Phoenicurus ochruros

En Europe et en France, on rencontre communément les deux espèces de rouge-queue : le rouge-queue noir (Pheonicurus ochruros) et le rouge-queue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus). Ils ne sont pas aussi apparentés qu’on pourrait le croire, ne serait ce qu’au niveau de leurs chants qui présentent des structures nettement différentes ; de même, leurs habitats primaires (« naturels ») divergent largement : milieu rocheux pour le rouge-queue noir et forêts claires pour le rouge-queue à front blanc. Pourtant, les deux espèces entrent souvent en contact à la faveur des zones urbaines qui associent les habitations et les monuments comme substitut de milieu rocheux du premier et les parcs urbains et jardins boisés comme substitut de milieu forestier du second.

Or, le plumage des mâles nuptiaux présente quelques similitudes : le tête et le dessus du corps gris ardoisé et la queue et le croupion roux orangé, cette dernière étant agitée nerveusement de la même manière. Ces oiseaux partagent aussi la même technique de chasse : affût sur un perchoir et captures essentiellement au sol ; donc, potentiellement, s’ils cohabitent, ils peuvent entrer en compétition alimentaire. Ceci explique pourquoi on observe régulièrement des interactions de type agression/défense du territoire entre des mâles de ces deux espèces, du même type que celles observées classiquement entre mâles territoriaux de la même espèce.

Une étude grandeur nature en ville

En république tchèque, une équipe de trois ornithologues a entrepris d’étudier ces réactions dites interspécifiques dans deux villes tchèques. Dans l’une d’elles, les deux espèces sont présentes et se côtoient du fait de la structure en mosaïque des habitats urbains : on parlera dont de situation de « sympatrie » (deux espèces qui cohabitent étroitement). Dans l’autre par contre, si les deux espèces y sont bien représentées, elles ne se côtoient pratiquement pas du fait de la séparation dans l’espace des deux types de milieux fréquentés par ces deux espèces : on parlera donc de situation « d’allopatrie ». Pour tester les réactions, la méthode utilisée consiste à passer des enregistrements sonores de chants à côté d’un oiseau naturalisé factice donc. On peut donc ainsi tester aussi bien les réactions interspécifiques que intra spécifiques selon les combinaisons utilisées.

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Rouge-queue noir (jeune de l’année)

Sympatrie versus allopatrie

Les réactions agressives des mâles de rouge-queue noir semblent significativement plus fortes envers les mâles de rouge-queue à front blanc en sympatrie alors qu’en allopatrie, elles sont plus faibles alors que les réactions entre mâles de rouge-queue noir sont de même niveau dans les deux villes. L’acquisition d’un comportement plutôt agressif envers l’autre espèce semble donc être le fait de populations locales en contact étroit entre elles. Ceci signifie que l’apprentissage du chant de l’autre espèce et sa reconnaissance se fait lors de ces contacts.

Les deux espèces hivernent en dehors du pays : bassin méditerranéen pour le rouge-queue noir et zone subsaharienne pour le rouge-queue à front blanc. Ils ne peuvent donc réactiver la connaissance réciproque des chants à cette occasion.

Les mâles de rouge-queue noir, migrateurs précoces, commencent à défendre leurs territoires bien avant l’arrivée des premiers mâles de rouge-queue à front blanc (trois semaines d’écart) ; pourtant, si on effectue des repasses de chants de rouge-queue à front blanc tôt au printemps, la réaction agressive des rouge-queue noirs reste aussi intense. Ceci tend à montrer qu’ils ont une mémoire à long terme de l’apprentissage du chant de l’autre espèce, ce qui serait un avantage adaptatif : économie de temps dans la réaction interspécifique et meilleure défense territoriale contre un concurrent potentiel au niveau des ressources alimentaires. En plus, les rouge-queue noirs montrent une forte fidélité à leur sites de reproduction d’une année sur l’autre ce qui faciliterait la différenciation de populations locales « mémorisantes ».

Les « jeunes » comme les « vieux »

Chez le rouge-queue noir, du fait d’une maturation décalée dans le temps du plumage des mâles, on peut distinguer les « jeunes » mâles d’un an et les mâles plus âgés : les premiers conservent un plumage gris pâle peu contrasté (proche de celui des femelles) alors que les seconds sont plus noirs avec une tache alaire blanche très voyante. Les observations sur le terrain montrent que la réaction agressive interspécifique reste aussi forte chez les jeunes que chez les vieux. Ceci indique donc que l’apprentissage du chant de l’autre espèce se fait dès la période entre l’envol des jeunes et la première migration.

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Très jeune rouge-queue noir fraîchement sorti de son nid.

BIBLIOGRAPHIE

Heterospecific rival recognition
in the Black Redstart (Phoenicurus ochruros). O. Sedláèek, B. Cikánová & R. Fuchs. Ornis Fennica 83:153 ; 161. 2006

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le rouge-queue noir
Page(s) : 399 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez le rouge-queue à front blanc
Page(s) : 398 Le Guide Des Oiseaux De France