Hoplia coerulea

Chaque année, en début d’été, je ne manque pas de faire un tour le long de la rivière Morge qui passe près de chez moi pour me régaler (et mitrailler en photos !) avec le spectacle incroyable des hoplies bleues. Il s’agit d’un petit scarabée (1cm de long) qui arbore des couleurs irisées d’un bleu intense incroyable avec des nuances selon l’angle avec d’observation. Le spectacle des mâles perchés bien en vue au sommet des plantes laisse un souvenir inoubliable et l’envie de les revoir l’année suivante ! Mais quelle n’a pas été ma surprise encore plus grande quand j’ai voulu préparer une chronique pour présenter ce petit bijou de la nature : des dizaines de publications scientifiques consacrées à sa coloration ! J’ai du me battre avec le jargon technique propre à la physique optique mais que de découvertes inattendues que je vais essayer de vous faire partager.

Petit hanneton bleu

Mâles juchés au plus haut sur des herbes (lampsanes) pour se mettre en évidence

Au sein de la sous-famille des hannetons (dans les Coléoptères), le genre Hoplia (les hoplies) se démarque par ses pattes avec une seule griffe mais surtout par le dessus du corps (thorax et élytres, les ailes durcies qui recouvrent l’abdomen) recouvert de minuscules écailles nacrées ou métalliques qui se détachent assez facilement au toucher. Les hoplies partagent avec les hannetons un port trapu un peu aplati. La hoplie bleue qui va nous intéresser ici, l’une des espèces présente en France, possède un fort dimorphisme sexuel : les mâles sont d’un bleu intense irisé alors que les femelles, un peu plus grandes, sont gris sombre ; cependant, ces dernières, sous un éclairage très fort, arborent elles aussi une irisation bleue du même type que celle des mâles. Chez les deux sexes, le dessous du corps offre une coloration argentée.

Visible de juin à août, la hoplie bleue fréquente les lieux herbeux humides en bordure des cours d’eau, sur des sites assez ensoleillés. On ne la trouve que dans la grande moitié sud de la France et dans le nord de l’Espagne (et une sous-espèce naine sur l’île de Majorque).

Les mâles, souvent en colonies nombreuses, s’installent au sommet de hautes tiges de plantes herbacées ou sur des buissons, en situation ensoleillée : là, ils s’immobilisent, comme morts, et soulèvent un peu leurs deux pattes arrière et attendent la venue des femelles (qui se montrent très peu et sont bien moins nombreuses) pour s’accoupler.

Les adultes se nourrissent de pollen et de nectar tandis que les larves (vers blancs) rongent les racines des plantes.

Bleu irisé

Venons en donc au cœur du sujet : la coloration bleu violet irisée. De face, la carapace renvoie effectivement des longueurs d’onde autour de 460 nanomètres (nm), soit dans la gamme des bleus ; si on passe à un angle d’incidence de 45 puis 60°, la lumière réfléchie vire au violet (400nm) puis passe dans les ultra-violets que nous ne percevons pas. Comment expliquer ces irisations et cette coloration bleue relativement rare chez les insectes ? Le secret peut se résumer en une formule lapidaire des scientifiques : « la structure photonique macroporeuse multicouches des écailles » !!

Les écailles sont ces minces particules rondes qui parsèment la surface supérieure du corps ; elles sont fixées par un seul point périphérique sur la cuticule de la carapace ce qui explique qu’elles se détachent facilement. Sous une enveloppe hyper mince se cache une structure interne très complexe : un empilement régulier d’une vingtaine de fines plaques de chitine (la matière naturelle qui compose la carapace des insectes), régulièrement espacées et portant chacune sur un côté un réseau de bâtonnets parallèles. La régularité de cette structure associée à la présence de minces couches d’air (tout ceci à une échelle de dizaines ou centaines de nanomètres, soit dans l’infiniment petit !) induit des propriétés optiques particulières de réfraction de la lumière sur une multicouche qui créé un contraste et ces irisations dans la gamme des bleu-violet. Tout se passe donc à l’intérieur de ces fameuses écailles qui agissent en quelque sorte comme des panneaux photo-iridescents !

Du bleu au vert

Une observation en apparence banale avait attiré l’attention des chercheurs travaillant sur cet insecte : une hoplie morte récoltée sur le terrain et placée dans un récipient humide s’était mise à virer au vert au contact de l’humidité ! Autrement dit, la couleur bleue irisée serait sensible à l’humidité ambiante et susceptible de varier selon les conditions environnementales : d’où une nouvelle série de recherches avec de nouvelles découvertes.

Des expérimentations en laboratoire montrent que si on projette de l’eau ou de l’alcool (éthanol) sur les écailles de la carapace, on n’obtient un changement de couleur mais dont la rapidité varie à contre-courant de ce que l’on aurait pu croire : l’eau forme des gouttelettes en surface qui restent plus longtemps alors que l’alcool s’étale très vite. Et pourtant, l’eau pénètre bien plus vite et induit un changement très rapide par rapport à l’alcool ! C’est l’enveloppe de l’écaille qui détient la clé : faite de chitine, elle est bien plus perméable à l’eau qu’à l’alcool et elle serait percée de micropores (que l’on n’arrive pas à observer au microscope électronique : moins de 1 nanomètre) qui ne laissent passer que les très petites molécules. De plus, cette enveloppe hyper mince contient des sels (chlorure de sodium par exemple) qui facilite le passage de l’eau. Ainsi, l’eau pénètre rapidement dans l’écaille et remplit les espaces vides entre les couches de chitine : ce remplissage induit des changements des propriétés optiques de réfraction de la lumière qui vire ainsi au vert !

Cellule photonique

A partir de ce modèle, les chercheurs avancent un nouveau concept révolutionnaire : la cellule photonique. Chaque écaille peut être assimilée à une cellule vivante ; l’enveloppe de l’écaille équivaut à la membrane cellulaire et se comporte comme elle en barrière semi-perméable sélective tandis que les couches de chitine à l’intérieur représentent le cytoplasme cellulaire qui assure les fonctions photoniques (en lien avec la lumière !). Ce concept ouvre des portes immenses vers des nanotechnologies innovantes par bio-imitation (copier la nature ou la « co-piller » comme disent certains !) ce qui explique entre autres l’engouement pour l’étude de brave petit insecte ! Ainsi, on peut envisager des peintures ou des substances colorées qui détectent des émanations gazeuses (des vapeurs) ; on pourrait fabriquer des cellules photoniques pour détecter des substances spécifiques en fonction de leur structure (nombre et espacement des multicouches). On envisage aussi de fabriquer de telles cellules photoniques microscopiques qui seraient placées dans des milieux de culture et conçues pour détecter des produits de dégradation spécifiques. Il existe déjà des applications pour des « verres intelligents » dont la transmission de la lumière changent selon la chaleur, l’ensoleillement et capables de bloquer certaines radiations lumineuses.

Les chercheurs, stimulés par ces perspectives technologiques, s’interrogent sur la possibilité en plus de faire varier la taille de ces cellules avec l’idée que le remplissage d’eau des écailles des hoplies pourrait peut-être déformer l’écaille et modifier aussi ses propriétés optiques ; on pourrait ainsi encore plus moduler les effets de ces cellules !

Fluo en plus !

Mais ce n’est pas tout ! En plus de ces propriétés optiques iridescentes, les écailles des hoplies contiennent des fluorophores, des substances capables d’émettre de la fluorescence dans la lumière visible ; quand on les éclaire avec des UV (perçus par nombre d’insectes !), elles arborent des colorations contrastées vives. En temps normal, à sec, la fluorescence émise se situe dans le bleu-vert turquoise et s’ajoute donc à l’irisation bleue. Mais en présence d’eau entrant dans les écailles, la fluorescence passe vers le bleu foncé ! Ce système hyper sophistiqué réussit donc à maintenir la fluorescence sans l’inhiber en dépit des changements optiques induits par l’entrée d’eau. Ceci suggère une répartition homogène des fluorophores dans les multicouches et inspire de nouveau de nouvelles pistes de nanotechnologies aux chercheurs dans les domaines précédemment cités.

Finalement, au cours de l’évolution chez les hoplies, sans faire varier les substances chimiques (tout repose sur la seule chitine) sont apparues de nouvelles couleurs, capables en plus de varier en fonction de l’hygrométrie ambiante et de la lumière reçue, par le jeu des structures multicouches dans les écailles protégées par une enveloppe poreuse.

Tout çà pour quoi ?

L’excitation provoquée par ces découvertes et la perspective de juteux brevets technologiques ne doit pas nous faire perdre de vue à nous, simples naturalistes bassement matérailistes, une question centrale : qu’est ce que tout ce système si complexe a bien pu apporter aux hoplies pour qu’il ait été ainsi sélectionné au cours de l’évolution et progressivement perfectionné et complexifié.

Clairement la couleur bleue irisée doit servir de signal attractif permettant aux femelles de localiser les mâles ; en améliorant ainsi les chances de rencontre des deux sexes, elle a procuré un avantage sélectif en termes de succès reproductif. Ca devient plus compliqué avec les changements de couleur induits par l’humidité : peut-être que dans l’environnement chaud et humide de cet insecte (milieux ensoleillés au bord de l’eau), cela pourrait jouer un rôle positif dans le camouflage : virer au vert faciliterait la confusion avec la végétation environnante mais il faut tenir compte de la vision en UV des prédateurs potentiels ; on peut penser aussi à un rôle dans la thermorégulation : un changement de couleur pourrait modifier la captation de chaleur chez ces animaux non endothermes (on ne peut pas dire « à sang froid » vu qu’ils n’ont pas de sang !). Reste la fluorescence qui laisse plus perplexe : on connait de nombreux cas où elle existe sans fonction apparente (l’émail des dents des mammifères est fluorescent sans que cela ne semble apporter grand chose ?) ; peut-être que pour les insectes cela serait un moyen de protection contre les UV qui sont absorbés par les fluorophores ?

Bref, il reste encore beaucoup à découvrir sur notre superbe scarabée bleu : des études de terrain sur sa biologie et son écologie nous éclaireraient bien mais pas sûr que, là, les crédits suivront comme pour les nanotechnologies !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Natural layer-by-layer photonic structure in the scales of Hoplia coerulea (Coleoptera). Jean Pol Vigneron et al.. The Nature of Light: Light in Nature, edited by Katherine Creath, Proc. of SPIE Vol. 6285, 628506, (2006)
  2. Controlled fluorescence in a beetle’s photonic structure and its sensitivity to environmentally induced changes. Mouchet SR et al. Proc. R. Soc. B 283: 20162334. 2016
  3. Liquid-induced colour change in a beetle: the concept of a photonic cell. Sébastien R. Mouchet et al. Scientific RepoRts | 6:19322 2016
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