Matricaria disoidea

07/05/2020. Vous l’avez forcément croisée, probablement très souvent, sur les chemins cette petite plante herbacée à la floraison verdâtre discrète … mais néanmoins fort attractive si on la regarde de près. Peut-être qu’une odeur agréable vous a parfois interpellé en la piétinant sans le savoir ; l’herbe-ananas mérite doublement la peine qu’on se penche : prendre une feuille et la frotter entre ses doigts pour humer son parfum délicieux ! Et que dire de son histoire rocambolesque de plante invasive mais pas vraiment envahissante et de sa capacité à coloniser des sites improbables au plus près des hommes. 

Micmac 

L’herbe-ananas a connu plusieurs noms latins avec l’évolution de la classification botanique tout comme plusieurs autres espèces plus ou moins proches ; tout ceci a entretenu des confusions qui persistent dans nombre de publications. 

Ainsi, l’herbe-ananas a été un temps classée dans le genre Chamomilla, abandonné depuis, mais toujours utilisé en homéopathie. On la range désormais dans le genre matricaire (Matricaria) et elle porte le nom vernaculaire (le nom « commun ») de matricaire fausse-camomille, dérivé de son ancien nom latin M matricariaoides. Ce qualificatif la démarque d’une autre espèce du même genre, la matricaire camomille (M. chamomilla) (autrefois M. recutita !), une plante sauvage des friches cultivées devenue bien rare ; il ne faut pas confondre cette dernière avec la grande camomille (Tanacetum parthenium) que l’on appelait autrefois aussi matricaire odorante mais qui est en fait proche parente de la tanaisie. Nombre de gens qui parlent de « la » camomille font référence à cette dernière … ou bien à une autre plante très cultivée comme ornementale et médicinale, la camomille odorante ou camomille romaine classée quant à elle dans le genre Chamaemelum (C. nobile) après avoir été longtemps placée dans le genre Anthemis

Toutes ces plantes citées ci-dessus partagent le point commun d’avoir un feuillage très odorant si on le froisse (avec des nuances très différentes néanmoins), ce qui reflète leurs nombreuses propriétés médicinales. L’herbe-ananas entre complètement dans ce club avec son odeur très aromatique que d’aucuns comparent soit à des pommes très mûres un peu blettes, soit à un mélange de camomille et de fraise, soit comme l’avancent nos collègues anglo-saxons à une nette odeur d’ananas, d’où son nom populaire de pineappleweed. Cette qualité a été retenue dans l’épithète de son dernier latin officiel (définitif ?) : M. suaveolens : même sans être familier du latin, on reconnaît la racine suave. Pour finir avec ce micmac taxonomique, signalons qu’il existe une autre composée très commune dans les cultures et les friches, surnommée matricaire inodore, et qui ressemble beaucoup à la « vraie » matricaire camomille citée ci-dessus. Autrefois, on la classait dans le genre Matricaire (sous le nom de M. perforata) ; aujourd’hui, elle est assignée au genre Tripleurospermum, sous le nom de T. inodorum.

Allez, une petite tisane de camomille pour chasser les maux de tête … euh oui mais laquelle ??

La discrète 

Premier indice pour reconnaître l’herbe-ananas : elle forme presque toujours des peuplements denses, exclusifs (avec cette seule espèce). Pour autant, elle ne forme pas des tapis couchés mais chaque pied est bien séparé de son voisin car il s’agit d’une plante annuelle même si elle a un port trapu qui fait penser à une vivace. Hautes de 30 cm au maximum, les tiges assez épaisses et ramifiées portent des feuilles moyennes très finement divisées en segments filiformes très serrés … comme de nombreuses autres composées.

La floraison qui s’étale de mars à novembre avec un pic à partir de mai apporte un indice décisif car notre herbe-ananas arbore alors des capitules (des « groupes » de petites fleurs serrées typiques des composées ou astéracées) uniques d’aspect. Au bout des tiges dressées, des pédoncules dénudés de quelques centimètres au plus portent chacun un capitule très bombé conique formé de dizaines de minuscules fleurs tubulaires verdâtres (fleurons), hyper serrés, avec une corolle très réduite à quatre lobes. Contrairement à toutes les autres espèces citées ci-dessus, notre herbe-ananas ne possède pas de « languettes » blanches à la périphérie des capitules (des ligules) du type marguerite pu pâquerette. C’est pourquoi on la surnomme aussi matricaire sans rayons (rayless mayweed), avec rayons au sens des ligules rayonnantes. Et ceci explique aussi un troisième nom latin que l’herbe-ananas a longtemps porté : Matricaria discoidea ; discoïde, en botanique, signifie que les fleurons, sont répartis sur un disque (ici, plutôt un cône) sans ligules. 

Sous le capitule, comme une coupe de protection et de soutien, se trouve un involucre de petites feuilles (bractées) à pointe blanchâtre disposées sur trois rangs successifs. Si on coupe dans le sens  de la hauteur le capitule, on découvre que tous les fleurons sont plantés sur un organe creux, le réceptacle. A maturité, les fleurons brunissent et donnent des fruits-graines (akènes) finement côtelés ; il n’y a pas d’aigrette de soies plumeuses au sommet de ces fruits comme chez nombre de composées : tout au plus un court rebord membraneux. 

Prolifique 

Un mois et demi après la floraison, les fleurons se transforment donc en fruits : une plante peut en produire de 850 à plus de 7000 : bel exploit pour une plante aussi modeste. L’essentiel de la reproduction doit se faire par autofécondation ce qui assure une fructification abondante même par de mauvaises conditions météorologiques. Effectivement, on observe que les minuscules fleurs attirent très peu les insectes sauf quelques petites mouches.

Faute de dispositif permettant la dispersion par le vent (anémochorie), ces fruits-graines vont tomber au sol sur place. Dès qu’elles se trouvent un peu enterrées dans le sol, à l’obscurité, elles deviennent dormantes et incapables de germer. Elles constituent une banque de graines du sol, une sorte de réserve en attente de conditions favorables pour la germination (voir ci-dessous). Elles peuvent persister ainsi longtemps tout en conservant leur viabilité. Dans une grande expérience à long terme conduite en Alaska depuis 1984, on a testé la longévité des graines de 17 espèces de plantes herbacées, en enterrant des graines dans des filets soit à 2 soit à 15cm de profondeur. Au bout de presque 25 ans, onze espèces avaient conservé une partie de leurs graines viables dont l’herbe-ananas avec 2,6% de graines rescapées ; elle fait aussi bien que la capselle bourse-à-pasteur (voir la chronique sur cette espèce), le chénopode blanc ou la renouée des oiseaux, une espèce qui l’accompagne d’ailleurs souvent. 

Pour germer, les graines doivent recevoir de la lumière même sur une courte durée, surtout après une période de sécheresse. Ainsi, dans un sol non remué, on constate qu’au bout de six ans il reste  17% des graines au bout de six ans ; dans un sol retourné cultivé, le nombre tombe à moins de 9% car de nombreuses graines remises à la surface ont germé. Dans la nature, on observe des pics de germination en mars-mai et une seconde vague en août-octobre, souvent après de fortes pluies. Les plantules grandissent très vite en développant une forte racine pivotante, conséquente pour une plante de taille aussi modeste. Toutes les plantes fleuries meurent avant l’entrée de l’hiver mais les plantules nées en automne et peu développées, peuvent passer l’hiver et redémarrer dès le début du printemps. 

Résistante 

L’herbe-ananas est une spécialiste des lieux piétinés à surpiétinés : le long des routes (l’étroite bande nue qui borde l’accotement vers le goudron), les chemins de terre et notamment la bande centrale, les fonds de carrières, les rues et les places des villages, les cours des fermes, les terrains vagues et décombres ou remblais récents, … Là, elle cohabite avec des plantains (lancéolé, majeur, corne de cerf), la renouée des oiseaux mais ce sont des plantes vivaces. Elle, en annuelle stricte réussit à relever le challenge de ces lieux soumis à un fort stress permanent via le piétinement.

Outre sa germination et sa croissance très rapides avec une racine pivotante puissante pour une simple annuelle, l’herbe-ananas se montre capable d’une forte plasticité et de résilience : même une petite plante de quelques centimètres au plus, stressée et malmenée, réussit à fabriquer au moins un capitule et ainsi assurer sa descendance. Elle résiste par ailleurs aux herbicides et, passé le stade de 2 à 6 feuilles, les jeunes plants supportent le désherbage thermique avec un chalumeau ! La seule chose qu’elles ne tolèrent pas, c’est l’ombre : aussi, dès que leur milieu de vie évolue vers une colonisation de vivaces développant un couvert végétal dense, elle disparaît. 

Plus récemment, elle s’est adaptée aux cultures sur des sols compactés, profitant de la richesse en azote du fait des engrais. A cause du facteur lumière, elle ne peut coloniser que les cultures sarclées comme les betteraves ou les cultures maraîchères où elle peut devenir abondante et poser des problèmes de gestion.  

Pneumatique 

En France, l’herbe-ananas est omniprésente (sous les conditions vues ci-dessus) des plaines à près de 2200m d’altitude comme dans l’ensemble des zones tempérées de l’hémisphère nord à l’échelle mondiale : on la qualifie donc maintenant de subcosmopolite puisqu’elle s’est aussi installée dans l’hémisphère sud en Nouvelle-Zélande.

Et pourtant, cette espèce n’a été introduite chez nous qu’à la fin du … 19ème siècle. La première mention française date de 1861 dans les Ardennes, échappée de jardins où elle était cultivée comme ornementale. Son expansion dans la moitié nord a été très rapide. On pense qu’elle est originaire du nord de l’Asie, peut-être de Sibérie ; on ne sait même pas si elle était indigène en Amérique du nord où là aussi elle a connu une expansion rapide et générale. Il s’agit là d’une des propagations d’espèce nouvelle les plus rapides du début du 20ème siècle. Mais comment fait-elle alors qu’elle ne dispose d’aucun dispositif de dispersion de ses graines par le vent capable d’expliquer une telle expansion ? 

Son expansion foudroyante a coïncidé avec le développement des voies de communication routières et l’avènement de l’automobile comme moyen de transport. Elle a en fait su profiter d’un « accessoire » nouveau à l’époque : les pneumatiques et leurs sculptures. Très vite, on avait noté qu’elle suivait à la campagne les chemins empruntés par les camions des laitiers. Pendant la seconde guerre mondiale, en Auvergne, dans les zones reculées, on l’associait aux stations de marché noir où les gens venus en véhicules se retrouvaient en cachette ! Ainsi, toujours en Auvergne, où elle n’est apparue qu’en 1920, elle avait envahi toutes les zones montagneuses à climat doux atlantique en moins de … dix ans ! Elle suit aussi les voies ferrées et débarque dans les ports. 

En 1968, en Angleterre, on a réalisé une expérience à propos de cette capacité à faire de l’auto-stop ! On a conduit une voiture aux pneus préalablement bien nettoyés le long de presque 100 km de routes et chemins de campagne après un épisode pluvieux. Au retour, on a démonté les pneus et mis la terre collectée dans les sculptures à incuber dans du compost stérilisé. Treize espèces différentes ont ainsi émergé de cette culture dont 220 jeunes plants d’herbe-ananas. (voir à propos de ce mode de dispersion par les pneus la chronique : On the road again)

Répulsive 

Nous avons insisté sur son parfum si particulier aromatique et agréable, signature d’une certaine richesse en substances chimiques volatiles. Effectivement, cette plante possède des propriétés médicinales qui l’apparentent à sa cousine la matricaire camomille mais en moins « forte » sur le plan anti-inflammatoire par exemple. Son installation récente dans le paysage culturel européen fait qu’elle ne bénéficie pas d’une longue tradition d’usage. Elle est par contre en première place dans les pharmacopées traditionnelles des ethnies du nord de l’Asie et d’Amérique du nord (où elle est présente depuis longtemps). On peut même la consommer en salade mais son amertume prend le dessus sur le délicieux parfum. 

L’arsenal de substances chimiques de ces plantes leur sert avant tout en général de moyen de défense envers leurs prédateurs, les herbivores tels que les insectes et leurs larves. Effectivement, sur le terrain, on constate qu’elle est très peu consommée. En Amérique du nord, on avait observé que certaines ethnies comme les Pieds Noirs l’utilisaient comme répulsif envers les insectes piqueurs. Une étude chimique a démontré la présence de composés aromatiques (comme le terpinéol) aux propriétés répulsives envers les moustiques contre les piqûres. Ceci me rappelle un souvenir d’enfance en Berry où l’herbe-ananas prospérait dans la cour de la maison natale ; nous l’avions repéré pour son odeur si particulière comme source de jeu. Mais, surtout, j’ai vu mon père l’utiliser pour remplir l’enfumoir à abeilles lors du relevé des ruches et il disait que seule cette plante avait la faculté de les repousser. On la vantait aussi pour ses propriétés vermifuges contre les oxyures, courants à la campagne alors ! Preuve que les savoirs locaux, même sur des plantes nouvelles, progressent très vite ! 

Ces défenses odorantes ne repoussent pas tous les assaillants : en témoignent ces colonies de pucerons noirs que j’ai pu observer à l’occasion de mes prises de vue pour cette chronique. De ce fait, ces peuplements d’herbe-ananas en milieu d’agriculture intensive (qui ne la pénalise pas trop vu sa résilience à presque tout !) hébergent de nombreuses coccinelles adultes ou larves … qui pourront ensuite aller chasser les pucerons dans les champs de céréales voisins. Comme quoi, même les plantes dites invasives peuvent aussi rendre des services écosystémiques dans des milieux très dégradés. Autre enseignement strictement personnel : tant que l’on ne se met pas à hauteur de la plante, donc à quatre pattes, on rate forcément divers aspects de celle-ci !

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'herbe-ananas
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