Passer domesticus

Le moineau domestique fait partie de ces espèces animales entièrement dépendantes de l’Homme et des habitats qu’il a créé autour de lui tant au niveau de la campagne avec l’agriculture que dans les villes. On le qualifie de ce fait de commensal obligatoire de l’Homme. La répartition « ancienne et naturelle» du moineau recouvre une grande partie de l’Eurasie jusqu’en Chine et en Inde vers l’Ouest et jusque dans la vallée du Nil en Afrique. Tout laisse à penser que cette vaste répartition résulte d’une expansion plus ou moins ancienne en lien avec l’histoire de l’humanité et plus particulièrement le développement de l’agriculture. Plus récemment, au cours des derniers siècles, le moineau a entrepris, souvent directement aidé par l’homme, une seconde conquête aux Amériques, en Afrique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande : cet aspect ne sera pas abordé dans cette chronique.

Comment, quand et où s’est tissée cette relation si étroite entre le moineau domestique et l’Homme reste une question ouverte qui vient de recevoir un nouvel éclairage grâce à des analyses génétiques.

L’ancienne hypothèse

Sur l’ensemble de la vaste aire naturelle du moineau, on distingue pas moins de onze sous-espèces que l’on divisait traditionnellement en deux sous-groupes :

  • le groupe paléarctique : les sous-espèce domesticus type (majeure partie de l’Europe et de l’Asie continentale), biblicus (Turquie, Proche et Moyen-Orient), tingitanus (Afrique du nord), niloticus (basse vallée du Nil) et persicus (Iran, Afghanistan)
  • le groupe oriental ou « indien » : les sous-espèces indicus (Inde jusqu’en Arabie), rufidorsalis (haute vallée du Nil et Mer Rouge), hyrcanus (sud de la Caspienne), hufufae (corne orientale de la péninsule arabique), bactrianus (Tukménistan, Iran, Kazakhstan, Pakistan) et parkini (Cachemire et Népal).

Sur le terrain, les délimitations entre sous-espèces restent localement incertaines avec des zones de transitions entre certaines d’entre elles, y compris entre des sous-espèces du premier groupe (comme persicus) et du second (comme indicus). La distinction des sous-espèces repose sur des variations de teinte des dessous (de blanc à gris), de répartition du roux et du noir sur le plumage et de la taille. Ainsi, les sous-espèces du groupe oriental sont plus petites en moyenne, avec un bec plus petit et ont le dessus vivement coloré et un ventre clair.

Une hypothèse émise dans les années 1950, s’appuyait sur cette répartition en deux groupes supposés distincts : deux lignées différentes se seraient différenciées à la fin du Quaternaire (entre – 25 000 et -15000 ans BP) à cause des épisodes glaciaires qui les auraient isolées, bien avant l’avènement de l’agriculture humaine, l’une vers l’Ouest sans doute au Proche-Orient et l’autre à l’Est en Inde. Ensuite, avec le retour d’un climat plus favorable, elles auraient suivi l’Homme dans son expansion avec le développement de l’agriculture. Cette hypothèse supposait donc ultérieurement deux adaptations indépendantes à l’environnement agricole comme commensal obligatoire profitant des graines de céréales issues des cultures et des lieux de stockage dans les villages

Faire parler l’ADN

Une équipe de chercheurs (1) vient d’analyser, à partir de prélèvements sanguins, l’ADN de 181 moineaux domestiques provenant de 37 localités réparties dans 17 pays et recouvrant 7 des 11 sous-espèces dans les deux grands groupes mentionnés ci-dessus.

Les analyses statistiques montrent que les différentes sous-espèces sont en fait génétiquement très proches, très peu différenciées et qu’on ne peut discerner aucune dichotomie entre deux sous-groupes, même si morphologiquement ils présentent quelques différences. Autrement dit, ces résultats indiquent nettement un seul événement d’adaptation du moineau comme commensal obligatoire de l’Homme. De plus, ils plaident en faveur d’une expansion beaucoup plus récente que celle précédemment avancée : entre – 7000 et – 3500 ans seulement, soit après l’avènement du développement de l’agriculture humaine. Les premiers villages humains et les cultures associées qui ont commencé il y a environ 10 000 ans ont du servir de déclencheur pour un rapprochement du moineau avec l’Homme via la nourriture abondante fournie toute l’année sous forme de grains de céréales.

On peut être un peu surpris d’observer que des différences morphologiques relativement avancées aient pu se développer en un espace de temps aussi court mais on connaît d’autres exemples très bien documentés d’évolution très rapide comme chez les pinsons de Darwin ou dans le groupe de la bergeronnette printanière (Motacilla flava). De plus, lors de l’invasion récente de l’Amérique du nord depuis 1853, on a pu observer une nette différenciation des populations de moineaux entre l’Est et l’Ouest au niveau de la taille et de la coloration.

Un moineau des steppes comme modèle

Il reste à déterminer à partir de quel lieu et de quel type de population a eu lieu cette expansion irrésistible. La région du Moyen-Orient, berceau historique de l’agriculture, semble être le point de départ tout désigné pour le début de cette histoire. Tous les fossiles connus de moineaux domestiques datant d’avant – 10 000 ans proviennent de cette région. La diversité génétique des moineaux actuels de cette région s’avère effectivement plus élevée qu’ailleurs mais pas tant qu’on aurait pu le penser.

Parmi les sous-espèces connues, bactrianus (voir ci-dessus) que nous surnommerons le moineau de Bactriane (du nom de l’ancien empire à cheval sur l’Afghanistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan) se distingue par son comportement unique : il est migrateur (contrairement à toutes les autres sous-espèces strictement sédentaires) et va hiverner au sud de son aire en Inde. En plus, il recherche des milieux herbeux semi-naturels ou naturels et ne pénètre pas dans les villages.

Récemment, suite à l’expansion de la sous-espèce type domesticus, une zone de contact se créa avec ce moineau de Bactriane. Or, on a alors constaté que ces deux sous-espèces ne s’hybridaient pas ce qui avait conduit certains à considérer ce moineau de Bactriane comme une espèce différente. Or, l’analyse génétique menée ici montre que bactrianus reste génétiquement proche et que l’isolement reproducteur observé tient sans doute à la différence d’écologie vu qu’ils ne fréquentent pas les mêmes milieux. Les auteurs de l’étude considèrent ce moineau de Bactriane comme une population relictuelle du moineau domestique ancestral, non commensal complètement affranchi de l’Homme. Une population proche de ce moineau de Bactriane se serait donc adaptée à l’environnement agricole relativement récemment et aurait ensuite diffusé géographiquement tout en évoluant rapidement en sous-espèces assez différenciées morphologiquement.

BIBLIOGRAPHIE

Single origin of human commensalism in the house sparrow. G.-P.SÆTRE, S.RIYAHI, M.ALIABADIAN, J.S.HERMANSEN, S.HOGNER, U.OLSSON, M.F.GONZALEZROJAS, S.A.SÆTHER, C.N.TRIER, T.O.ELGVIN. Journal of Evolutionnary Biology. Vol. 25 ; 788-796 ; 2012

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le moineau domestique
Page(s) : 436 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la notion de sous-espèce
Page(s) : 299-304 Guide critique de l’évolution
Retrouvez l'évolution des Pinsons des Galapagos
Page(s) : 312-330 Guide critique de l’évolution