Cygnus olor

cygne-panorama

Du cygne tuberculé qu’on observe si souvent sur les plans d’eau urbains, on retient outre son plumage immaculé la grâce de son port sans cesse changeante grâce aux mouvements de son long cou, vraie signature de ce genre d’oiseaux aquatiques proches parents des oies dans le vaste groupe des Ansériformes. Comment fonctionne cet organe loin d’être aussi banal qu’il n’y paraît et comment le cygne s’en sert-il pour se nourrir ?

Un héritage dinosaurien

Une des singularités des oiseaux concerne leur cou très flexible et qui peut devenir très long dans certaines espèces comme les cygnes mais aussi les autruches ou les cormorans et leurs cousins les anhingas aux longs cous reptiliens. Contrairement aux Mammifères où le nombre de vertèbres cervicales composant le cou reste fixé à sept (y compris chez la girafe), la plupart des oiseaux possèdent 11 vertèbres cervicales mais ce nombre peut varier de 9 chez les perroquets à 25 chez …. les cygnes !

Au cours de l’évolution dans le groupe des Dinosaures théropodes, carnivores actifs bipèdes au cou mobile, qui a donné naissance aux oiseaux actuels, les membres antérieurs se sont transformés en nouveaux organes, des ailes, privant de ce fait les oiseaux de certaines fonctions dont la préhension et la capture (il leur reste aussi les « pattes » ou membres inférieurs). Une compensation s’est ainsi mise en place : le bec a pris la place des mains et le cou celui des « bras » ! De ce fait, le cou assure un grand nombre de fonctions dont une partie est traditionnellement remplie par les membres supérieurs chez les autres vertébrés tétrapodes : se balancer et assurer l’équilibre pendant la marche ; surveiller les prédateurs et les obstacles tout en volant ; se nourrir ; s’orienter en vol ; entretenir le plumage, une activité essentielle où l’oiseau doit pouvoir accéder presque partout sur lui-même; communiquer notamment au moment des parades ; …

A part la possibilité de s’allonger par augmentation du nombre de vertèbres, le cou des oiseaux se caractérise par sa flexibilité, caractère dont la girafe ni les grands cousins disparus, les dinosaures sauropodes (Diplodocus et autres), ne peuvent se prévaloir. Ce caractère flexible s’explique par la forme des articulations entre vertèbres en « selle » et le grand nombre (près de 200) de muscles et de tendons qui relient tous ces éléments articulés entre eux. Une certaine rigidité reste de mise car les forces de cisaillement (notamment en vol) pourraient dangereusement altérer la moelle épinière qui passe au milieu du cou : des prolongements complexes dont des sortes d’apophyses en épines renforcent l’ensemble.

 

Les courbes du cou

Un des problèmes pour comprendre qui sont vraiment les oiseaux, c’est le plumage qui enveloppe leur corps et masque les structures sous-jacentes. Ainsi, à l’observation directe, on a l’impression que chez le cygne (comme chez de nombreux autres oiseaux), le cou s’insère plutôt « vers le milieu » du corps alors que sur un squelette monté, on voit parfaitement qu’il est rattaché en ligne directe avec la colonne vertébrale au milieu des puissantes épaules (là où sont concentrés des muscles du vol). L’illusion vient de la courbe inférieure que fait la base du cou et dont la portion remontante vers les épaules se trouve cachée par le plumage.

Une seconde courbe près de la tête complète la forme en S si typique et permet les mouvements vers le bas et vers le haut de la tête, notamment pour se nourrir. Chez les cygnes, les 9 vertèbres cervicales qu’ils possèdent en plus par rapport aux canards se trouvent justement dans cette zone juste en arrière de la tête. Pour descendre le cou, deux vagues de rotation successives des vertèbres parcourent cette zone courbée : la tête descend tandis que la courbe s’abaisse en même temps dans ce mouvement si gracieux et fluide.

En position de nage, le cygne tient son cou vertical, juste entre ses deux épaules ce qui maintient le centre de gravité en position stable avec un minimum d’énergie musculaire. En position de sommeil, le cou se tient replié en arrière de la tête, position qui était déjà acquise chez les lointains ancêtres dinosauriens ; on a retrouvé des fossiles de petits dinosaures théropodes « à plumes » dans la même position. Décidément, les oiseaux n’ont pas inventé tant de choses que cela en fait !

Les girafes des plans d’eau

Comme les oies, les cygnes sont des herbivores stricts et la fonction la plus originale de leur cou tient à leur mode de récolte des végétaux ; en pleine eau, l’oiseau « déroule » son cou et plonge sa tête sous l’eau où il peut alors récolter avec son bec les feuilles et tiges des plantes aquatiques submergées telles que myriophylles, cératophylles, potamots, … qui forment des herbiers aquatiques étendus dans les eaux riches en éléments nutritifs et aux fonds vaseux (voir la chronique sur le « pâturage » des cygnes). Selon la profondeur de l’eau, il peut même atteindre la base des plantes et chercher à déterrer dans la vase les tubercules ou rhizomes nutritifs de certaines plantes aquatiques (technique que les anglais nomment grubbing). Sinon, il lui reste la possibilité de basculer à la verticale, la queue et l’extrémité du corps dépassant seules hors de l’eau et en allongeant son cou : il peut ainsi atteindre des plantes jusqu’à près de 1m de profondeur.Il peut rester ainsi pendant près de trente secondes en apnée. Dès l’âge de six jours, les jeunes cygnes apprennent cette technique et à un mois, ils peuvent déjà tenir six secondes sous l’eau.

Plus rarement, les cygnes tuberculés peuvent aussi pâturer sur terre ; ce comportement tend à se développer en zones urbanisées sur les pelouses attenantes aux plans d’eau de loisirs (ce qui soulève des problèmes de sécurité et d’hygiène avec les volumineuses crottes des cygnes) ou à proximité de zones agricoles comme des champs de céréales, de colzas ou de cultures maraîchères ; on assiste peut-être aux prémisses d’une évolution anthropique (l’opportunisme alimentaire) de l’espèce qui risque d’augmenter les conflits !

Cette technique présente le gros avantage d’être très peu coûteuse en énergie par rapport notamment à la plongée active (battements des pattes et/ou des ailes) pratiquée par de nombreux canards dont ceux du groupe des « canards plongeurs » (fuligules milouins ou morillons, nettes, garrots, ..) et les canards marins (harles, macreuses, eiders, …). Mais la plupart de ces plongeurs récoltent ne récoltent que des proies animales (poissons, coquillages, crustacés, ….) ou complètent un régime herbivore par ces dernières bien plus rentables énergétiquement que des végétaux aquatiques gorgés d’eau. Les cygnes, grâce à leur long cou flexible, ont donc réussi à accéder de manière « rentable » à une niche alimentaire non exploitée par la majorité de leurs congénères, celle des herbiers aquatiques submergés. On retrouve là la technique de la girafe qui avec son long cou accède à la cime des acacias dans la savane arborée sauf que les cygnes font un peu la même chose mais …. vers le bas et sous l’eau !

Gérard GUILLOT : Zoom-nature.fr

 

BIBLIOGRAPHIE

  1. The inner bird. Anatomy and evolution. G. W. Kaiser. The University of British Columbia Press. 2007
  2. Control of the Cranio-Cervical System During Feeding in Birds. ANGELIQUE H. J. VAN DER LEEUW,RON G. BOUT, AND GART A. ZWEERS . AMER. ZOOL., 41:1352–1363 (2001)
  3. The bill of evolution.
Trophic adaptations in anseriform birds. Kurk, Carolina Deborah. 
Thesis Leiden University, The Netherlands. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le cygne tuberculé
Page(s) : 68 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez l'histoire des oiseaux et des dinosaures
Page(s) : 395-422 Guide critique de l’évolution
Retrouvez les Dinosaures à plumes et les oiseaux
Page(s) : Sur les traces des dinosaures à plumes