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Merle noir sur un poste de chant en hauteur.

Diverses études ont déjà montré que la plupart des oiseaux urbains avaient une période de reproduction plus longue, notamment par la fait qu’ils commencent plus tôt à se reproduire. Ainsi chez le merle noir il a déjà été démontré que mâles et femelles voient la reprise d’activité de leurs glandes sexuelles (testicules et ovaires), qui signe le début de la saison de reproduction, avancée de 3 semaines en moyenne. On a invoqué pour expliquer ce processus les apports artificiels de nourriture en milieu urbain, le climat urbain plus chaud en moyenne (effet îlot de chaleur) et du fait des densités élevées une stimulation sociale plus intense. Il restait en plus l’hypothèse de l’influence de l’éclairage nocturne jamais démontrée sur le terrain. C’est ce que vient de faire une équipe allemande grâce à un protocole expérimental très sophistiqué qui mérite d’être détaillé tant il est astucieux !

Evaluer l’éclairage reçu

On sait depuis longtemps notamment par les élevages de volailles que prolonger artificiellement l’éclairage modifie la croissance et l’activité des oiseaux qui y sont soumis. Le problème c’est que les doses de lumière en jeu n’ont rien à voir avec celles reçues par des oiseaux urbains : les lampadaires éclairent certes fortement mais dès qu’on s’éloigne un peu l’effet lumineux diminue grandement.

Pour contourner cet obstacle, les chercheurs ont eu une idée …. lumineuse : capturer des mâles de merles noirs, les équiper de capteurs miniaturisés qui enregistrent en continu l’éclairage effectivement reçu, les relâcher dans leur milieu et les recapturer une semaine plus tard pour recueillir les données enregistrées. En plus, ils ont mené cette évaluation sur des merles de villes (à Munich) mais aussi sur des merles de forêt afin de pouvoir ultérieurement les comparer.

Disposant donc de moyennes d’éclairage nocturne effectivement reçu, les chercheurs ont pu entamer la phase d’expérimentation proprement dite.

Expérimenter en intérieur

En juillet 2010, ils capturent 20 mâles urbains et 20 mâles forestiers et les placent dans cages individuelles dans des volières extérieures pour les acclimater. Fin novembre, les merles sont transportés dans deux chambres intérieures (chacun dans leur cage). Dans chaque chambre, on place 10 merles ruraux et 10 merles urbains. Là, ils sont exposés à un cycle lumineux qui reconstitue scrupuleusement ce qui se passe à l’extérieur en termes de durées jour/nuit (avec même une période de transition qui imite le lever du jour !).

Dans une chambre (le groupe de contrôle), un éclairage nocturne quasi nul (0,0001lux) est maintenu tandis que dans l’autre (groupe expérimental), un éclairage indirect avec des lampes du type de celles utilisées pour l’éclairage public maintient une intensité de 0,3 lux la nuit, ce qui est la moyenne reçue par les merles urbains (valeur obtenue avec la phase précédente de l’étude). A partir de mi décembre, les chercheurs effectuent tout un ensemble de mesures : évolution de la masse graisseuse ; évaluation de l’avancée de la mue ; dosage des hormones sexuelles dans le sang ; suivi de la taille des testicules (rappelons qu’il ne s’agit que de mâles) ; enregistrement des chants matinaux.

Des résultats très …. éclairants

Chez les merles (ruraux et urbains confondus) soumis à un éclairage nocturne de 0,3 lux, le développement des testicules commence en moyenne 26 jours plus tôt ! La sécrétion de testostérone (l’hormone sexuelle mâle) commence de ce fait plus tôt. Le pic de chant matinal est nettement avancé en mars. La mue commence en moyenne 22 jours plus tôt. Par contre, aucun effet n’est observé sur la masse graisseuse.

Ces résultats très marqués ne manquent pas d’étonner quand on sait que l’intensité lumineuse utilisée ici (0,3 lux) n’est que le vingtième de celle produite par une ampoule de lampadaire ! Il y a donc bien un effet stimulant de l’éclairage nocturne même faible sur le déroulement de la reproduction, effet majeur puisque la saison de reproduction se trouve rallongée de presque un mois ! Cependant, dans cette étude, on n’a testé que des mâles et il reste à savoir si les femelles suivent le même rythme ; les études précédentes (voir introduction) indiquent bien que l’avancée de la période de reproduction des merles urbains concerne aussi bien mâles et femelles. Cela permet peut-être à ces oiseaux de faire une nichée de plus mais le succès est-il pour autant au rendez-vous ? Un mois plus tôt, la météo et la nourriture disponibles sont moins favorables …. sauf si l’effet réchauffement global s’intensifie ?

Comment la lumière nocturne agit-elle ? Deux hypothèses sont avancées : une action sur les processus métaboliques (dépenses d’énergie et activité) et une action via la mélatonine, hormone dont la production est sensible à la lumière.

Merles des villes versus merles des forêts ?

Si on différencie les merles urbains des merles forestiers soumis à ce régime d’éclairage nocturne, il apparaît des différences significatives : l’activité sexuelle commence en moyenne 13 jours plus tôt chez les merles urbains par rapport aux merles forestiers ; les urbains maintiennent leurs testicules fonctionnels 3 jours de plus et la mue des urbains commence 13 jours avant celle des forestiers !

Les chercheurs analysent les biais possibles induits par leur démarche et pouvant expliquer de tels écarts : les urbains, plus habitués aux humains, auraient ils moins « souffert » des conditions expérimentales en cage ? Le fait que la masse graisseuse n’ait pas changé chez les urbains comme les forestiers semble infirmer ce doute.

On peut donc penser que les merles urbains auraient acquis une certaine photosensibilité à la lumière plus marquée car l’urbanisation aurait modifié leur physiologie (leur fonctionnement interne) ; on parle de changement phénotypique qui ne se transmet pas génétiquement.

Cette étude met donc en évidence l’impact majeur de l’éclairage nocturne (même limité !) sur la reproduction des oiseaux urbains avec des conséquences à moyen et long terme difficiles à anticiper mais aps forcément positives pour les espèces touchées. Un argument de plus pour lutter contre la pollution lumineuse des villes !

BIBLIOGRAPHIE

Artificial light at night advances avian reproductive physiology. Proc R Soc B 280: 20123017. Dominoni D, Quetting M, Partecke J. 2013.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le merle noir
Page(s) : 239 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le merle noir
Page(s) : 409 Le Guide Des Oiseaux De France