Quiconque désire « se mettre à la botanique » pour connaître les plantes qui l’entoure comprend très vite la nécessité de développer un sens aigu de l’observation attentive. En effet, les plantes sont pour nous, êtres du monde animal, des êtres hyper étranges devant lesquels nous nous sentons perdus, sans points de repère (voir les autres chroniques sur Homme et végétal). Se pose donc le problème associé des choix des bonnes méthodes pour observer de manière adéquate et efficace afin d’accéder aux précieux sésames que sont les noms d’espèces, une des étapes clés (mais ce ne doit pas être une fin en soi) dans la connaissance de ces non-humains si présents autour de nous. : regarder de loin ? photographier ? dessiner ? décrire ? récolter et faire un herbier ? … Autant d’approches qui ne s’excluent pas entre elles mais qui n’ont peut-être pas le même potentiel d’efficacité pour entrer en contact avec les plantes. Une équipe anglaise a mené une étude comparative entre deux de ces méthodes les plus citées pour s’initier à la botanique : la description écrite et le dessin d’observation, ce que nous avons traduit par la métaphore de la plume et du crayon. 

Eloge du dessin 

L’identification des plantes requiert des observations précises et détaillées et la capacité de se rappeler des critères diagnostiques en s’appuyant sur le dessin et/ou la description. L’observation s’avère particulièrement cruciale pour les plantes car, contrairement aux animaux, elles ne fournissent ni signaux comportementaux (tout au moins directs), ni mouvements directs, ni signaux auditifs (ou très limités). Face à ce challenge, le dessin impose encore plus une étude rapprochée du sujet et présente a priori l’avantage d’exposer toute la complexité morphologique du végétal, notamment en permettant d’accentuer les caractères importants ; le dessin implique plus « d’engagement » avec le sujet végétal que le texte descriptif et il permet aussi de contourner l’obstacle du vocabulaire technique lié à la discipline. Des études antérieures ont montré que la connaissance des enfants à propos de la structure et du fonctionnement des plantes s’améliore quand on leur demande de produire à la fois des dessins et des textes sur des plantes observées. On sait aussi que produire des dessins légendés aide à la mémorisation et facilite la récupération visuelle car pour dessiner il faut d’abord se créer un modèle mental interne que l’on projette ensuite sur le papier visuellement. 

Par contre, d’autres études soulignent un inconvénient du dessin : il freinerait les apprentissages en imposant une charge mentale excessive : se concentrer sur la réalisation du dessin détournerait l’attention et imposerait une charge cognitive plus forte que écrire. Mais, en fait, cet inconvénient serait avant tout lié à la moindre pratique générale du dessin par rapport à l’écriture surreprésentée : lire et compter sont les deux grands objectifs nobles mis en avant de l’éducation en primaire … mais pas dessiner ! Ceci induit généralement, jusque chez les adultes, une forte réticence à dessiner faute d’aisance et souvent on adopte une attitude de dévalorisation personnelle par rapport à notre capacité à dessiner. 

Novices au ban d’essai 

Liste des espèces étudiées et ayant servi lors des tests post-stage

Au Royaume-Uni, ont été mis en place des « Laboratoires de plein air » pour initier le grand public à la découverte de la biodiversité et entraîner à l’identification des espèces : ainsi, les personnes formées peuvent ensuite s’impliquer plus à fond dans des actions locales de suivi ou de conservation de la biodiversité. Ces laboratoires ont donc servi de cadre d’étude à l’occasion de plusieurs stages dédiés à l’identification des plantes locales et accueillant un public complètement novice en botanique mais désireux de s’initier.

Deux groupes de quatre espèces étudiées pendant le stage ont été sélectionnés, des espèces assez communes mais a priori peu connues du grand public, et ont servi de tests quant aux capacités d’observation et d’identification. Pour chacune des espèces, on a retenu une espèce proche d’aspect (pas forcément de la même famille), prêtant à confusion mais non présentée pendant les ateliers : on utilise ces « espèces-pièges » pour évaluer les performances lors des tests post-stages. Selon les groupes de stagiaires, on leur demande soit de dessiner les quatre plantes et de légender le plus possible leur dessins, soit de rédiger des textes descriptifs. 

Pour évaluer les productions graphiques et écrites, les chercheurs se sont appuyés sur une liste de caractères-clés diagnostiques obtenus par compilation de plusieurs flores et guides de référence.

Les stagiaires remplissent par ailleurs deux questionnaires, un avant et un après le stage, à propos de leurs impressions, motivations, difficultés, …. 

On se lâche ! 

L’analyse fine des résultats engrangés montre que les deux techniques, dessiner et rédiger, améliorent toutes les deux l’identification des espèces et la reconnaissance des caractères morphologiques diagnostiques des espèces. L’amélioration apportée reste modeste mais néanmoins significative compte tenu du fait que le personnes testées étaient vraiment complètement novices et qu’elles participaient à cette occasion à leur première initiation à la botanique. 

L’étude montre aussi que pour les stagiaires sondés les deux techniques demandent la même charge mentale contrairement aux données acquises avec des enfants (voir ci-dessus) : donc, même si apparemment le dessin n’apporte pas un bénéfice significativement supérieur, il n’induit pas de charge cognitive susceptible de freiner l’apprentissage. 

Et pourtant les questionnaires révèlent bien l’a priori « auto-dévalorisant » envers le recours au dessin : un quart des stagiaires disent a postériori que dessiner est plus dur qu’écrire alors que leurs dessins analysés s’avèrent corrects et assez complets ! Il est aussi révélateur qu’un plus grand nombre insiste sur leur capacité limitée à dessiner avancée comme un problème par rapport à la difficulté à nommer les caractères botaniques dans les descriptions. Autrement dit, nous avons, en moyenne (sauf les « doués du dessin » d’avance), une forte tendance à reculer devant l’usage du dessin par peur d’être « ridicule », « mauvais » et sans doute en nous référant aux « superbes dessins » des ouvrages d’identification. Alors, faisons fi de cet obstacle et prenons nos crayons pour dessiner : ces dessins de terrain sont avant tout destinés à nous-mêmes et non pas à être édités et passés au crible de la critique artistique ! 

Préférence dessin 

Alors, si les deux se retrouvent à égalité, pourquoi préférer le dessin ? Le dessin semble se détacher quand même car presque 70% des stagiaires ont dit préférer dessiner à rédiger des notes écrites : l’activité dessin est perçue comme plus ludique et éducative. Or, on connaît l’importance capitale du plaisir qui promeut la motivation et l’intérêt, deux moteurs clés dans les apprentissages, chez les jeunes et les moins jeunes. 

L’analyse des dessins produits montre aussi qu’ils apportent une plus grande richesse d’informations avec plus de caractères morphologiques inclus par rapport aux descriptions écrites. Le dessin se montre plus efficace pour délivrer des informations qui demanderaient du temps à être décrites. Si on soumet à des enfants l’étude de phénomènes complexes (comme le cycle de l’eau), on constate qu’ils recourent aux dessins pour décrire les configurations et relations spatiales entre phénomènes et réservent l’écriture pour décrire les fonctions et processus liées à ces phénomènes. Ceci a aussi été testé en physique-chimie. 

Les dessins produits ici ont rapidement été exécutés et portent pourtant une bonne part des informations diagnostiques et les stagiaires avancent que cela a développé leurs sens de l’observation. Un quart d’entre eux disent qu’il leur a été plus facile de se construire une image mentale de la plante à partir d’un dessin : dessiner oblige à observer systématiquement chaque partie de la plante. Les auteurs anglais utilisent à ce propos une métaphore avec le verbe to draw, dessiner : dessiner vous tire vers la plante (to draw = tirer). Autrement dit, le dessin vous ferait plus entrer en communication avec la plante. 

Métaphores 

Feuille d’orme : les grosses dents sont elles-mêmes dentées (dents de second ordre)

Côté descriptions, 90% des participants n’ont pas utilisé de termes botaniques techniques dans leurs textes : normal, ils étaient vraiment des novices ! Néanmoins, ils n’ont pas été rebutés par ce manque de connaissances techniques en recourant à l’usage de métaphores descriptives. Ainsi pour décrire en texte la double bordure dentée des feuilles des ormes, ils parlent de « en forme de dents de scie » ou pour les trichomes glanduleux des succises de « petites pointes avec une petite boule au bout ». Même des structures très peu connues (stipules, bractées, ochréas) ont été décrites tant bien que mal de cette manière. 

Cet aspect a toute son importance pour les éducateurs et formateurs : le vocabulaire botanique rebute rapidement les novices et constitue souvent un repoussoir. Il faudrait donc plus s’appuyer dans un premier temps sur de telles métaphores ou images pour appréhender la diversité de la morphologie des plantes ; ainsi, parler de « feuilles au milieu des fleurs » pour les bractées ou «  de petites feuilles à la base des feuilles » pour les stipules. En tout cas, a minima, associer une telle image au terme technique nouveau ce qui facilite la mémorisation et lève les inhibitions. C’est un peu le même problème que celui des définitions d’un terme où un mot sur deux de la définition est lui-même complexe et qu’il faut aller chercher le sens dans le dictionnaire : mission impossible ! 

Certaines de ces images émises par des novices méritent d’être valorisées et proposées à tous. Ainsi, pour décrire la silicule particulière des tabourets (brassicacées), l’image du siège de tracteur (voir la chronique courte sur le tabouret perfolié) s’avère très efficace ! 

Action 

Au final cette étude dessine ( !) quelques grandes lignes d’attention  par rapport à l’initiation à la botanique. 

Inciter le public à suivre des formations en dessin pour augmenter la confiance en soi et lever cet a priori souvent négatif envers son usage. A cette occasion, des exercices tels que observer longuement un spécimen puis de le cacher et de réaliser des dessins de mémoire permettent d’améliorer la mémorisation visuelle ; quelques techniques simples mais importantes sont ainsi acquises comme indiquer systématiquement l’échelle des dessins !  

Une autre voie intéressante apportée par d’autres études est d’inciter les apprenants à choisir eux mêmes les plantes qu’ils ont envie d’étudier. L’engagement affectif s’avère bien plus fort et aide à améliorer l’intérêt et l’attention. 

Inciter au recours aux métaphores et images dès qu’on bute sur un obstacle et inciter à les partager avec les autres : l’enrichissement collectif a toute son importance et constitue un puissant stimulant. 

Souvent dans l’observation d’une plante, les petits détails ou structures sont oubliés : or, nombre de caractères diagnostiques relèvent souvent de micro-détails, pas forcément difficiles à appréhender mais demandant une attention plus focalisée. Il faut donc attirer l’attention des observateurs sur la nécessité de « parcourir » toute la plante et de s’arrêter au moindre détail. 

Faire absolument découvrir par rapport à l’observation des détails cet outil magique qu’est la loupe compte-fil à main, un outil peu cher mais extraordinaire de puissance : une révélation souvent pour les novices et une autre source majeure de motivation. Le pont vers le dessin est alors tout  tracé : un œil sur la loupe et l’autre sur le crayon ! Allez : au travail ! 

Bibliographie

A comparison of descriptive writing and drawing of plants for the development of adult novices’ botanical knowledge. B. C. Stagg ; M. F. Verde. Journal of Biological Education 2018