Sequoiadendron giganteum

Le séquoia géant habite à l’état sauvage les contreforts occidentaux (côte pacifique) de la Sierra Nevada en Californie où il forme une série de forêts isolées entre elles (plus de 70 massifs) échelonnées sur près de 400km de chaîne montagneuse entre 1500 et 2400m d’altitude. Les stations les plus célèbres concernent des parcs nationaux comme le Parc Yosémite. En dépit d’importantes mesures de protection pour sauvegarder ces boisements fortement endommagés par l’exploitation du bois par les colons à la fin du 19ème siècle, le séquoia géant connaît dans son milieu un problème majeur : la faiblesse voire l’absence de régénération naturelle (i.e. de semis naturels) susceptible d’assurer ensuite la relève des arbres morts. Or, il apparaît que l’une des causes majeures de ce déficit de régénération tient à la forte baisse des incendies dans ces boisements suite aux mesures de protection et de surveillance : le feu est en fait un allié du séquoia géant pour sa reproduction !

Une essence de lumière

Pour comprendre cette importance du feu, voyons les exigences de cette espèce dont le caractère majeur est son intolérance à l’ombre et les conditions de germination des graines : celles-ci demandent un sol minéral presque nu, sans litière d’aiguilles mortes accumulées (qui entretient une couche humide hôte de champignons néfastes pour les jeunes plantules) et beaucoup de lumière arrivant au sol ; les jeunes plantules ne supportent pas non plus la compétition avec celles d’autres espèces qui elles supportent très bien l’ombre ou en ont besoin. Or, dans une forêt mature de séquoias, la canopée finit rapidement par former un écran complet à la pénétration de la lumière en sous-bois tandis que la chute permanente d’aiguilles au sol (dont la dégradation en plus reste relativement lente du fait de leur composition) entretient un matelas de litière de plus en plus épais ; au sol, se développe une abondante végétation de plantes herbacées d’ombre et de plantules d’autres essences qui recherchent ces conditions.

Autrement dit, les séquoias géants, comme une majorité d’essences ligneuses, créent toutes les conditions naturelles … pour leur propre disparition à long terme ! La seule chance de survie de l’espèce, c’est la formation d’ouvertures ou de clairières (gaps en langage anglo-saxon) dans le couvert continu à la faveur d’une part de la mort des arbres adultes (mais les ouvertures créées restent modestes en taille sauf en cas de mortalité massive suite à une maladie ou une attaque d’insectes) ou de perturbations brutales. Dans un environnement naturel non piloté par l’homme, des « accidents » météorologiques (tempêtes, inondations, sécheresses, neige ou glace inhabituelles, ..) viennent plus ou moins régulièrement en fait bouleverser une évolution linéaire et souvent considérée comme « parfaite » notamment par les forestiers, soucieux de la production de bois : ces perturbations créent des ouvertures dans la canopée, bénéfiques pour la survie de l’espèce en apportant de la lumière au sol et en écartant pour un temps les compétiteurs gênants !

Feus les incendies !

Comme les séquoias géants vivent sous un climat de type montagnard méditerranéen (nous sommes en Californie), ils subissent une perturbation naturelle majeure, susceptible de créer des vides importants dans les boisements : les incendies déclenchés lors des orages par les éclairs ! Avant 1875 et la colonisation, des études sur les cernes des troncs montrent que les surfaces boisées de séquoias connaissaient des passages naturels de feu tous les deux ou trois ans, feux d’intensité et d’étendue très variable cependant d’une fois à l’autre. Les incendies les plus forts résultaient soit d’une sécheresse estivale majeure très favorable à leur développement, soit à l’accumulation de litière et de bois mort au sol suite à une longue période justement sans feux. Tout ceci créait donc des ouvertures régulières de plus ou moins grande étendue selon que l’incendie tuait ou pas de nombreux arbres adultes.

Or, par souci de protection et de sécurité vis-à-vis du public (rappelons que ces parcs nationaux sont des sites hautement touristiques d’une valeur économique considérable), on a tout fait pour les éviter ou les contrôler le plus rapidement possible et éviter leur extension ! Ainsi, certains boisements protégés n’ont pas connu d’incendie depuis plus d’un siècle, situation complètement artificielle et « aseptisée » !

Les effets du feu

On pourrait penser que le feu en soi constitue un ennemi irréductible pour des arbres mais les séquoias présentent des traits de résistance remarquables, sans doute fruits d’une évolution sous la pression sélective de ce facteur environnemental récurrent. Un séquoia adulte se trouve protégé par une véritable carapace : son écorce fibreuse spongieuse, disposée en bandes verticales, atteignant 50cm d’épaisseur, recouvrant le tronc mais aussi la base des grosses branches. Véritable amiante naturelle, cette écorce amortit considérablement le feu et empêche la destruction du cœur de l’arbre, vital pour sa survie. Pour s’en persuader, il suffit de frapper violemment (aucun risque !) avec le poing la base d’un tronc de séquoia géant et vous serez surpris de la sensation de « grosse moquette » que l’on ressent alors !

Un séquoia incendié met des semaines à brûler et il est capable de se remettre de blessures profondes en reconstituant son écorce par dessus celles-ci. Certains très vieux arbres portent ainsi, enfouis sous leur écorce des traces anciennes d’incendies majeurs.

Outre la création de zones ouvertes par destruction éventuelle d’arbres, les incendies modifient aussi indirectement l’environnement. La litière accumulée au sol se consume même pour un incendie limité ce qui favorise l’installation des plantules de séquoias ; les cendres et charbons de bois issus de la combustion apportent une importante quantité d’éléments minéraux propices notamment à la croissance des plantules germées ; ainsi, on a constaté que la survie de jeunes plants sur un sol enrichi par un incendie était sept fois plus élevée 35 ans après cet incendie ! Enfin, l’effet le plus inattendu concerne les cônes et les graines.

Une banque de graines en l’air

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Les graines, petites (moins de 1 gramme, ce qui laisse rêveur quand on sait le « monstre » qui peut en résulter !) portent deux petites ailes. Quand elles tombent au sol, elles peuvent germer immédiatement ; si les conditions ne sont pas réunies (notamment une certaine humidité au sol et surtout l’absence de lumière), elles entrent en dormance pouvant attendre près de dix ans ; mais un incendie les détruira facilement. Des cônes mûrs tombent aussi au sol avec une partie de leurs graines mais eux aussi seront brûlés quand la litière d’aiguilles se consumera.

Les cônes en forme de tonnelet cachent en fait une « botte secrète » : ils sont formés de grosses écailles très dures, ligneuses, très serrées et soudées entre elles par de la résine ; on parle de cônes sérotineux. Entre les écailles se trouvent les graines : elles ne peuvent être libérées que si les écailles s’écartent. Les cônes verts mettent deux ans à mûrir leurs graines. Certains sèchent alors et s’ouvrent un peu libérant quelques graines puis se refermant, pouvant ainsi persister pendant vingt ans. Mais ils ont la particularité unique de pouvoir aussi rester verts et de garder des graines viables pendant de nombreuses années. A l’occasion d’un incendie violent, la chaleur qui monte jusque dans les cimes va alors faire fondre la « colle » entre les écailles ; dès la fin de l’incendie, dans les jours qui suivent, il s’en suit une « pluie » de graines intactes (un arbre peut porter plus de 2000 cônes contenant chacun 200 graines) qui arrivent sur un sol nu et enrichi en cendres, à la lumière !

Des incendies programmés

Devant ces besoins impérieux de feux périodiques, les gestionnaires des parcs nationaux ont donc entrepris des expérimentations puis des programmes d’incendies provoqués et maîtrisés sur des surfaces d’au moins 0,3ha jusqu’à 1,3 hectares. La pratique montre qu’ils doivent être assez forts pour tuer au moins quelques arbres (ce qui peut poser des réactions émotionnelles d’opposition de protecteurs !) pour être efficaces. Ainsi, sur des zones brûlées volontairement selon ce scénario, la densité de plantule est de 8 à 11 fois supérieure à celle observée dans des zones non brûlées. La plus forte cohorte de jeunes séquoias jamais observée dans un des parcs concernait une zone de 4 hectares ayant subi un incendie programmé qui avait tué presque tous les arbres adultes.

Une autre méthode consistant à créer des ouvertures étendues par abattage maîtrisé d’arbres se montre bien moins efficace : il n’y a pas d’apport de cendres nutritives ; la litière reste épaisse et intacte et il n’y a pas de germination massive de graines libérées par les cônes « en l’air » !

Moralité de cette passionnante histoire : protéger sans prendre en compte l’écologie des espèces peut devenir très négatif et il faut restaurer dans l’esprit du public l’idée que des perturbations en apparence catastrophiques peuvent être nécessaires dans l’environnement pour le maintien de la biodiversité qui a justement évolué  en leur « compagnie ».

BIBLIOGRAPHIE

  1. Giant Sequoia Regeneration in Groves exposed to Wildfire and Retention Harvest. Marc D. Meyer and Hugh D. Safford. Fire Ecology Volume 7, Issue 2, 2011
  2. Restoring Natural Fire to the Sequoia-Mixed Conifer Forest: Should Intense Fire Play a Role. Proc. 17th Tall Timbers Fire Ecology Conference, May 18-21, 1989: High Intensity Fire in Wildlands: Management Challenges and Options. pp.321-337. N.S. Stephenson, D.J. Parsons, and T.W. Swetnam. 1991.
  3. Proceedings of the Symposium on Giant Sequoias: Their Place in the Ecosystem and Society. June 23-25 1992 Visalia, California.
  4. Giant Sequoia (Sequoiadendron giganteum) Regeneration in Experimental Canopy Gaps. Robert A. York,John J. Battles, Anne K. Eschtruth, and Frieder G. Schurr. 2009 Society for Ecological Restoration International.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le séquoia géant
Page(s) : 20-21 Guide des fruits sauvages : Fruits secs
Retrouvez le séquoia géant
Page(s) : 16 Le guide de la nature en ville