apportent des informations intéressantes : Al-Biruni (937-1048) indique que la pariétaire utilisée pour récurer et polir le verre est présente en Palestine ce qui est confirmé par d’autres textes qui indiquent cet usage répandu en Syrie et en Palestine. Un médecin marocain Al-Ghassani (1548-1611) ajoute : « on produit de l’alcali à partir de cette plante : elle sert à nettoyer le verre, à le polir et à enlever la saleté collée dessus ». L’alcali, mélange de sodium et potassium, était autrefois fabriqué en faisant brûler dans des fours spéciaux des plantes halophytes (vivant sur des terrains salés) telles que les soudes et les salicornes dont la soude kali répandue sur nos côtes. On obtenait ainsi un produit minéral dur qui était réduit en poudre, laquelle servait ensuite soit à fabriquer du verre soit à le polir. Il se pourrait donc bien que la pariétaire ait joué ce rôle de source d’alcali.

Les deux chercheurs israéliens (2) ont analysé le contenu minéral de la pariétaire et l’ont comparé avec d’autres plantes. Elle est très riche en potassium (voire plus que la soude kali) et en sodium et chlorures. Dans cette région de Syrie/Palestine au Moyen-Age il y avait une industrie très prospère de fabrication de verre connu dans toute l’Europe pour sa qualité. On devait donc récolter la pariétaire sur place sur les murs en début d’été au moment où elle contient le plus de potassium et elle a donc très bien pu servir aussi à la fabrication directe du verre à partir de cette poudre d’alcali !

Simple

La pariétaire possède aussi un solide bagage de plante médicinale d’autant que son mode de vie urbain au plus près des hommes facilitait grandement son usage : il suffisait de sortir dans la rue et, en plus, elle est vivace et persiste en hiver !

Une légende souvent rapportée l’associe à une aventure du bâtisseur Périclès relatée par Pline : pendant la construction de l’Acropole, un esclave avait fait une mauvaise chute ; Périclès, averti par Athéna en songe, utilisa la pariétaire qui poussait en abondance sur l’Acropole et réussit à guérir les blessures ; de ce jour, les Grecs l’auraient baptisé parthenion (Athéna Parthenos est une statue célèbre de cette déesse) ; cependant, l’interprétation des textes anciens laisse beaucoup d’incertitude quant à la vraie nature de la plante car la grande camomille porte aussi ce qualificatif de parthenium et elle est aussi une plante médicinale majeure et pousse aussi sur les vieux murs parfois !

La pariétaire du fait de son mode de vie sur et dans la pierre s’est vue attribuer des propriétés diurétiques et anti-calculs selon le principe de la théorie des signatures (la pierre = les calculs) et les surnoms déjà cités de perce-pierre allaient dans ce sens. De même ses tiges rougeâtres ont été interprétées comme la signature du sang d’où son emploi comme vulnéraire (pour soigner les blessures).

Voici ce qu’en dit Olivier de Serres (1539-1619), agronome auteur de la Théorie d’Agriculture et mesnage des champs :

« Pariétaire avec beaucoup de facilité vient cette herbe car elle croît sur des murailles sans nul soin d’où elle a pris le nom. On l’appelle aussi perdicum d’autant que les perdrix en mangent volontiers, helxine parce qu’elle a rude semence s’attachant aux habits. …… Cette herbe est bonne pour ouvrir les hémorroïdes, broyée et appliquée en cataplasme, aussi pour retenir le boyau avalé, apaiser la colique, les gouttes, résoud les apostumes de la pierre, apaisant ses douleurs. »

La pariétaire accompagne les hommes … tout au long de leur vie !

Le côté obscur

Après toutes ces éloges, venons en à la face négative de la pariétaire : les allergènes de son pollen (tout comme celui des orties, ses proches parentes d’ailleurs) sont une des causes les plus courantes de pollinose dans les pays méditerranéens où la plante est très commune et connaît même une forte expansion. Ce pollen provoque des symptômes d’asthme, de rhinite et de conjonctivite allergiques. De plus en pus de gens deviennent sensibilisés à ce pollen dans les grandes villes. En Italie, jusqu’à 70% des « rhumes des foins » proviennent de l’exposition à ce pollen. En région méditerranéenne, sa période de floraison est très longue puisqu’elle couvre tout le printemps depuis février jusqu’au début de l’été et une partie de l’automne.

Des études menées en Grèce (3) établissent un lien direct avec le réchauffement climatique ; la durée de production de pollen s’est accrue de … 85 jours entre 1981 et 2006 dans la ville de Thessalonique avec un net décalage vers la floraison de printemps de plus en plus précoce ; la charge de pollen s’est accrue de 25% car l’espèce prospère de plus en plus. Les populations installées sur des murs exposés au sud fleurissent plus tôt et plus longtemps que celles exposées au nord ce qui confirme bien cet effet climatique.

Ainsi de plante compagne de l’homme, fidèle et bienveillante, la pariétaire est devenue un cauchemar et tout çà à cause de la folie des hommes d’autant qu’elle a été introduite ailleurs dans le Monde où elle cause les mêmes effets (comme au Chili ou en Australie).

La pariétaire pénètre jusqu’au coeur des villes : ici, dans Paris près du parc Montsouris

BIBLIOGRAPHIE

  1. Low iron availability and phenolic metabolism in a wild plant species (Parietaria judaica L.). Liliana Tato et al. Plant Physiology and Biochemistry (2013) 1-9
  2. Wall Pellitory as a Glass Cleaning Material in the Land of Israel in the Middle Ages. DAVID ILUZ AND ZOHAR AMAR. Economic Botany, 62(1), 2008, pp. 85–89
  3. Parietaria judaica flowering phenology, pollen production, viability and atmospheric circulation, and expansive ability in the urban environment: impacts of environmental factors. Christina Fotiou et al. Int J Biometeorol (2011) 55:35–50

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la pariétaire de Judée
Page(s) : 30-31 Guide des plantes des villes et villages