Pelecanus

Les pélicans actuels comptent parmi les plus grands (jusqu’à 3,40m d’envergure) et les plus lourds (jusqu’à 13kg) des oiseaux capables de voler mais ce qui retient le plus l’attention c’est leur bec énorme et vraiment à nul autre pareil. Il est d’abord remarquable par sa longueur : il atteint 50cm de long chez le pélican australien qui possède le bec le plus long parmi tous les oiseaux ! Le nom de pélican, tiré du latin pelecanus, dérive de pelekus qui signifie « double hache », belle image à propos de ce bec remarquable. La mandibule supérieure renforcée par une arête saillante qui se termine par un crochet court capable de retenir une proie glissante comme un poisson à la manière du bec des cormorans, d’assez proches cousins. Mais il se distingue surtout par l’immense poche de peau qui se rattache aux bords de la mandibule inférieure et forme une véritable épuisette à poissons, proies quasi exclusives de ces oiseaux.

Mode d’emploi

Sous l’eau, en plongée, ou depuis la surface, le pélican ouvre grand son bec tout en avançant ; la poche, presque invisible au repos car plaquée contre la mandibule inférieure, se distend alors largement (grâce à un mécanisme abordé aux paragraphes suivants) et se remplit d’eau, plus éventuellement des poissons. L’oiseau referme son bec : la mandibule supérieure s’ajuste pile sur l’inférieure et le crochet « verrouille » le piège qui se referme ; mais il doit au préalable vider l’énorme quantité d’eau accumulée (jusqu’à plus de 13 litres chez les grandes espèces, soit le poids de son propre corps !) en sortant la tête de l’eau : l’eau s’échappe des deux côtés à peine joints des mandibules, aidée en plus par la rétraction de la poche. Cette vidange laborieuse peut prendre jusqu’à une minute. Parfois, les plus petites proies peuvent s’échapper sur les côtés : aux Caraïbes, les pélicans bruns subissent ainsi le harcèlement de certaines espèces de mouettes ou de noddis qui guettent leur sortie de l’eau (ils plongent entièrement à la manière des fous) et n’hésitent pas à se poser sur la tête du pélican pour mieux se saisir de ce qui dépasse du bec. Enfin, le pélican relève le bec en l’air et avale les éventuelles proies prises au piège. Pour les plus grosses prises, l’oiseau les saisit avec le crochet, les projette en l’air pour les assommer avant de les avaler d’un coup la tête en avant.

Une épuisette aux usages multiples

Contrairement à une légende tenace, les pélicans ne se servent pas de leur poche pour transporter les poissons jusqu’au nid et nourrir les petits ; cela serait pratiquement impossible tant l’oiseau serait déséquilibré. Cette croyance provient du comportement de nourrissage des jeunes : ces derniers enfournent littéralement leur bec dans le gosier des parents pour récupérer les poissons (ou la bouillie prédigérée) que ceux-ci régurgitent laborieusement ; vu de loin, ces scènes donnent l’impression que les jeunes se « servent » directement dans la poche. Comme ils ressortent souvent des morceaux pleins de sang, cela a suscité une autre croyance religieuse : celle du pélican qui se sacrifie pour nourrir ses petits avec son propre cœur, ce qui en a fait un symbole de piété dès le Moyen-Age.

Comme toute structure nouvelle acquise au cours de l’évolution et a priori dédiée à une fonction précise, la poche-épuisette du bec est devenue un outil multi-usages avec des fonctions secondaires. Par temps chaud, les pélicans ouvrent largement le bec et la poche étendue palpite ce qui permet d’évacuer la chaleur, un peu à la manière des chiens qui halètent avec leur langue. Plus étonnant encore, cet usage de « récupérateur d’eau de pluie » observé chez le pélican australien : il ouvre largement le bec, la poche distendue, quand il pleut pour recueillir des gouttes d’eau et s’abreuver ainsi avec de l’eau douce ! Enfin, cette poche de peau nue colorée ne manque pas d’être impliquée dans les parades nuptiales ou les échanges entre individus et devient donc un outil de communication.

Une épuisette extensible

L’efficacité de la poche du bec en tant qu’épuisette à poissons, sa fonction première malgré tout, tient à sa capacité de distension et donc d’engloutir un gros volume d’eau pour avoir des chances de capture. Pour bien comprendre son fonctionnement, nous allons prendre l’exemple du pélican brun d’Amérique du nord dont le bec a fait l’objet d’une étude approfondie (1).

Squelette du bec de profil avec les deux mandibules ajustées l'une sur l'autre

Squelette du bec de profil avec les deux mandibules ajustées l’une sur l’autre

La poche en elle-même possède déjà une élasticité importante qui autorise son extension jusqu’à accueillir un volume dépassant les dix litres d’eau. La paroi de la poche possède un tissu épais extensible très élastique et riche en collagène et qui renferme une couche musculaire. Mais pour être efficace, la poche doit être distendue avant même d’être remplie pour happer des poissons : il faut donc un mécanisme actif capable de la tendre au maximum. Elle est rattachée à la mandibule inférieure qui, comme chez la majorité des oiseaux, a une structure très fine, résultant de la fusion complexe de plusieurs os allongés ; cette mandibule forme un cadre elliptique très allongé constitué de deux arcs séparés au repos par un espace de 5cm de large et soudés à la pointe. Le pélican est capable de déformer (par l’intermédiaire de muscles) cette mandibule dans sa portion médiane et terminale la faisant passer à près de 15cm de large ce qui augmente la surface d’ouverture de l’épuisette qui atteint alors 500cm2.

Mais comment une structure osseuse peut t’elle ainsi se déformer ? Des coupes au scanner et des analyses du contenu minéral des différentes parties de la mandibule inférieure apportent une explication. La partie osseuse juste en arrière de la soudure des deux arcs, à la pointe, bien que pleine en section possède un très faible taux de minéralisation (20% environ), ce qui autorise une certaine déformabilité. En arrière de cette zone, toute la partie médiane correspond en fait à la jonction entre deux os très étroits qui se raccordent l’un sur l’autre avec des espaces de tissus connectif entre eux ; le contenu minéral plus élevé (environ 50%) n’empêche donc pas sa courbure justement à la hauteur de la jonction des os qui peuvent bouger un peu l’un par rapport à l’autre. Enfin, la partie basale de la mandibule, plus robuste, qui présente une section creuse et un contenu minéral élevé, assure la fonction de « manche » de l’épuisette. Ainsi, par ce jeu subtil de répartition de la minéralisation et des raccords entre os, la mandibule inférieure réussit à subir cette spectaculaire déformation.

A tout ceci, il faut ajouter un autre élément : la langue. Très courte comparée au bec immense, elle possède son propre squelette composé d’os hyoïdes très fins ; lors de l’ouverture du bec, elle appuie à la base de la poche qu’elle tire ainsi au maximum vers le bas. Sa musculature participe par ailleurs aussi à l’extension ou à la rétractation au repos de la poche.

Une publication récente (4) montre plusieurs ressemblances frappantes avec … les  rorquals au niveau de l’appareil buccal, résultat d’une convergence liée au même mode alimentaire : engouffrer une grosse quantité d’eau filtrée dans un second temps pour retenir la nourriture. Des baleines parmi les oiseaux : voici donc une nouvelle image originale à propos de ces fascinants oiseaux.

BIBLIOGRAPHIE

  1. MANDIBULAR BOWING AND MINERALIZATION IN BROWN PELICANS. RON A. MEYERS AND RENE P. MYERS The Condor 107:445–449
 ; 2005
  2. Site HBW : les pélicans http://www.hbw.com/family/pelicans-pelecanidae
  3. The world of birds. J. Elphick. Natural History Museum. 2014
  4. Convergent Evolution Driven by Similar Feeding Mechanics in Balaenopterid Whales and Pelicans. Daniel J. Field, Sheng Chuan Lin, Micha Ben-Zvi, Jeremy A. Goldbogen and Robert E. Shadwick. The Anatomical Record. Volume 294, Issue 8, pages 1273–1282, August 2011

A retrouver dans nos ouvrages

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