Papilio machaon

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Le machaon est le plus grand de nos papillons de jour avec ses 7 à 9cm d’envergure ; il est répandu dans toute la France . Cette chronique se propose de découvrir le cycle de vie de cette espèce spectaculaire et facile à identifier et à observer tandis que d’autres chroniques à venir aborderont certains aspects notamment concernant la coloration de ces papillons ou du mode de vie de leurs chenilles.

En noir et jaune

La livrée du machaon se démarque par sa coloration de fond jaune intense tachée et veinée de noir. Les ailes antérieures portent dessus une large bordure noire avec une rangée de taches jaunes et un large miroir sombre poudré de jaune à l’angle des « épaules » ; le dessous reste dominé par le jaune avec des veines et des taches noires. Les ailes postérieures sont nettement plus jaunes dessus avec un bord crénelé, une chaîne de cellules jaunes surmontées d’une rangée de taches bleu sombre et un ocelle rouge, cerclé de noir et de bleu ; dessous, le jaune domine encore plus avec un fin réseau de nervures noires, les taches bleues doublées d’une tache rouge orange pour certaines d’entre elles. Reste le signe peut-être le plus distinctif : un prolongement, une « queue » qui s’insère dans le motif crénelé du bord, qui lui vaut le nom anglais de swallowtail (queue d’hirondelle).

Bref, ce portrait évoque l’exotisme : le machaon appartient effectivement à une famille de grands papillons (tous porteurs de « queues » aux ailes) avec près de 570 espèces répandues surtout dans les régions chaudes du globe ; cette famille des Papilionidés compte dans ses rangs les plus grands papillons diurnes du monde, les ornithoptères, dont certains atteignent 28cm d’envergure !

En France continentale, on ne peut guère le confondre qu’avec un autre membre répandu de la même famille, le Flambé (Iphiclides podalirius) d’un jaune nettement plus clair et aux ailes antérieures rayées en long de noir ; dans le Sud-Est vit l’Alexanor (Papilio alexanor) aux couleurs un peu mélangées entre machaon et flambé, avec la base des ailes antérieures jaune ; le porte-queue de Corse ( Papilio hospiton) ,endémique de Corse et Sardaigne a des queues courtes et beaucoup plus de noir sur les ailes.

Un grand voilier

Le machaon, outre sa grande taille, se repère à son vol qui alterne planées et battements rapides des ailes : un grand seigneur qui se déplace sur de grandes distances et rapidement. Même quand il se pose pour butiner des fleurs, il continue souvent à battre rapidement des ailes sur place, pour compenser son poids par rapport au support souvent trop faible. Parfois, il se pose vraiment pour étaler ses ailes et se chauffer au soleil, faisant le plein d’énergie solaire si la température de l’air est basse !

Les adultes recherchent le nectar de toutes sortes de fleurs avec une préférence pour les fleurs rose ou mauves Parfois, ils peuvent venir siroter la vase riche en minéraux d’une flaque d’eau, voire le jus qui s’écoule d’un tas de crottins comme le font nombre d’autres papillons.

Le machaon fréquente toutes sortes de milieux plutôt ensoleillés et chauds et montre une grande adaptabilité : coteaux, vallées, bocages, bords fleuris des routes, talus, prairies de montagne, marais ; dans les jardins qu’ils visitent régulièrement à la campagne, ils sont attirés notamment par les lavandes ou les arbres aux papillons (Buddleias) et peuvent même s’y reproduire (voir ci-dessous). Il monte jusqu’à environ 1800m d’altitude. On peut les observer de fin mars à septembre.

Parades amoureuses

Les mâles recherchent activement les femelles en patrouillant sans cesse le long d’itinéraires choisis qu’ils parcourent inlassablement. Sur les coteaux secs, ils peuvent parfois se rassembler à plusieurs au sommet d’une colline qu’ils survolent, guettant le passage d’une femelle selon le rituel dit du « hill-topping » propre aux grands papillons. Devant une telle pression, les femelles s’accouplent généralement dès le matin de leur éclosion depuis la chrysalide qui a hiverné. L’accouplement dure souvent deux à trois heures. Aussitôt après, la femelle part à la recherche des plantes nourricières en volant bas au-dessus de la végétation ; une fois le choix fait, elle pond ses gros œufs globuleux, d’abord jaunes puis bruns, un par un, sur le feuillage au sommet des plantes les plus vigoureuses.

Amateur d’ombelles

La ponte s’effectue essentiellement sur des plantes de la famille des Ombellifères (ou Apiacées) et parfois (en région méditerranéenne) sur les Rues ou des agrumes qui appartiennent à une toute autre famille éloignée (Rutacées) ; néanmoins, ces plantes partagent pour la plupart une odeur marquée et un contenu chimique souvent toxique pour la plupart des espèces (la famille des Apiacées compte des empoisonneuses célèbres comme les cigües). Parmi les espèces hôtes de cette dernière famille figurent, les peucédans (dont le peucédan d’Alsace), l’angélique sauvage, l’angélique des confiseurs, le fenouil, le persil, la carotte sauvage (ou domestique). Cette dernière lui a valu d’ailleurs le surnom local de carottier et on allait jusqu’à le considérer autrefois (où il devait être bien plus abondant que de nos jours) comme « nuisible ». Il est remarquable que chez cette espèce à très vaste aire de répartition (Europe, Asie et Amérique du nord), il existe de fortes variations dans ces choix ; ainsi en Amérique du nord, les plantes hôtes sont … des composées (armoises et pétasites) !

Des chenilles sur la défensive

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L’éclosion des œufs a lieu une semaine après la ponte, à partir de mai. Au stade jeune, la chenille très sombre et un peu hérissée porte une tache blanche sur le dos et ressemble alors quelque peu à une crotte d’oiseau ce qui doit lui procurer une certaine protection mimétique. Pourtant, elle subit une importante prédation de la part d’araignées qui peuvent détruire jusqu’à 65% des effectifs. A partir de la seconde mue, elle commence à changer d’aspect et adopte alors une livrée d’un beau vert avec des rayures noires parsemées de taches orange, une coloration en apparence voyante mais pas tant que cela au milieu du feuillage souvent très découpé des plantes hôtes. Il existe une certaine variabilité dans l’étendue du noir au stades avancés et certaines chenilles peuvent être sombres avec des taches orange.

La chenille possède une arme défensive très originale (propre aux chenilles des Papilionidés) : inquiétée, elle déploie au niveau de son « cou » (juste en arrière du premier segment après la tête) un organe orange vif, charnu, gonflé et fourchu qui se dresse brusquement, appelé osmeterium. Elle le replie entièrement quelques instants plus tard. Il dégage une forte odeur (comparée par certains à de l’ananas pourri mais difficile à définir en fait ?) qui semble repousser les attaques des fourmis, des guêpes et mouches parasites qui cherchent à pondre leurs œufs sur les chenilles ; par contre, contrairement à ce qui est souvent affirmé, l’osmeterium ne semble pas détourner les oiseaux : dans les Broads du Norfolk (voir ci-dessous) où vit une population de machaons en marais, les bruants des roseaux, les phragmites des joncs et les panures à moustaches consomment 50% des chenilles de machaons !

La chrysalide

Au bout d’un mois de consommation active de feuillage, la chenille cesse de s’alimenter et cherche, le plus souvent dans le bas de sa plante nourricière (contrairement par exemple à la chenille de l’aurore ; voir la chronique sur cette espèce de papillon) ou au plus à dix mètres de celle-ci, une tige sur laquelle elle s’arrime par un fil de soie, la tête en haut et fixée en bas par un dispositif griffu, le cremaster. Il existe deux formes colorées : soit vert pâle, soit brun clair avec une bande latérale plus foncée.

En plaine, les chrysalides de la première génération éclosent en juillet et donnent ainsi une seconde génération (espèce bivoltine) qui va de nouveau se reproduire. Les chrysalides issues de cette seconde génération (en août) vont hiverner et éclore au printemps de l’année suivante. En montagne et dans le Nord de son aire, le machaon ne produit souvent qu’une seule génération. A l’inverse, dans le sud et les années chaudes, il peut y avoir trois générations.

L’exception anglaise

En Grande-Bretagne, le machaon n’est présent que dans une région très limitée, les marais des Broads dans le nord-est du Norfolk en une petite population très isolée et élevée au rang de sous-espèce (brittanicus … of course !): ils ne fréquentent que cette végétation de marais et pondent quasi exclusivement sur une seule plante hôte, le peucédan des marais (Thysselinum palustre). Il n’y a qu’une génération annuelle. On pense que, il y a plusieurs siècles, son aire devait être bien plus étendue ; devant les transformations liées à l’agriculture intensive, il se serait replié dans cette zone de marais qui a elle aussi subi une forte régression. En situation isolée, cette population aurait perdu de son adaptabilité (voir ci-dessus) en se réfugiant sur une seule espèce et en devant moins grand en taille. Même si on observe chaque année dans le sud de l’Angleterre quelques individus venus de France, ils ne font pas souche et la probabilité qu’ils entrent en contact avec les machaons des Broads semble très improbable. A moins que le réchauffement climatique et le grand programme de réhabilitation de cette zone humide ne changent la donne et ne rétablissent des échanges génétiques entre la perfide Albion et les froggies !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Les papillons de jour. T. Lafranchis. Ed. Parthénope. 2000.
  2. Quel est donc ce papillon ? H. Bellmann. Ed. Nathan. 2003.
  3. http://www.ukbutterflies.co.uk/species.php?species=cardamines : site remarquablement documenté sur les papillons britanniques.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le machaon
Page(s) : 296 Le guide de la nature en ville