13/09/2021 On associe très souvent les escargots terrestres à des lieux humides, ombragés et frais ; et pourtant un bon nombre d’espèces vivent dans des milieux semi-arides à arides, chauds et ouverts, très exposés aux ardeurs du soleil. C’est le cas notamment en région méditerranéenne qui héberge une riche biodiversité de ces animaux mais aussi plus au nord dans des milieux très exposés comme des coteaux calcaires plein sud ou les dunes du bord de mer ou même au cœur de déserts réputés pour leur inhospitalité Chaleur et sécheresse, souvent liées, posent des problèmes majeurs de survie aux escargots terrestres : comment réussissent-ils à affronter ces obstacles climatiques par leurs comportements ? 

Le boulet des origines 

L’un des besoins les plus importants des escargots terrestres est l’humidité : on les compare à « des outres d’eau qui suintent » essayant de survivre sur terre. Leur corps renferme au moins 80% d’eau et, en dehors de la coquille protectrice (sauf pour les limaces !), le reste du corps n’a qu’une peau mince et perméable comme seul rempart aux pertes en eau. Les escargots sont des Mollusques, des animaux au corps mou, un vaste groupe qui s’est diversifié en milieu marin originellement, sans cette contrainte du risque permanent de dessèchement au contact de l’air. Des trois grands groupes de Mollusques (Lamellibranches ou bivalves, Céphalopodes et Gastéropodes), seul ce dernier a développé des lignées évolutives vers la vie en eau douce ou vers la vie terrestre ; cette conquête du milieu terrestre depuis le milieu marin (« la sortie de l’eau ») a eu lieu à plusieurs reprises dans deux des trois grands sous-ensembles des Gastéropodes.

Le groupe renfermant la plus forte proportion d’espèces terrestres, les Pulmonés, réunit les escargots qui ne respirent plus avec une ou des branchies mais avec un organe particulier nommé « poumon » qui correspond en fait à la cavité générale richement irriguée en vaisseaux sanguins (donc radicalement différent des poumons des vertébrés !) ; ce poumon communique avec l’extérieur par un orifice ou pneumostome. Depuis des zones côtières, des estuaires ou des mangroves, on pense que des espèces marines ont évolué d’une part vers la vie en eau douce (lignée à part des Hygrophila avec les limnées, planorbes, …) et d’autre part, à plusieurs reprises, directement vers la vie terrestre avec les escargots terrestres et les limaces. 

Les limaces sont aussi des Gastéropodes Pulmonés terrestres mais la majorité d’entre elles ont complètement perdu la coquille protectrice.

Dans le sous-ensemble des Prosobranches, composé essentiellement d’espèces marines, là aussi, quelques lignées, à plusieurs reprises de manière indépendante, ont conquis le milieu terrestre mais essentiellement dans des milieux tropicaux ; ils ont perdu à cette occasion leur respiration par des branchies. Ces « autres » escargots terrestres ont conservé par ailleurs de leurs origines un organe bien particulier, l’opercule : c’est ce petit couvercle bien connu chez les bigorneaux qui permet à ces escargots de refermer leur coquille une fois le corps rétracté à l’intérieur. Dans notre faune, l’exemple le plus frappant et assez répandu est l’élégante striée, un petit escargot typique des coteaux calcaires. Dans toute la suite de cette chronique, ne seront envisagées que les espèces du groupe des Pulmonés, de loin les plus nombreuses et les plus diversifiées.

Ce retour aux origines nous rappelle que les escargots restent fondamentalement des êtres « aquatiques » et que le milieu terrestre représente pour eux un réel challenge. On notera néanmoins qu’une double caractéristique les prédisposaient en quelque sorte à cette sortie de l’eau : une coquille dure et la capacité de rétracter son corps entièrement à l’intérieur de celle-ci en cas de danger et notamment face à l’aléa de la sécheresse ou de la chaleur. 

Aux limites du possible 

Confrontés à une période de sécheresse, les escargots aux légendaires moyens de déplacement très limités ne peuvent pas fuir et se réfugier vers des milieux moins défavorables, comme les transhumances migratoires de divers vertébrés. Et pourtant, ils peuvent avoir à affronter de telles périodes durant au moins plusieurs mois, parfois plusieurs années, sans pluie et sans humidité suffisante pour rester actifs sans risquer une rapide déshydratation. La chaleur s’avère tout aussi dangereuse : au-delà d’une certaine température la mort survient et les canicules peuvent engendrer des épisodes de mortalité massive dans nos régions à climat modéré. Ainsi, deux espèces vivant chez nous dans les dunes côtières, milieux très arides et exposés au dessèchement prolongé en été, la caragouille rosée (Theba pisana) et le cornet étroit (Cochlicella acuta) ne survivent pas dans un air à une température de 55°C au-delà de quelques heures ; leur limite supérieure se situe vers 50°C. 

Et pourtant, diverses espèces habitent des milieux semi-arides à arides souvent en populations prospères importantes comme dans le désert du Néguev au Proche-Orient où de nombreuses études ont été conduites sur leur capacité à affronter chaleur et sécheresse. La mortalité associée à la chaleur reste basse pour ces espèces et leur capacité de résistance a de quoi surprendre. Dans le Néguev israélien, plusieurs espèces du genre Sphincterophila passent l’été sur place avec des températures des substrats atteignant les … 70° ; leur corps survit à des températures internes de 55° et ils peuvent endurer de longues périodes sans aucun apport d’eau que ce soit sous forme de pluie ou de rosée. 

Ces exemples spectaculaires ne sont pour autant que des exceptions qui visiblement traduisent des adaptations très efficaces suite à une évolution dans des environnements chauds et secs. Pour la majorité des espèces vivant dans des milieux moins exposés, ces seuils de chaleur létale sont plus bas … ce qui au passage soulève l’inquiétante perspective des effets du réchauffement climatique en cours avec ses épisodes de canicule/sécheresse déjà très marqués jusque sous des latitudes tempérées. 

Cette escouade de soucoupes communes a profité d’une forte pluie pour sortir sur un mur exposé en plein soleil

Les escargots terrestres se trouvent confrontés à un dilemme permanent : exposer leur corps le plus et le mieux possible au soleil pour faire monter leur température interne car ce sont des animaux « à sang froid » (ectothermes) tout en évitant la surchauffe létale et la déshydratation. Pour gérer cette contradiction, ils doivent composer avec plusieurs composantes : l’insolation directe ; la conduction de la chaleur par les substrats sur lesquels ils se déplacent ou se reposent ; la convection, i.e. la circulation de l’air autour d’eux ; l’évaporation de l’eau corporelle ce qui d’un côté refroidit le corps mais d’un autre le déshydrate. Au cours de l’évolution, les escargots terrestres ont donc développé tout un ensemble d’attitudes comportementales couplées avec leur fonctionnement interne (physiologie) et permettant plus ou moins de résoudre ce dilemme en apparence insoluble. 

S’enterrer ou grimper

La stratégie d’évitement de la surchauffe/déshydratation la plus simple consiste à rester à l’ombre si la végétation du milieu le permet. Ainsi, les escargots de la famille des Succinidés qui habitent des milieux marécageux avec de hautes herbes bougent activement vers les zones ombragées dès que leur température interne monte trop. Le bagué viennois, un escargot d’Europe centrale et orientale, hôte des coteaux bien exposés sélectionne des sites bien abrités de l’insolation directe, avec des buissons par exemple. La caragouille rosée (voir ci-dessus) limite ses activités à des périodes moins défavorables dans la journée : la nuit, tôt le matin et/ou tard le soir ; ce comportement basique semble répandu chez de nombreux escargots ce que savent bien les « chasseurs » d’escargots. 

En mai, sur un coteau calcaire, ces escargots trouvent refuge le jour sur une touffe ; ils n’estivent pas car ils reprennent l’activité le soir et la nuit.

Mais, tout ceci ne fonctionne que si le milieu abrite une végétation ad hoc susceptible de servir d’abri mais que faire dans les milieux arides désertiques ou dunaires ? Certaines espèces comme l’escargot du désert du Néguev s’enterre à une profondeur de 1 à 5cm pour échapper au soleil impitoyable en été ; de même, le bagué viennois s’abrite sous terre pendant la période estivale. Mais le comportement le plus répandu consiste à grimper le plus haut possible sur divers supports disponibles dans les milieux dénudés : tiges sèches, poteaux, piquets, troncs d’arbres, vitres, … La caragouille rosée, la caragouille globuleuse ou l’hélicelle des Balkans (espèce orientale introduite dans le bassin méditerranéen) pratiquent couramment cette transhumance en mode « courte échelle » !

Ces poteaux d’un parking de plage (Vendée) servent de refuge pour les caragouilles

A priori un tel comportement semble suicidaire puisque ce faisant les escargots s’exposent encore plus au soleil ! Oui, mais ils s’éloignent ainsi du sol souvent dénudé qui accumule la chaleur ; des mesures effectuées en Afrique du sud montrent une baisse de la température de 8°C entre le sol et à un mètre en hauteur. Par contre, dans les milieux abrités avec des buissons, les espèces ne montent pas dans les tiges car là l’effet ne se produit pas sans doute pour des raisons de conduction de la chaleur par le bois. 

Faire le mur !

La hauteur optimale à choisir pour en tirer un bénéfice maximal dépend de multiples facteurs : l’insolation ; la température et la circulation de l’air, la température du sol sans oublier l’orientation du corps par rapport au soleil et le choix de micro-habitats ; ainsi, souvent, ces escargots se placent près des limbes (feuilles) des graminées quand ils escaladent des tiges. 

Rassemblement de cornets étroits sur les éphédras (rais-de-mer) dans les dunes de Vendée

Se regrouper 

Rassemblement de caragouilles rosées sur des feuilles de Panicaut champêtre dans les dunes

Quiconque parcourt les dunes atlantiques en été a forcément remarqué ces amas très voyants de caragouilles rosées sur divers substrats (voir ci-dessus). Ces regroupements réduisent la température corporelle des individus les plus à l’intérieur du groupe et font baisser la température du substrat ainsi caché ce qui profite à tout le groupe. Pour avoir un effet significatif, ces regroupements doivent être importants avec une préférence pour les faces les plus ombragées des supports choisis.

Quand les individus restent ainsi longtemps (en estivation : voir ci-dessous), ils se tiennent le plus souvent l’ouverture dirigée vers le haut car le flux de chaleur peut se dissiper via la circulation de l’air. Dans ce comportement, pour un groupe donné, il y a des gagnants et des perdants relatifs selon la place plus ou moins à l’intérieur. On ne sait pas si ces groupes naissent simplement d’une forme de compétition pour les meilleures places quand leur nombre reste limité ou bien si le groupe résulte d’une « volonté » ou intelligence collective d’un groupe de congénères de disposant mutuellement les uns par rapport aux autres. Il se peut aussi que les groupes proviennent de la limitation des espaces favorables comme par exemple au sommet des limbes des feuilles où ils tendent à escalader leurs congénères. 

Les touffes raides des yuccas : un support apprécié des caragouilles rosées qui doit en plus décourager des prédateurs !

Dans les dunes atlantiques, les caragouilles rosées profitent des nombreux poteaux et ganivelles implantés pour protéger les dunes contre la circulation humaine : un effet collatéral bénéfique inattendu ; de même, ils adoptent souvent les longues feuilles coriaces et larges des yuccas, une espèce exotique invasive : comme quoi, être invasif n’a pas forcément que des inconvénients pour la biodiversité ! 

Estiver

L’ultime comportement très répandu y compris chez nombre d’espèces de milieux tempérés consiste à entrer en vie ralentie sur une durée plus ou moins longue tant que persistent chaleur et sécheresse, autrement dit a minima la période estivale. Les escargots choisissent alors de limiter au strict minimum leur activité pour minimiser les pertes en eau mais perdent ainsi la possibilité de se développer durant cette partie de l’année ; d’autant que souvent ils vont devoir effectuer le même processus en hiver, cette fois pour échapper aux températures trop basses et au gel (hibernation). Dans les déserts, cette estivation peut même s’étendre sur une année ou plus quand les rares précipitations ne surviennent pas ! 

Quand ils se fixent sur un substrat en hauteur (voir ci-dessus), le plus souvent en groupes (voir ci-dessus), ils ferment l’ouverture de leur coquille par une membrane épaisse calcifiée : l’épiphragme ; perméable à l’air (même en vie ralentie, il faut de l’oxygène !), il limite néanmoins fortement les pertes en eau. Selon son épaisseur et sa dureté, cet épiphragme retiendra plus ou moins l’eau et permettra une estivation plus ou moins longue. Il ne faut pas confondre cette structure temporaire, re-fabriquée à chaque estivation avec l’opercule corné permanent des escargots terrestres prosobranches (voir paragraphe 1) comme l’élégante striée.

On a étudié les pertes en eau chez les escargots du désert du Néguev ; chaque nuit, ils récupèrent un peu d’eau mais le lendemain ils en perdent un peu plus. L’eau est absorbée la surface externe de la coquille la nuit et s’évapore le jour suivant ; ceci se trouve confirmé par les variations des coquilles vides qui suivent le même processus. Les pertes en eau se situent autour de 0,45mg/jour ; à ce rythme, un individu de 4 gr. dont le corps contient 1,4 g d’eau peut survivre … quatre ans sans apport d’eau direct en supposant qu’il supporte de perdre la moitié de l’eau de son corps. En général, la capacité à retenir de l’eau semble répandue chez une majorité d’espèces ; ainsi l’escargot vert des jardins (Cantareus apertus) peut estiver six mois et ne perdre que 14% de son eau.

En cas d’épisode de chaleur intense qui risque d’être létal, les escargots sont obligés de recourir à une certaine perte d’eau car l’évaporation refroidit alors leur corps ; mais ceci ne peut se faire que sur une courte durée ! 

Réveil

Chez la caragouille rosée, la sortie de l’estivation est déclenchée soit par des basses températures soit au contraire par des températures au-delà de 40° (voir ci-dessus) ; ainsi, les espèces méditerranéennes se montrent actifs en automne et hiver et estivent le reste du temps. Inversement, au nord en Grande-Bretagne, la caragouille rosée hiberne en hiver à cause du froid mais n’estive pas en été sauf épisodes exceptionnels. Le réveil suscité par des hautes températures peut aussi provenir d’un choix peu pertinent du site d’estivation ; ainsi, ils disposent d’une courte fenêtre pour tenter de trouver un nouveau site plus frais ou moins desséché mais le temps est compté avec les risques de se dessécher trop vite ! Souvent, l’estivation proprement dite est précédée par une période intermédiaire où l’escargot grimpe chaque jour sur un site adéquat et redescend le soir ou de nuit pour se nourrir ; ainsi, il a le temps de tester les sites les plus favorables. Les caragouilles rosées peuvent estiver dans des buissons fermés en position plus basse que celle des individus qui optent pour des sites plus exposés ; ceux-ci n’ont souvent pas d’autre choix, le nombre de places pouvant être limité compte tenu de l’importance des populations. Au fil des allées et venues évoquées ci-dessus, ils vont peut-être finir par trouver des sites plus favorables après plusieurs essais. 

Même le « monde moderne » fournit des supports inattendus (clôture plastique en bord de mer) pour ces cornets étroits !

Un autre problème émerge avec l’estivation : la fermeture de l’ouverture limite aussi les apports d’oxygène d’autant qu’elle est collée au support choisi. On ne sait pas clairement si l’oxygène atteint le corps en passant par l’épiphragme ou par la coquille. Le rôle majeur de la coquille, par sa forme, sa coloration et sa composition, est d’ailleurs tout aussi déterminant dans la survie des escargots mais n’est pas abordé dans cette chronique centrée sur les aspects comportementaux. 

On voir donc que la vie des escargots terrestres en été est souvent sur le fil du rasoir et qu’ils se maintiennent dans les milieux secs au prix de compromis complexes, inattendus de la part d’animaux trop souvent considérés comme « inférieurs » et limités ! 

Bibliographie

From sea to land and beyond – New insights into the evolution of euthyneuran Gastropoda (Mollusca). Annette Klussmann-Kolb et al. BMC Evolutionary Biology 2008, 8:57