Site Paysans de nature

25/02/2023 Dans la chronique Paysans de nature : des fermes pour la biodiversité, nous avons présenté ce réseau de paysan(ne)s gestionnaires qui font de l’installation agricole un outil de défense de la biodiversité sauvage face au déclin général de celle-ci tout particulièrement dans les espaces agricoles. Nous avons détaillé leurs objectifs et la déclinaison pratique dans leurs fermes. Dans cette seconde chronique complémentaire, nous allons repérer les points forts et points faibles de ce projet à travers la comparaison de deux fermes du réseau PdN avec deux sites anglais pilotés selon une approche différente, le « ré-ensauvagement agricole » (agricultural rewilding) ; pour cela, nous nous sommes appuyés sur une publication (voir bibliographie) de l’association EurSafe (European Society for Cultural and Food Ethics), une ONG indépendante, qui vise à encourager l’éducation et la recherche scientifique et le débat international sur les problèmes éthiques impliqués dans l’agriculture et l’approvisionnement alimentaire. 

Site Paysans de nature

NB Un immense merci à Haye van der Werf (INRAE) un des coauteurs de la publication (voir biblio) qui a relu attentivement cette chronique

Ré-ensauvagement agricole ? 

A Knepp, faute de grands herbivores locaux, on utilise des animaux rustiques semi-sauvages

Ce terme encore mal défini et délimité recouvre les pratiques de restauration écologique basées sur les principes du ré-ensauvagement et mises en œuvre outre-Manche depuis une vingtaine d’années. Cette approche est elle-même différente du ré-ensauvagement « total » tel qu’il a été développé dans de grands espaces nord-américains et pour lequel il existe aussi des projets de grande ampleur en cours de mise en place en Europe, notamment par rapport à des milieux forestiers. Le ré-ensauvagement agricole doit être replacé dans le contexte de la Grande-Bretagne : une île avec des zones de forte densité de peuplement humain et une très longue histoire d’occupation des espaces par l’agriculture intensive. Ce ré-ensauvagement conserve une intervention active de l’homme via le maintien d’un pâturage extensif via l’introduction d’animaux sauvages et/ou rustiques (comme des castors, des cerfs, des poneys Exmoor, des porcs Tamworth ou des Highland cattle) et à travers le prélèvement d’animaux pour gérer la densité animale en l’absence de prédateurs tel que le loup. Le ré-ensauvagement agricole contribue ainsi à une modeste production de viande. On se situe donc là dans un entre-deux qui combine de la restauration écologique via la libre évolution de la végétation de ces espaces avec de la production agricole ou de la valorisation indirecte par le tourisme par exemple. On est ainsi entre le ré-ensauvagement total et radical sans aucune intervention humaine et l’agroécologie. Un exemple iconique, très médiatisé, a fait l’objet d’un livre passionnant, écrit par la journaliste propriétaire de la ferme Isabella Tree et traduit récemment en français : Le ré-ensauvagement de la ferme à Knepp (Ed. Actes Sud). Nous conseillons la lecture de cet ouvrage qui se lit avec gourmandise, comme un roman, et qui fourmille d’informations sur la restauration de la biodiversité ; vous pouvez aussi découvrir en images cette « ex-ferme » étonnante sur le site internet.

C’est donc cette approche bien particulière et quasiment spécifique à la Grande-Bretagne qui a servi de miroir pour mener cette comparaison avec la démarche du réseau français Paysans de nature.

Deux sites ainsi gérés ont été retenus pour l’étude comparative :

  • Knepp dans le Sussex (voir ci-dessus) sur une ancienne ferme d’élevage en voie d’abandon (960 ha)
  • Wild Ennerdale 4400 ha dans le parc national du Lake District
Site Knepp

Agriculture de nature 

Un livre pour entrer dans le monde Paysans de nature

Comme cela a été développé dans la chronique de présentation du réseau Paysans de nature (PdN), ce mouvement associatif national combine quant à lui la restauration de la biodiversité et le fonctionnement de l’agroécosystème avec la production agricole pilotée par des paysan(ne)s gestionnaires. Une charte nationale fixe les lignes directrices de cette approche dans laquelle la ferme est en quelque sorte gérée comme une réserve naturelle : la ferme s’invite dans le milieu naturel et les paysan(ne)s se considèrent comme membres de la communauté des vivants qui peuple la ferme. Pour cela, on maintient des parties (semi)-naturelles avec une gestion douce minimale. Une des fermes du réseau PdN, celle de Grand Laval dans la Drôme (voir ci-dessous) a très récemment initié une association conçue comme un laboratoire d’expérimentation sur cette ferme et dénommée : Réensauvager la ferme.

Site Réensauvager la ferme

Pour autant il ne s’agit pas de l’équivalent du ré-ensauvagement agricole anglais ci-dessus mais d’une gestion (donc des interventions humaines et une exploitation agricole) qui vise une production agricole tout en créant des initiatives d’hospitalité active pour la vie sauvage. Ceci afin de faire revenir des dynamiques et un maximum d’interactions écologiques : par exemple, on intensifie la pose de nichoirs pour induire des surdensités de prédateurs des bioagresseurs des cultures (mésanges et bien d’autres) ou l’on créé de nombreuses infrastructures agricoles (bandes herbeuses libres, densification des mares, libération des écoulements d’eau, …) propices à la faune sauvage dont les auxiliaires des cultures. Un suivi scientifique (atlas, inventaires, …) assez exhaustif accompagne cette démarche afin de mieux en comprendre les effets sur la biodiversité et d’impliquer d’autres citoyens.

Deux fermes Paysans de nature ont été choisies pour mener la comparaison avec le ré-ensauvagement agricole :

  • La ferme de Grand Laval près de Valence (Drôme) : reprise en 2006 sur 25 ha (élargie depuis) avec des cultures variées (millet, céréales, …) de l’élevage (moutons, poules pondeuses) de l’arboriculture (pêchers, poiriers, figuiers, …)
  • Le ferme du GAEC de la Barge à Notre-Dame de Monts (85) : ferme d’élevage bovin sur 171 ha de prairies permanentes humides 
Site de la Ferme de Grand Laval

Semblables et différents 

Les deux types de projets convergent sur un même objectif : restaurer le fonctionnement écosystémique tout en conservant une certaine dose d’intervention humaine à travers des objectifs sociaux et économiques. Les projets anglais par ré-ensauvagement agricole sont centrés presque exclusivement sur la seule restauration écologique et très peu sur la production agricole alors que les projets PdN s’attachent à trouver un équilibre entre restauration écologique et production agricole avec un accent mis sur l’intégration du projet dans la communauté locale (aspects sociaux). 

Le ré-ensauvagement agricole émane soit de personnes privées (comme à Knepp) ou de projets gouvernementaux (Ennerdale) et s’applique sur des « grandes » surfaces par rapport aux projets PdN ; notons cependant que si on les compare aux projets américains de ré-ensauvagement intégral qui s’appliquent dans de grands parcs nationaux, ils sont alors bien modestes. Différence majeure : ils ne sont pas organisés en réseau et chaque projet suit une trajectoire propre avec souvent des principes ou des méthodes assez différentes ; cet aspect explique pourquoi il est si difficile de donner une définition claire de cette approche multiple. Presque tous s’appuient sur l’introduction de grands herbivores rustiques ou sauvages comme « gestionnaires naturels du milieu en cours de ré-ensauvagement ». Si les gestions mises en jeu varient beaucoup, elles partagent le principe d’interventions humaines minimales : en ce sens, le volet humain en est un peu « exclu ». Enfin, si généralement, puisque les grand prédateurs manquent, il y  nécessairement un prélèvement des animaux permettant une production de viande, celle-ci n’est pas la source de revenus principale : on se tourne aussi vers des activités de loisirs liées au tourisme nature. 

Les projets PdN sont, quant à eux, des fermes privées soutenues par des associations locales et le réseau national ; les gestionnaires tirent leurs revenus de la seule exploitation agricole. Ils s’appuient sur les lignes directrices tracées dans la charte nationale ce qui rend cette approche bien plus facile à cerner. Même si les parties (semi)-naturelles (hospitalité pour la vie sauvage) sont gérées de manière douce et minimale, les interventions humaines y sont de facto bien plus importantes que dans les projets anglais ; on pourrait parler, à l’échelle de la ferme, d’une mosaïque de milieux presque naturels et de milieux cultivés où l’on pratique une agroécologie qui minimise les intrants et le recours à la mécanisation. 

SWOT

Pour mieux les comparer et surtout déboucher sur une meilleure connaissance et dégager des idées d’améliorations permettant d’envisager une généralisation de tels projets, les auteurs de l’étude ont soumis ces quatre sites retenus à une analyse SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats) qui permet d’identifier les forces (avantages), les faiblesses (désavantages), les opportunités (pistes d’amélioration) et les menaces (problèmes) qui entourent ces projets. 

Forces

Tous ces projets produisent de la nourriture de haute qualité, améliorent le fonctionnement des écosystèmes et la biodiversité et, en plus, ils ont une bonne image sociale. 

Côté PdN, on peut souligner les points forts suivants : une forte attractivité apte à susciter des vocations ; la structure en réseau organisé avec une charte commune qui allie agriculture et environnement ; une autosuffisance ; des revenus agricoles pour les gestionnaires ; ils apportent la preuve « vivante » que l’on peut produire de la nourriture tout en conservant et restaurant la biodiversité.

Le ré-ensauvagement agricole réussit à diversifier les sources de revenus en élargissant à d’autres sources comme le tourisme de nature ; il parie sur une plus grande diversité des parties prenantes (chaque projet est différent) et bénéficie d’une très forte image sociale positive. 

Faiblesses 

Les paysans de nature ont souvent du mal à « suivre » et s’engager aussi activement que les naturalistes et les experts qui les accompagnent ; les attentes et l’enthousiasme des porteurs de projet dépassent les capacités du réseau pour les appuyer ; ce modèle est difficile à exporter ailleurs, dans d’autres pays ; les revenus uniquement d’ordre agricole restent souvent modestes et demandent des choix de vie adaptés ; les contraintes pour favoriser la biodiversité rendent la gestion de la ferme plus compliquée et plus complexe ; il n’y a pas de véritable évaluation de la contribution réelle à améliorer la biodiversité : le DPN (voir la chronique de présentation) n’est qu’un outil de suivi et d‘accompagnement.

Pour les projets de ré-ensauvagement « à l’anglaise », la restauration écologique, même spectaculaire (voir l’exemple de Knepp et du retour des tourterelles de bois ou du grand mars changeant) reste en deçà de celle obtenue par un ré-ensauvagement intégral ; les surfaces impliquées restent trop modestes par rapport aux besoins spatiaux de certaines espèces à grands territoires ou pour maintenir des populations viables à long terme ; le flou qui entoure la définition de ce type de projets ne facilite pas sa compréhension ; le préfixe « ré » suscite des craintes ou des incompréhensions sociales. 

Opportunités

Tous ces projets peuvent « surfer » sur la vague de l’intérêt croissant envers tout ce qui concerne la biodiversité et sa conservation ou restauration ; leur conception les rend désormais éligibles aux subventions européennes ou à des investissements de type mécénat ou verdissement d’image. Ils peuvent aussi compter sur l’engouement du public pour les activités nature dans ces espaces et la forte demande sociétale, y compris avec le recours aux sciences participatives (voir la ferme de Grand Laval et le projet Réensauvager la ferme). 

Les projets PdN ont l’avantage de s’inscrire pleinement dans la problématique majeure du déclin agricole : il y a donc un gros potentiel pour installer de nouveaux fermiers sur d’anciennes fermes conventionnelles libérées. 

Dangers (points faibles)

Tous ces projets peuvent aussi se heurter au scepticisme voire à l’hostilité (chasseurs par exemple …) des populations rurales ; même le ré-ensauvagement agricole soulève des réticences parmi les écologistes qui préfèrent le ré-ensauvagement « total ».. 

Le réseau de paysans de nature a du mal à s’étendre au-delà d’un cercle étroit de personnes motivées et militantes ; les conflits parfois rudes ou sournois qui émergent avec les agriculteurs (ou les associations agricoles liées à l’agrobusiness) restés en conventionnel autour de ces fermes compliquent la tâche et freinent l’intégration sociale de ces projets. Enfin, il y a un manque criant de jeunes formés aux arcanes de l’élevage, la pratique prédominante (et la plus facilement adaptable) dans les projets PdN.

Finalement, il ressort de cette analyse détaillée que ces projets bénéficient d’une bonne image publique mais doivent faire leurs preuves auprès des populations rurales pour une acceptation globale. Chaque projet demande une forte attention aux compromis entre conservation de nature et production alimentaire dans chaque contexte. La grosse difficulté va être d’attirer plus d’éleveurs et de s’affirmer face au modèle dominant qui s’appuie sur des réseaux de communication très puissants et un lobbying politique permanent. 

Bibliographie 

Farming with nature: lessons from rewilding agriculture and Paysans de nature  A.Mondière et al. Transforming food systems: Ethics, innovation and responsibility Transforming food systems: Ethics, innovation and responsibility EurSafe 2022 

Site de EurSafe 

Site Knepp. Rewilding Pionneers 

Site Paysans de nature 

Ferme de Grand Laval 

GAEC de la Barge 

Réensauvager la ferme