Cygnus olor

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En France, comme dans de nombreux autres pays, le cygne tuberculé connaît une nette expansion (4) avec une forte augmentation des populations nicheuses et une tendance à l’expansion géographique. Une bonne partie de la population estimée entre 5 et 10 000 couples nicheurs dérive soit d’oiseaux captifs élevés dès le Moyen-Age dans les parcs des châteaux puis les jardins publics, soit d’oiseaux sauvages venant d’Europe de l’Est. La colonisation du pays entamée au début du 20ème siècle s’est accélérée depuis les années 1970-80 et désormais le cygne tuberculé occupe une bonne partie du territoire en-dessous de 500m d’altitude ; en parallèle, la population hivernante (sur les côtes et les grands plans d’eau et lacs) a elle aussi connu une forte augmentation avec plus de 20 000 individus recensés en 2012.

Cette expansion soulève des craintes quant à son impact négatif sur l’environnement des milieux aquatiques à deux niveaux : le comportement agressif des cygnes envers les autres oiseaux d’eau (qui sera abordé dans une autre chronique) et les prélèvements de végétaux aquatiques effectués par cette population croissante, aspect que nous allons développer ici.

Des brouteurs spécialisés

Grâce à son long cou et à la technique du « culbutage » (voir la chronique sur les cygnes, girafes à l’envers), le cygne tuberculé accède à une ressource alimentaire assez spécialisée : les herbiers de plantes aquatiques submergées, flottantes ou enracinées au fond de l’eau peu profonde (moins de 2m). Une étude suédoise (3) indique que 95% de son régime se compose de cette végétation submergée pendant la belle saison.

Il récolte essentiellement le feuillage et les graines de ces plantes (soit la partie hors-vase sous l’eau ou en surface), ce qui représente les ¾ de sa consommation ; le ¼ restant concerne des parties sous la vase, nombre de plantes aquatiques émergées possédant des organes souterrains chargés en réserves nutritives que les cygnes arrachent en piochant avec leur bec au fond de l’eau (voir la chronique sur les girafes à l’envers). Parmi les plantes aquatiques très consommées figurent en eau douce les potamots (et notamment le potamot crépu), les naïades, les cératophylles (qui n’ont pas de racines), les élodées, les myriophylles et en eau salée ou saumâtre, les zostères ou les ruppies, plantes à fleurs formant de vastes herbiers sur les espaces côtiers.

Exceptionnellement, les cygnes peuvent consommer des petits animaux ou venir pâturer sur terre, notamment en milieu urbain (où en plus ils profitent du pain et des débris des pique-niqueurs sur l’herbe !) ou en fin d’hiver en milieu naturel quand les herbiers submergés déclinent.

Un prélèvement conséquent

Des études menées en Suède indiquent qu’un cygne adulte (dont le poids varie de 7 à 15 kg) (3) consomme chaque jour au moins 3,5kg de matière végétale brute pouvant atteindre les 4 kg en période de mue ou en hiver. En plus d’être « les girafes des plans d’eau » nos cygnes sont autant des « vaches des fonds vaseux » !

On comprend donc d’emblée les craintes quant à un éventuel surpâturage des fonds aquatiques et les conséquences sur les écosystèmes : ces herbiers jouent notamment un rôle majeur pour la reproduction et le cycle de vie de nombre d’organismes aquatiques : crustacés, mollusques, insectes aquatiques, poissons, … Qu’en est-il vraiment de cet impact du pâturage des cygnes tuberculés ? Deux études différentes apportent leur éclairage sur cette question.

En hiver

Une étude a été conduite dans le détroit du Sund entre la Suède et le Danemark pendant la période hivernale (1) : là, de vastes herbiers de zostères et de ruppies se trouvent à la porté des cygnes tuberculés dans des eaux très peu profondes, le plus souvent en-dessous de 3m de profondeur au gré des marées. Là, en hiver, des rassemblements comptant de 1500 à 2500 cygnes tuberculés se nourrissent de septembre à mars, avec des pics de concentration en automne au moment de la mue ou lors des hivers très froids puisque ces zones tardent à prendre en glace du fait des courants marins. Sur cette vaste zone d’étude, on évalue la consommation hivernale des cygnes entre 780 et 1200 tonnes de végétaux, des zostères essentiellement. En période sans glace (quand toute le secteur est accessible aux cygnes), cela représente moins de 10% de la ressource disponible ; mais, lors d’hivers très froids, le gel de zones entières concentre les cygnes sur des secteurs restreints qui échappent à la prise des glaces : et là, le prélèvement équivaut à la ressource disponible ; autrement dit, ponctuellement dans le temps et l’espace, les cygnes, par leur présence en nombre, peuvent éliminer toute la biomasse végétale présente (qui se reconstituera sans problèmes car ce sont des plantes vivaces) : ceci soulève le problème de la disponibilité de ressources pour d’autres oiseaux d’eau qui les consomment aussi tels que les bernaches cravants, les canards siffleurs ou les foulques macroules (qui ne sont pas des canards mais des râles plongeurs).

Sur l’année

Une autre étude (2) a été conduite aux U.S.A. ; là-bas le cygne tuberculé a été introduit au début du 19ème par les colons et depuis il a colonisé toute la moitié Est des U.S.A. ; il continue de connaître une expansion remarquable avec localement (comme dans la baie de Chesapeake, le plus grand estuaire de la côte Est) des augmentations de …. 1200% là où la végétation est abondante. Dans l’Illinois où cette étude a été menée, le cygne commence récemment à progresser avec des densités de 150 oiseaux pour 1500 hectares de plans d’eau quand même. Une expérience sur 1,5ans a consisté à construire 18 exclos, des zones inaccessibles aux cygnes en érigeant des clôtures ad hoc et à comparer la biomasse de végétaux aquatiques dans ces exclos et dans les zones ouvertes aux cygnes.

La biomasse végétale dans l’eau (submergée) mais au-dessus de la vase n’est pas significativement affectée dans les zones libres même si les moyennes restent un peu plus fortes dans les exclos ; les myriophylles à épi (espèce invasive aux U.S.A.) et les cératophylles sont les plus consommés. Par contre, la biomasse végétale (appareils racinaires) dans la vase se trouve significativement affectée puisque qu’elle est de 51% plus élevée dans les exclos que dans les zones libres ; dans 13 des 18 exclos, on constate que cette biomasse sous la vase est plus élevée. Comme l’essentiel de la consommation des cygnes concerne la biomasse hors de la vase (75% : voir le premier paragraphe), on peut donc penser qu’il s’agit d’un effet indirect : le feuillage prélevé diminue la capacité des plantes à se nourrir par photosynthèse ce qui les amène à piocher dans leurs réserves souterraines pour assurer quand même leur croissance et pouvoir se reproduire. De plus, la création d’espaces dénudés favorise l’expansion d’espèces invasives telles que les myriophylles (aux U.S.A.). Les auteurs de l’étude concluent qu’à moyen terme la pression alimentaire des cygnes peut avoir des effets cumulatifs sur les herbiers submergés tant au niveau quantitatif que qualitatif surtout si la progression des populations de cygnes se poursuit à ce rythme. Il y a d’ailleurs aux U.S.A. un vaste débat national sur l’opportunité de limiter les populations de cygnes avec des projets de programmes d’abatages massifs qui soulèvent de nombreuses oppositions.

On voit donc que si les populations de cygne tuberculé poursuivent leur expansion, cela pourrait créer peut-être des problèmes écologiques au moins localement dans les zones humides moins productives ou connaissant des concentrations hivernales importantes d’oiseaux d’eau ; mais pour l’instant, en France, rien ne permet d’affirmer que les populations de cygnes tuberculés altèrent la végétation aquatique des plans d’eau de manière négative. En tout cas, on ne peut pas utiliser cet argument pour justifier les demandes récentes de « régulation » (autrement dit d’abattages) !

Gérard GUILLOT : Zoom-nature.fr

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Wintering swans Cygnus spp. and Coot Fulica atra in the Öresund, South Sweden, in relation to available food recources. LEIF NILSSON. ORNIS SVECICA 15: 13–21, 2005.
  2. Impacts of Mute Swans (Cygnus olor) on Submerged Aquatic Vegetation in Illinois River Valley Backwaters. Joshua D. Stafford & Michael W. Eichholz & Adam C. Phillips. Wetlands 2012
  3. Handbook of the Birds of the World Alive : http://www.hbw.com/species/mute-swan-cygnus-olor
  4. Atlas des oiseaux de France métropolitaine. Volume I : des Anatidés aux Alcidés. N. Issa ; Y. Muller. Delachaux et Niestlé. 2015

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le cygne tuberculé
Page(s) : 68 Le Guide Des Oiseaux De France